Société

Écolo Swing

Sketch’Up Cie



Quelques fables pour dire les tensions de notre monde actuel, décalage entre un texte en alexandrins – forme classique considérée autrefois comme indépassable – et urgence d'une terre qui crie. Ecrits, en partie pendant les confinements COVID, ces vers rappellent que la crise peut rendre créatif et que les émotions qu'elle réveille sont capables de donner sens à notre vie.
Observation patiente d'une nature – notamment les métaphores des grues cendrées et des plantes saxifrages, capables de briser la roche – qui inspire. Éloquence et virtuosité qui donnent élan à nos rêves.
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L'autisme à l'école

Dion Marie-Annick, Petit traité d'Antoinologie, l'autisme à l'école, Christophe Chomant, 2016

Une expérience – forcément singulière – familière des assistant·e·s à l'intégration qui doivent élaborer diverses stratégies au quotidien…

Site de l'éditeur

Déborder l'anthropologie

Déborder l'anthropologie – Zora Neale Hurston, Eslanda Goode Robeson, Katherine Dunham
Musée du Quai Branly

Dépliant de visite

Le crépuscule de Shigezo

Ariyoshi Sawako, Le crépuscule de Shigezo, Folio, Mercure de France, 1972, 2018.

Les jeunes avaient peut-être un autre point de vue sur la situation de la femme, mais les hommes de la génération de Nobutoshi tenaient à leurs vieux clichés féodaux. Ils ne voulaient pas reconnaître l'apport financier du travail d'une femme dans les revenus de la famille. À leurs yeux, elle se faisait plaisir en travaillant au-dehors et c'était eux qui supportaient avec patience et indulgence le laisser-aller du ménage.

p. 119

La promotion d'un roman est un art étrange. Bandeau et quatrième de couverture sont là pour inciter à l'achat mais peuvent vanter des spécificités de l'œuvre opposées. Lire Sawako Ariyoshi comme la Simone de Beauvoir du Japon empêchera d'accéder au « roman qui nous réconcilie avec la nature humaine…»

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L'origine

Ansermet François. L’origine. Collection Qu'est-ce que ça change ? Labor et Fides, 2024.

Nous naissons, pour ainsi dire, provisoirement quelque part; c'est peu à peu que nous composons, en nous, le lieu de notre origine pour y naître après-coup et chaque jour plus définitivement.

R. M. Rilke, Lettre milanaise du 23 janvier 1923
cité p. 80

Souvent considérée sous l'angle socio-politique, voire ethnique, l'origine nous relie aussi directement à nos ascendants par la reproduction sexuée.
Après avoir cherché une sexualité sans procréation, l'humain utilise désormais des techniques qui permettent de donner la vie sans sexualité. Cette réalité renouvelle le questionnement philosophique en lien avec notre origine. L'impact de ces mutations sur notre psychisme et sur la société intéresse particulièrement François Ansermet dont le domaine de recherche est centré sur la clinique périnatale.

L'origine implique […] l'idée qu'on peut remonter avant soi, implique la génération, la succession entre la génération, ouvrant sur l'infini de ce qui était – mais aussi sur l'inconnu de ce qui sera.

p. 59


Site de l'éditeur

Le réflexe de survie

Davodeau couverture
Davodeau Étienne. Le réflexe de survie. Delcourt, 1998

Au-delà de la chronique d'une petite gare sur le point d'être délaissée, l'auteur suggère toute une vie par ses vignettes dynamiques. Un coin sans histoire, une halte qui aimante le commerce de petits délinquants, assez ordinaires. L'alternance de séquences parlées et de planches muettes crée une tension qui augmente encore avec l'apparition d'une arme à feu…

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Coureur de fond

Murakami Haruki. Autoportrait de l’auteur en coureur de fond. 10/18 Belfond, 2014.

Devenir vieux représente pour moi - et pour n'importe qui, du reste - une expérience nouvelle, et les émotions qui m'habitent sont nouvelles également. Si c'était quelque chose que j'avais expérimenté auparavant, je serais en mesure de le comprendre plus clairement, mais comme c'est la première fois, je ne peux pas. Maintenant, j'ai tout juste le pouvoir de remettre à plus tard un jugement précis et de vivre en acceptant les choses telles qu'elles sont. Juste comme j'accepte le ciel, les nuages et la rivière.

p. 30

Lorsque Murakami choisit de s'exposer en passionné de course de fond, pratiquant régulier du marathon, il évoque aussi l'effort que représente l'écriture romanesque comme exercice de contrôle de soi. Cette approche lui permet de distinguer la part de talent de la persévérance et de l'imagination nécessaires à atteindre ses objectifs.
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Une heure de ferveur

Barbery Muriel. Une heure de ferveur. Actes Sud, 2022.

Après nous avoir fait découvrir le Japon par les yeux de Rose, Muriel Barbery remonte dans le passé pour nous immerger dans l'univers de Haru-San, marchand d'art à Kyōto.

Dans la pâle brume hivernale – c'était le 18 janvier –, les toriis prenaient des allures d’arcs-en-ciel monochromes. À côté, la forêt vierge de Tadasu donnait aux lieux leur caractère primitif et sacré.

p. 157

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Noire

de Montaigne Tania, Noire, La vie méconnue de Claudette Colvin suivi de L'assignation, les Noirs n'existent pas. Grasset Livre de poche. 2015, 2018

Porter le nom d'une personne célèbre peut être encombrant, en particulier quand on exerce le même métier. C'est le constat que fait Tania de Montaigne née pourtant près de 450 ans après son illustre homonyme.

Rosa Parks n'est pas Claudette Colvin, parce qu'elle est une victime indéniable, admirable, parce que, de ce fait, elle est tous les noirs. Elle est le miroir tendu, un reflet sans taches, sans ombres. Elle dit à ceux qui la soutiennent leur propre valeur, elle est « bigger than life », plus grande que la vie. Elle est tout à la fois, singulière et universelle.

p. 105

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La démocratie a besoin de la religion

Rosa Hartmut, Pourquoi la démocratie a besoin de la religion : à propos d’une relation de résonance singulière. La découverte, 2023.

L'Église n'est-elle qu'un reliquat d'une autre forme de société et d’une autre forme de relation au monde ?

p. 21

Connu pour ses théories de l'accélération et de la résonance, le sociologue et philosophe allemand était l'invité de la Rencontre diocésaine de Würzburg en 2022. Lire plus…

Réparations

Un podcast sur la quête de justice des descendants d'esclaves, Paradiso Media, novembre 2022

En marge du procès du procès pour la réparation de l’esclavage devant la Cour d’Appel de Fort-de-France en automne 2021, Iris Ouedraogo et Adélie Pojzman-Pontay décortiquent cette difficile quête de justice. Où il est question de trois R : R comme reconnaissance – celle ouverte par la loi Taubira de 2001 –, R comme réparations – symbolique ou économique, à quels ayant-droits ?–, R comme réconciliation qui est le but ultime de cette démarche.
Les deux journalistes inscrivent leur recherche sur un temps long et démontrent avec nuances que l'esclavage ne peut pas être réduit à une question morale soldée par l'abolition.

Paradiso Media, Histoire
Erwann Gaucher pour Radio France

Sur des thématiques similaires :
Boulevard du village noir, développement sur un fait de racisme ordinaire de Shyaka Kagame, Face cachée RTS
Aux origines de la discrimination positive, enquête de Kévi Donat, Programme B

La société de provocation

Namian Dahlia. La société de provocation, Essai sur l’obscénité des riches. Lux, 2023

Alors que la destinée de l'humanité préoccupe de plus en plus de femmes et d'hommes, certains tentent de légitimer leur comportement prédateur et s'arc-boutent contre toute tentative de limiter leur démesure. La dénonciation de la sociologue canadienne Dahlia Namian est cinglante. Alors que les polémistes agitent le spectre du wokisme et que l'on adore se quereller sur les questions de genre, le débat sur ce qui menace réellement société n'a pas lieu.

L'avilissement de l'humanité en nous et la réification conséquente des vies humaines sont des horizons funestes qui s'enracinent dans la même rationalité que celle qui contribue au maintien et au fleurissement de la richesse capitaliste. La mécanique d'accumulation capitaliste, qui repose sur la nécessité d'extraire le plus possible de la nature et des hommes pour engranger le maximum de profits, produit elle aussi quantité d'humains superflus – des existences jetables au même titre que n'importe quel objet de consommation. Pour se maintenir, cette dynamique mortifère requiert l'existence, elle aussi, d'une classe d'hommes et de femmes « ordinaires », capables d'exécuter avec efficacité des tâches en perdant de vue leur finalité et en renonçant, de fait, à la pensée.

– p. 78



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Much Loved

Much Loved (Zin li fik), de Nabil Ayouch (Maroc – France – Belgique 2015), avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak, Halima Karaouane, Sara Elhamdi Elalaoui, Abdellah Didane, Danny Boushebel, Amine Ennaji, Carlo Brandt.

Pour dénoncer les violences faites aux femmes, l'écrivaine russe Lida Youssoupova les fait surgir des oublis de l'Internet. Elle montre comment une justice au nom de la défense des « valeurs familiales traditionnelles » dénie aux victimes la reconnaissance même des crimes subits. Sa poésie, aux accents de slam , claque les mots crus d'une violence effarante.

Selon la loi fédérale du 07.02.2017
n°8-F3
« Sur les modifications apportées à l'article 116 du code pénal de la Fédération de Russie »
l'article 116 du code pénal de la Fédération de Russie
exposé sous sa forme actualisée
ne prévoit pas
de responsabilité pénale
pour les faits
de coups et blessures
commis sur
des personnes proches.

Verdicts

Le film d'Ayouch nous fait entrer dans le milieu de la prostitution à Marrakech. Cette pratique y est illégale et le film a été interdit de projection dans son pays par décret ministériel pour cause d’"outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine et atteinte flagrante à l’image du royaume". Sous couvert de pureté, ce contexte favorise les violences exercées par des hommes sur les femmes, laissées sans protections.
Le réalisateur décrit crument, mais avec sensibilité, les pratiques du sexe tarifé et n'omet pas de signifier l'hypocrisie des hommes, moyens-orientaux ou européens, qui les favorisent.

much loved ayouch

Je ne veux en aucun cas être moralisateur, condamner, exercer un jugement de valeur, qu’il soit négatif ou positif. Je cherche simplement à dire. Et dire, c’est montrer. Montrer ce qu’est la vie de ces prostituées, montrer leur rapport aux hommes, leur rapport entre elles, à la société, à l’hypocrisie sociale et à la famille, censée être un pilier qui les soutient et qui représente en réalité davantage un manque cruel.

Nabil Ayouch
Dossier de presse


Internet Movie Database
Fiche Ciné-Feuilles
Norbert Creutz pour Le Temps Interview de Nabil Ayouch

Une langue venue d'ailleurs

Mizubayashi Akira. Une langue venue d’ailleurs. folio, Editions Gallimard, 2013.

Aborder une nouvelle langue comme on apprend un instrument de musique, en faisant ses gammes. Apprendre le français pour échapper aux discours stéréotypés et, selon l'auteur, vides de sens de l'agitation estudiantine japonaise de la fin des années 1960.

Je vis ce jour-là combien les professeurs français pouvaient être éloquents... Évidemment, je ne comprenais pas tout, loin de là. Mais l'éloquence, une grande éloquence était là, qui me semblait contraster avec le vide abyssal de toutes les harangues « révolutionnaires » dont mes oreilles avaient été rebattues et harassées. C'était quelque chose de nouveau, une dimension nouvelle de la langue qui se révélait à moi.

p. 121


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Youth

Youth, de Paolo Sorrentino (Italie – France – Royaume-Uni – Suisse, 2015), avec Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz, Paul Dano, Jane Fonda.

Le vieillissement considéré avec un humour grinçant, dans sa version luxueuse.

Internet Movie Database
Fiche Ciné-Feuilles
Norbert Creutz pour Le Temps

Le pèlerin désorienté

Le pèlerin désorienté qui cherchait Kyoto à Compostelle, Lewis Kraus Gideon, Marabout 2015
A Sense of Direction. Pilgrimage for the Restless and the Hopeful

Déconcertant, le titre français de ce récit de voyage : l'auteur relate son pèlerinage à Compostelle, mais jamais il ne semble égaré à Kyoto ! Sa difficulté de résister à la vitalité de Berlin l'incite à chercher une direction à sa vie de jeune adulte. Après une expérience du Chemin de Saint-Jacques, il poursuivra par le pèlerinage des 88 Temples à Shikoku et complètera son expérience par le rassemblement juif d'Ouman en Ukraine.

Donner un sens à sa vie, c'est conjuguer le confort de l'obéissance à la dignité de l'indépendance. Ne plus être ni servile ni inquiet parce qu'on ne sait pas ce qu'on veut ni combien on est prêt à payer pour l'obtenir. La question est donc la suivante : comment trouver une structure qui nous permette de comprendre ce que nous voulons, sans pour autant nous forcer à suivre les fluctuations de nos désirs éternellement conflictuels ?

p. 57


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L'innocence

L’innocence (Monster), de Hirokazu Kore-eda (Japon, France, 2023), avec Soya Kurokawa, Sakura Ando, Eita Nagayama, Yuko Tanaka

Que se passe-t-il à l'école de Suwa, petite ville de la Préfecture de Nagano ? Le comportement de Minato devient si étrange que sa mère demande à rencontrer le personnel enseignant.

[Ce] qui me surprend, c’est que notre histoire se fasse l’écho des fractures qui apparaissent aujourd’hui entre les gens, les pays et les communautés partout dans le monde

Note d'intention
Kore-eda Hirokazu

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Stupeur et tremblements

Nothomb Amélie. Stupeur et tremblements. Le livre de poche, Albin Michel, 1999

Imprégnée de ses quelques années d'enfance passées au Japon en tant que fille de diplomate, Amélie Nothomb y retourne, en tant que jeune adulte, travailler dans une grande entreprise. D'une plume mordante, elle décrit l'univers de l'entreprise Yumimoto, où les apparences et les conventions broient ceux qui ne les respectent pas.
Les compétences de la narratrice comptent moins que sa capacité à se soumettre à une autorité qui se renforce à chaque échelon hiérarchique.

Et ne jouis pas de l'instant : laisse cette erreur de calcul aux Occidentaux. L'instant n'est rien, ta vie n'est rien. Aucune durée ne compte qui soit inférieure à dix mille ans.

p. 99

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Le racisme au miroir de Baldwin

Aargauer Kunsthaus

Le texte de Baldwin Stranger in the Village et l'adaptation filmée par Pierre Koralnik interrogent la notion de racisme dans une Suisse moins impliquée que d'autres nations dans les aventures coloniales. Les railleries subies par James Baldwin lors de son séjour à Leukerbad au début des années 1950 illustrent le racisme; elles évoquent pour l'auteur des discriminations plus insidieuses dont il est la victime aux États-Unis.
L'exposition, dans le prolongement de ces réflexions, poursuit une réflexion plus actuelle encore dans une société globalisée. Le musée argovien révèle ne détenir encore que très peu d'œuvres décrivant le monde de manière décentrée, dont Margarida Brancas de Maria Auxiliadora da Silva mais, dans le cadre de cette exposition, il a invité plusieurs artistes contemporains de diverses origines et vivant en Suisse à explorer ce thème. En particulier Sirah Nying qui dans le cadre de ses études brosse le portrait du racisme ordinaire vécu par trois habitants de la région zurichoise et tente de mettre en images leur ressenti.



Site de l'exposition
Eléonore Sulser pour Le Temps
Anne Fournier pour RTS Culture

Perfect Days

Perfect Days , de Wim Wenders, 2023, avec Koji Yakusho, Tokio Emoto, Arisa Nakano, Aoi Yamada, 2h04.

En sublimant la banalité de l’existence de Harayama, Wim Wenders met en images un des aspects les plus fascinants du Japon, l’opposition constante entre tradition et technicité.

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Structures des sociétés humaines

Lahire Bernard. Les structures fondamentales des sociétés humaines. La Découverte, 2023.

Pour résumer mon propos […] je pourrais dire que les sciences sociales produisent de très nombreux travaux relevant de la « recherche minutieuse », mais peinent à produire des « principes généraux » et, pire encore, rejettent souvent l'idée selon laquelle des « principes généraux » pourraient être formulés. Les chercheurs en sciences sociales sont comme des promeneurs qui découvrent et décrivent les caractéristiques des paysages à travers leurs pérégrinations sur le terrain, mais qui ne possèdent ni carte (ou vision d'ensemble) ni boussole leur permettant de se repérer et de s'orienter.
Une partie d'entre eux prétendent même que voyager à l'aveugle suffit amplement à leur bonheur, tandis que d'autres ajoutent que la carte et la boussole ne sont que des chimères auxquelles ne croient que quelques illuminés.

p. 18

Pour le parodier, je comparerai Lahire à un randonneur soucieux qui a écumé librairies et bibliothèques à la recherche de toute la littérature se rapportant à sa destination, puis a décrit les limites de chacun des documents trouvés; tellement concentré sur ses papiers il en aurait oublié de regarder le paysage. Lire plus…

Green Book

Green Book: Sur les routes du Sud, de Peter Farrelly (Etats-Unis, 2018), avec Viggo Mortensen, Mahershala Ali, Linda Cardellini, 2h10

Le guide consulté par Don pour sa tournée pianistique dans le Sud ségrégationniste en 1962 est le Green Book destiné spécifiquement aux Noirs voyageant dans les États méridionaux des USA. La comédie de Peter Farrelly et son Happy End qui résonne en conte de Noël jouent sur l'inversion des rôles attendus des protagonistes. En situant l'action en 1962, deux ans avant le Civil Rights Act, les auteurs transforment la réalité violente du racisme en scènes comiques.
Si en soi ce parti-pris permet de souligner le caractère pernicieux du racisme systémique, la chute douceâtre peut faire accroire qu'il ne s'agit que d'un mauvais cauchemar relégué au passé.



Internet Movie Database
Fiche Ciné-Feuilles
Antoine Duplan pour Le Temps
Michel Masserey et Marie-Claude Martin pour RTS Culture

The Commitments

The Commitments, Alan Parker, Royaume-Uni, 1991
Avec Robert Arkins, Andrew Strong, Maria Doyle, Johnny Murphy
Scénario : Dick Clement, Ian La Frenais, Roddy Doyle.
Basé sur le livre de Roddy Doyle. Comédie dramatique musicale

Internet Movie Database
Fiche Ciné-Feuilles

Le poids des secrets

Shimazaki Aki. Le poids des secrets. Actes Sud, 2005.
Pentalogie constituée de Tsubaki, Hamaguri, Tsubame, Wasurenagusa et Hotaru


Les cinq brefs volumes de Aki Shimazaki racontent au fond la même histoire sous l'angle de différents narrateurs. Quels sont ces secrets si lourds qu'ils influencent durablement la vie de Yukio Takahashi et de Yukiko Horibe et de leurs descendants ? Portant le patronyme de familles tokyotes honorables, leurs parents se retrouvent dans une maison mitoyenne de la banlieue de Nagasaki à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le hasard ou alors le destin leur permettra d'échapper à la bombe larguée précisément sur la Vallée d'Uragami le 9 août 1945. Lire plus…

Leukerbad 1951 / 2014

Leukerbad 1951 / 2014. Editions Zoé, 2023.
James Baldwin, «
Un Etranger au village»; Teju Cole, «Corps noir».

En visite à Loèche-les-Bains en 2014, l'écrivain Teju Cole se retrouve dans le village fréquenté par James Baldwin au début des années 1950 et se rapporte à l'essai que ce dernier publia suite à ses séjours. Un passage dans les Alpes valaisannes qui a permis à Baldwin de prendre du recul sur sa condition de noir américain. Les cris des enfants "Neger, Neger" et la curiosité qu'il leur inspire n'expriment pas la même forme de racisme que celle qu'il ressent à New York.

«Il faut concéder à tout cela le charme d'un authentique émerveillement, dans lequel il n'y avait certes pas trace d'une méchanceté intentionnelle, mais pas non plus l'idée que j'étais humain : j'étais simplement une curiosité vivante. » Mais aujourd'hui les enfants ou les petits-enfants de ces enfants sont reliés au monde d'une tout autre façon. Peut-être entre-t-il dans leur vie une part de xénophobie ou de racisme, mais ce qui fait partie de leur vie c'est aussi Beyoncé, Drake et Meek Mill, toute cette musique dont j'entends la pulsation émaner des boîtes de nuit suisses le vendredi soir.

p. 51


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Love Life

Love Life, de Koji Fukada (Japon, 2022), avec Fumino Kimura, Tomorowo Taguchi, Kento Nagayama, Atom Sunada

Les drames de la vie peuvent dévaster celles et ceux qui les éprouvent. Ils permettent aussi d'autres perspectives sur l'existence.

LOVE LIFE de Kôji Fukada from Hanabi on Vimeo.


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Le dernier homme blanc

Hamid Mohsin. Le dernier homme blanc. Roman. Bernard Grasset, 2023.

La vie d'Anders est profondément bouleversée lorsqu'il observe sa peau irrémédiablement s'assombrir et ses phénotypes en faire un étranger à lui-même. Il éprouve alors l'importance de l'apparence dans la constitution de son identité. Toute la population blanche de sa ville subissant cette métamorphose, la vie sociale en est bouleversée.

Oona sentait sur son visage la fraîcheur qui réveillait sa peau, et ils marchaient, et alors Anders dit qu'il n'était pas sûr d'être la même personne, il avait d'abord eu l'impression que c'était toujours lui sous la surface, qui d'autre cela pouvait-il être, mais ce n'était pas si simple, et la façon dont les gens se comportent autour de toi, cela change ce que tu es, qui tu es.

p. 64

Le regard de Moshin Hamid, né au Pakistan puis ayant vécu ensuite à Londres, à New York et en Californie avant de s'établir à Lahore, est sensibilisé à l'altérité. Sans l'éveil de sentiments envers autrui, un regard reste vide; ces émotions se répondent jusqu'à ce que s'ajuste la posture. Son écriture est révélatrice de la capacité de l'auteur à manifester de l'empathie, à moins qu'il ne s'agisse d'un art de la nuance. Procédant par petits ajustements, il élabore de longues phrases en précisant ses observations comme autant de retouches.
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La Tentation de l'Orient

La Tentation de l'Orient, Correspondance entre Maurice Chappaz et Jean-Marc Lovay, Zoé poche 2023

Sous l'impulsion de Bertil Galland, la publication en 1970 de la correspondance entre Maurice Chappaz et Jean-Marc Lovay est révélatrice tant des constances que des spécificités des aspirations humaines.

[…] ils ont bouffé le Valais, l'Europe. Moi j'ai redit à des beats que j'avais vraiment compris l'œuvre d'un poète de mes montagnes, ici au Népal. Parce qu'ici j'ai trouvé ce qu'il ne sera plus possible de trouver en Valais, dans l'Occident même. Je ne dirai pas ce qu'est cette chose impossible. On la sent. On la sent, on fout le camp ou on crève...

Jean-Marc Lovay, Valais, juin 1969
p. 84-85



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Lilas noir

Kaiser-Mühlecker Reinhard. Lilas noir. Editions Verdier, 2023.

La malédiction apportée dans la famille Goldberger par la participation au régime national-socialiste de Ferdinand le vieux s'est-elle éteinte avec le XXe siècle ? Contrainte de quitter la Haute-Autriche pour Rosental, elle avait lutté pour s'y intégrer bien que la floraison du lilas rouge ravivait la mélancolie des origines.

Très rares avaient été dans sa vie les occurrences où le monde extérieur ne lui était pas apparu, ne fût-ce que confusément, sous la forme d'une contrainte pesant sur lui. Ce jour, peut-être, où il avait découvert à l'âge de seize ans le pays de son père, la ferme Goldberger, à Rosental, et où il avait décidé de s'y établir à demeure.

p. 122

Après avoir renoncé – pour une génération – à la transmission familiale par le nom, c'est un jeune Ferdinand promis à une belle carrière au Ministère de l'Agriculture et de l' Environnement qui porte le patronyme. Ecarté de la gestion du domaine par son oncle, il a trouvé dans l'agronomie un champ d'études à même de le relier à son passé terrien. Une manière pour l'auteur Reinhard Kaiser Mühlecker, agronome lui-même, d'évoquer les défis sociaux et économiques de l'agriculture contemporaine.

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Burning Days

Burning Days (Kurak Günler), d’Emin Alper (Turquie, 2022), avec Selahattin Paşali, Ekin Koç, Erol Babaoglu, Erdem Şenocak, 2h09

Presque tous les politiciens populistes finissent par entraîner leur peuple dans des gouffres, ceux de la pauvreté ou de la guerre.

Emin Alper
Dossier de presse


Un jeune procureur, Emre, s'établit à Yaniklar , petite ville d'Anatolie, d'où son prédécesseur a mystérieusement disparu. Il y est accueilli par une juge avenante qui lui présente les spécificités du poste au bord d'une doline, un effondrement subit et impressionnant dans le paysage aride. Cette métaphore du trou va traverser tout le film.
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Nous colonisons l'avenir

van Reybrouck David. Nous colonisons l’avenir. Questions de société, Actes Sud, 2023.

“Ce n'est pas seulement la beauté qui se perd dans le saccage d'une nature intacte", écrivait Huizinga. Et il ajoutait : "Pourtant, cette beauté est aussi une très grande chose. Celui qui en a fait l'expérience dans sa pleine pureté, ne fût-ce qu'une fois et où que ce soit, sait quelle valeur vitale elle incarne. C'est bien plus qu'un simple arrière-plan idyllique ou romantique qui disparaît lorsqu'un paysage est défiguré. On y perd une part du sens de la vie.”

Johan Huizinga Geschonden wereld (un monde abimé) 1945
cité p. 45

Enoncé dans le cadre des conférence Huizinga de Leiden, le constat de l'historien et essayiste David van Reybrouk relatif au changement climatique est sombre : ces conséquences se font désormais ressentir également pour les populations qui y ont le plus contribué et pourtant l'hémisphère Nord tarde à agir. Lire plus…

Au prochain arrêt

Arikawa Hiro, Au prochain arrêt. Actes Sud, 2021.
Soie

– Il m’a dit qu’il ne savait pas lire le caractère. C'est incroyable, non ? Pourtant il a fait des études et travaille dans une grande société.

p. 70

Voyager en train avec la compagnie Hankyū incite à la nostalgie. En suivant des passagers dans leur voyage aller, et quelques mois plus tard au retour, l'écrivaine Hiro Arikawa nous présente un Japon en mutation. Au pays des convenances, ces personnages bousculent les usages et refusent de se soumettre à une passivité de bon ton. Le trajet et les attentes entre les huit gares de la ligne Imazu sont l'occasion de rencontres qui incitent les protagonistes à entreprendre un changement. Cette émulation se communique d'une personne à l'autre, à chaque tronçon.

– Après, je lui ai dit qu'il ferait mieux de se remettre à étudier les caractères. Parce que même si aujourd'hui on écrit tout sur clavier, son ignorance le mettra tôt ou tard dans l'embarras. J'en revenais pas de lui recommander ça ! Mais il m'a tout de suite dit que c'était une bonne idée et qu'il allait s'acheter un cahier d'exercices. J'ai envie de l'inscrire à un examen de caractères, pour être sûr qu'il travaille.
La sévérité de la lycéenne amusa Misa qui se demandait quel adulte laisserait une lycéenne lui parler ainsi.

p. 72


Le site de l'éditeur

Emancipation de la psychanalyse

Laufer Laurie. Vers une psychanalyse émancipée, renouer avec la subversion. La Découverte, 2022.

Les gender studies, en remettant en cause une perception binaire de la société, suscitent davantage de prises de position clivantes que de réflexions constructives. Dans cet essai, la psychanalyste Laurie Laufer souhaite ramener une certaine raison parmi les psychanalystes.

Dans quelle mesure les théories queers et les études de genre peuvent-elles permettre à la psychanalyse de (re)devenir une subculture ?

p. 179


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La patience des traces

Benameur Jeanne. La patience des traces. Actes Sud, 2022.

Oshima – Photo de Ryo Yoshitake sur Unsplash

Il a été lui aussi un havre pour les émotions insoutenables des autres. Il a su être ce havre. Toutes les tempêtes se calment. Il faut juste pouvoir attendre.

p. 124

Au terme de sa pratique professionnelle de psychanalyste, Simon Lhomme se retire pour un temps dans une île japonaise. Ce séjour le révélera à lui-même, lui permettant d'aborder cette nouvelle étape de vie sous une nouvelle perspective.
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La Garçonnière

La Garçonnière de Billy Wilder, Etats-Unis, 1960. Avec Jack Lemmon, Shirley MacLaine

Fiche Ciné-Feuilles
Internet Movie Database

blogEntryTopper

Les années super 8

Les Années Super 8, d’Annie Ernaux et David Ernaux-Briot (France, 2022), 1h01.


De quelques films qui relatent les années 1970 vécues dans la banalité d'une famille de la classe moyenne, Annie Ernaux et son fils expriment la recherche profonde d'un sens de l'existence. La valeur de toute vie – même celle qui semble la plus insignifiante – compte.

La fiche ciné-doc
Dossier de presse – bande à part
Salomé Kiner pour Le Temps
Julie Evard pour vertigo RTS-culture

Une histoire du vertige

Camille de Toledo, Une histoire du vertige. Verdier, 2023.

Vertige : subst. masc.
• Sensation angoissante de perte d'équilibre et de chute éprouvée au-dessus du vide qui semble exercer une attraction irrésistible.
• État d'égarement ou d'étourdissement passager d'une personne dominée par une émotion intense ou placée dans une situation difficile.

CNRTL

Le tourbillon médiatique effréné fait se dérober le sol sous nos pas. La succession de crises-sanitaire, politique, économique, climatique,...- et une guerre meurtrière au cœur même du continent européen amplifie cette sensation angoissante.

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Hasta la Vista

Hasta La Vista de Geoffrey Enthoven, Belgique, 2011

Matthieu Henderson pour RTS-culture
Fiche Ciné-Feuilles
Internet Movie Database

Un livre de martyrs américains

Oates Joyce Carol. Un livre de martyrs américains. Philippe Rey, 2019. Points, Seuil, 2020

La prolifique romancière américaine Oates ne craint pas de thématiser les problématiques sociales qui déchirent les États-Unis. Comme dans Sacrifice, elle essaie de dépasser les clivages qui ne peuvent que légitimer les violences.

Foxe's_Book_of_Martyrs_-_Tyndale

Le martyr de William Tyndale – wikimedia

À l'école pastorale de Toledo, à la bibliothèque, j'avais lu ou tenté de lire le Livre des martyrs de l'Anglais John Foxe. C'était un très vieux livre des années 1500 (un temps si éloigné que je n'arrivais pas à m'imaginer quelle sorte de gens vivaient alors) qui avait été « actualisé » pour le lecteur moderne. Malgré cela, la lecture n'était pas facile. J'avais du mal à lire plus de quelques minutes d'affilée ces descriptions des supplices et des martyrs endurés par des chrétiens protestants opposés à la « papauté romaine ». […] Mais à présent il était clair que Dieu m'avait guidé. […] Je serais transporté de fierté, pensais-je, si devant un vaste auditoire l'éminent professeur Wohlman projetai un jour une photo de Luther Dunphy sur un écran et s'il parlait de moi avec admiration comme d'un martyr de la cause.

p. 125-126

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Absolument la vie

Barilier Etienne, Absolument la vie. Lignes intérieures, Labor et Fides, 2022.

Le récit de Barilier s'apparente à un Tombeau de Monique, son épouse décédée dans l'effacement et la douleur. Le fait que, malgré l'épreuve, elle ait gardé une foi interroge l'auteur qui n'est plus porté par cette croyance.

Mais cette histoire de désenchantement inexorable est une longue histoire qui n'est pas terminée et qui peut-être sera toujours recommencée, car les obstinations de la croyance peuvent toujours avoir raison des évidences du savoir, ô Proust !

p. 58


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Y a pas de mal

Alors Voilà – Théâtre wouaw

Site du théâtre
Site de la Compagnie

Stern 111

Seiler Lutz, Stern 111. Verdier, 2022.

Ce qui intéressait Carl, c'était la réussite du prochain vers, c'était ce vers et sa sonorité, non le naufrage du pays sous ses fenêtres. Si le poème était un échec, la vie était un échec.

p. 291

Certains événements dont nous sommes témoins infléchissent le cours de l'histoire ; leur véritable impact ne se révèle pourtant que longtemps après leur survenue.
Stern 111, paru 30 ans après la Chute du Mur, traduit parfaitement l'instabilité induite par die Wende. Lutz Seiler, en documentant avec précision l'environnement de l'Oranienburger Strasse 20 à la fin des années 1980, montre le passage de la grisaille à la lumière du quartier Mitte–Prenzlauer Berg devenu emblématique de Berlin.

Il regardait fixement la chaussée. À droite et à gauche, les collines de la Thuringe. Les parents quittaient la maison familiale - en cet instant, une telle phrase était aussi triste qu'étrange. Autrefois, pensa Carl, partir était réservé aux enfants. C'était eux qui partaient découvrir le monde, pas les parents. Après quoi, les parents se faisaient du souci pour leurs enfants, et ainsi de suite.

p. 31

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Carnage

Carnage, de Roman Polanski (France/Allemagne/Pologne), avec Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz, John C. Reilly, 1h20.

Le huis-clos de Polanski – une comédie théâtrale, au fond – déclenche un rire spontané. Cet enjouement serait probablement aujourd'hui interprété comme un mépris de la différence et raviverait les polémiques dont le réalisateur est la cible.

Antoine Duplan pour Le Temps
Fiche Ciné-Feuilles
Internet Movie Database

Jain sein

Être Jaïn – Art et culture d'une religion de l'Inde
Museum Rietberg




Site du musée

Il n'y a pas de Ajar

Horvilleur Delphine. Il n’y a pas de Ajar, Monologue contre l’identité. Grasset, 2022.

Le monologue de Delphine Horvilleur est une charge contre les excès de l'identarisme, certains diraient wokisme. Ce seul en scène traite avec humour et dérision de questions qui contaminent le débat politique en abusant des iniquités de notre société. Comment aborder les questions du genre, de la race, de la religion, bref des identités sans réduire l'autre – et soi-même – à une unique composante de sa personne ?

Autour de nous – tendez l'oreille – hurlent de toute part des voix qui affirment que pour être authentiques, il faudrait être entièrement définis par notre naissance, notre sexe, notre couleur de peau ou notre religion.

p. 15

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La nuit des pères

Josse Gaëlle. La nuit des pères. Les éditions Noir sur Blanc, Notabilia, 2022.

La présence de la montagne est obsédante. Sa masse imposante écrasante. Quand Isabelle revient dans la vallée où elle est née, après plusieurs années d'absence, c'est avec appréhension.

Du jour où j'ai découvert l'eau, l'apesanteur du corps, même dans l'effort, j'ai su que j'étais dans mon élément. Je me suis toujours méfiée de ta montagne, enfant, une terreur obscure, que cette masse nous anéantisse, nous perde ou nous détruise. Qu'elle se réveille.

p. 75

Cet environnement est celui dans lequel le père a excellé comme guide de montagne. Un refuge qui lui a évité de se confronter aux autres et même à sa fille. Si elle renoue, c'est davantage par solidarité pour Olivier, le frère, qui accompagne l'homme vieillissant en train de perdre ses repères. Lire plus…

La combe aux Aspics

Tomić Ante. Miracle à la combe aux Aspics. Libretto. Noir sur Blanc, 2021.

Les contradictions de la société croate ne se sont pas estompées avec l'entrée, en 2013, du pays dans l'Union européenne. La comédie jouissive de Tomić pourrait illustrer cet écartèlement entre des hameaux de montagne retirés et les zones touristiques bordant l'Adriatique.
Le clan des Aspics se complait dans un univers de masculinité caricaturale, exhibant armes et véhicules grondants. Sans femme cependant ce monde aurait été voué à disparaître si Krešimir n'avait quitté son vallon en quête de l'être miraculeux. Un retour à la civilisation qui lui rappelle un passé déjà lointain avec lequel il renoue en moults rebondissements.
Cette équipée évoque avec dérision l'évolution des sociétés contemporaines et leurs contradictions.

Centrés l'un sur l'autre, Brane et Zone vivaient en une sorte d'autarcie : ils n'avaient besoin de qui que ce soit. Personne n'avait réellement pénétré leur fusionnement biologique, nulle relation humaine ne pouvait se comparer à l'intimité qu'ils ressentaient l'un envers l'autre. Même lors de leurs querelles et de leurs bagarres – et ils se querellaient et se bagarraient souvent –, un attachement sans faille régnait entre eux, excluant le reste du monde.

p. 111



Site de l'éditeur
Samuel Brussell pour Le Temps

Looking for Eric

Looking for Eric de Ken Loach
Royaume-Uni, 2009. Avec Steve Evets, Éric Cantona, Stephanie Bishop.


Fiche Ciné-feuilles
Chronique du Temps

Le lait de l'oranger

Halimi Gisèle. Le lait de l’oranger. L'imaginaire, Gallimard, 1988.

Je n'aimais pas le lait et je détestais la contrainte. Mais je croyais juste de l'imposer à l'[oranger] qui m'était si cher.
La vie entre les gens, l'histoire entre les peuples sont faites de ces contradictions. Se font à travers ces contradictions.

p. 95

Le récit autobiographique de l'avocate Gisèle Halimi fait écho aux polémiques de notre ère postcoloniale.
Naître en Tunisie en 1927, femme séfarade prédestine à une vie dans l'ombre. Une éducation française crée le paradoxe. Les valeurs sur lesquelles se fondent la République sont en contradiction avec le contrôle de la population maghrébine.

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L'Arabe disparu

Sattouf Riad. L’Arabe du futur. Vol. 6: Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011). Allary éditions, 2022.

riad pere
Annoncé comme «l'histoire vraie de la disparition de l'Arabe du futur», cet album présente l'envol de l'auteur dans la monde de la bande dessinée. La capacité de Riad Sattouf à revivre son personnage à chaque étape de son développement d'enfant, d'adolescent et de jeune adulte est impressionnante. La complémentarité du narratif factuel et d'un dessin propice à l'expression des émotions contribue à l'intérêt du personnage.
Bien qu'il se soit mis à l'écart en raison de son hostilité irrémédiable à la France – et à l'Occident –, le père reste omniprésent dans l'esprit du jeune Riad. L'effacement progressif du rouge paternel oppressant résulte de l'émancipation de l'auteur rendue possible par les rencontres qu'il a provoquées. En enlevant Fadi, le frère de Riad, celui qui se voyait comme «l'Arabe du futur» a lié leurs destins en les opposant systématiquement. Ils n'ont pu se libérer de cette emprise que lorsqu'ils ont pu considérer ce qui les unissait.

Site de l'éditeur
Antoine Duplan pour Le Temps
Philippe Revaz pour RTS-culture
Autres traces de l'Arabe futur : 1978-1984, 1984-1987, 1987-1994

A Rainy Day in New York

A Rainy Day in New York, de Woody Allen (Etats-Unis, 2019), avec Timothée Chalamet, Elle Fanning, Selena Gomez, Liev Schreiber, Jude Law, Diego Luna, 1h32.

Fiche Ciné-feuilles
Stéphane Gobbo pour Le Temps

Close

Close, de Lukas Dhont (Belgique, Pays-Bas, France, 2022), avec Eden Dambrine, Gustav De Waele, Emilie Dequenne. Léa Drucker, Kevin Janssens, 1h45.

Internet Movie Database
Pascal Knoerr pour RTS-culture
Norbert Creutz pour Le Temps
Site du distributeur

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Helvécia

Helvécia. Une histoire coloniale oubliée
Musée d'ethnographie, Genève



Le photographe Dom Smaz et la journaliste Milena Machado Neves présentent quelques portraits de descendants d'esclaves de la colonie germano-suisse de Leopoldina – devenue Hélvecia – située dans la province de Bahia au Brésil. Le modèle économique sur lequel elle s'était développée n'ayant pas survécu à l'abolition, les propriétaires ont abandonné le territoire aux anciens captifs.
Aux portraits très construits de Dom Smaz répondent des extraits d'interviews qui révèlent une relative ignorance de ce passé, même si le statut de quilombo est une reconnaissance officielle de l'esclavage.

Site de l'exposition
Rafael Wolf pour RTS-culture
Eric Tariant, Anne Wyrsch pour Le Temps

Un divan à Tunis

Un divan à Tunis de Manele Labidi
Tunisie/France, 2019 – Golshifteh Farahani, Madj Mastura, Hichem Yacoubi.

Fiche Ciné-feuilles
Rafaël Wolf pour RTS-culture
Antoine Duplan pour Le Temps
Le site du diffuseur

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Camus, l'art de la révolte

Abd Al Malik, Camus, l'art de la révolte, Fayard, 2016

L'attitude au mieux est inconsciente, mais ça ne change rien à l'état de fait. Lorsqu'un pays est aveugle à une partie de lui-même depuis trop longtemps, il devient urgent de magnifier, vital de rassembler.

p. 113


La lecture de L'étranger de Camus dans le cadre scolaire a permis à l'auteur de s'arracher à son milieu. L'auteur lui inspire la fidélité à son milieu, celui des cités de Strasbourg, en en devenant le porte-voix. Lire plus…

Humboldt Forum

Humboldt Forum

L'architecture de la façade orientale du Château (reconstitué) de Berlin tranche par une esthétique plus proche de celle de l'éphémère Palais de la République que de l'édifice édifié dès le XVI s. Dédié aux arts extra-européens le musée expose les collections vues autrefois à Dahlem.
Récemment ouvert, l'institution peut encore améliorer la présentation de ses expositions clairsemées au milieu des collections. Elle gagnerait aussi à affirmer son identité plutôt que la diluer dans le consensuel. Lire plus…

Staatsbürgerschaften

Deutsche Historische Museum

Fermé pour rénovation, l'institution berlinoise conserve son espace d'expositions dans l'aile Pei.
L'appartenance nationale est, dans l'histoire, une notion récente liée à la Révolution française. Si les droits et devoirs liés à la nationalité sont semblables dans les trois pays considérés – Allemagne, France et Pologne – des différences notables, liées au passé de ces trois nations, existent. Les concepteurs soulignent ce qu'elles révèlent de l'attachement des citoyen·nes à l'État. Parallèlement, les modifications des frontières consécutifs aux conflits de la première moitié du XXe s. ont entraîné déplacements de populations et/ou changement de nationalité; ces modifications indiquent alors la nature du “contrat” d'un gouvernement avec ses nationaux.
Le droit de la nationalité – et les usages politiques qu'il permet – est aussi révélateur du développement de l'intégration dans une société.
Cette mise en perspective de l'évolution historique de trois modèles européens permet de relativiser une homogénéisation par la citoyenneté européenne. Elle montre même des différences fondamentales dans la manière de percevoir le lien entre État et citoyen·nes.



Site du musée
Quelques interviews en ligne

Retour à Lemberg

Sands Philippe, Retour à Lemberg, Albin Michel, 2017.

Avocat spécialiste en droit international, Philippe Sands mène de front une carrière de pratricien et de professeur. Son intervention à l'Université de Lviv serait le déclencheur de cette enquête qui nous mène du démembrement de l'Empire austro-hongrois au Tribunal de Nuremberg en 1946. Lire plus…

Cher connard

Despentes Virginie. Cher connard, Bernard Grasset, 2022.

Le ton familier de ce roman épistolaire éclate dès la couverture aux couleurs criardes. Le style adopté par Virginie Despentes s'apparente étrangement davantage à l'oral pour cet échange entre un romancier à succès et une actrice sur le déclin : deux « victimes » de leur image sur les réseaux sociaux – évidemment dans des postures différentes. Lire plus…

Dieu & fils

Musée romain Lausanne-Vidy
Direction et commissaires : Laurent Flutsch, Sophie Weber, Séverine André, Sarah Réal

Expo Dieu et Fils
Un ultime challenge pour Laurent Flutsch, archéologue et humoriste, directeur du Musée romain de Vidy : traiter des origines et de l'essor du christianisme.
Un véritable défi parce que le thème est par nature sensible; il est susceptible d'opposer faits historiques et croyances. Comment présenter ces divergences sans heurter et sans renoncer au second degré qui caractérise les expositions de Vidy ? Lire plus…

Le jeune homme

Ernaux Annie. Le jeune homme. Gallimard, 2022

J'avais de nouveau dix, quinze ans, et j'étais à table avec ma famille, mes cousins, dont il avait la peau blanche, les pommettes rouges des Normands. Il était le passé incorporé.
Avec lui je parcourais tous les âges de la vie, ma vie.

p. 21

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Grande couronne

Kiner Salomé. Grande couronne. Christian Bourgois éditeur, 2021.

Ma mère s’est accrochée à ma vocation d’avocate comme un gondolier à sa rame. Elle envoyait des lettres à tour de bras, elle connaissait une famille bosniaque qui avait eu recours à des services de défense pour faire valoir ses droits de rester sur le territoire français. Je l’ai tout de suite prévenue : hors de question que je me mette au service des pauvres, j’en avais eu ma claque à la maison.
– Mais on n’est pas pauvres… m’a-t-elle répondu en retirant le poignard que je venais de lui planter dans la poitrine.
– Alors pourquoi on vit comme des pauvres ? Pourquoi t’achètes que de la bouffe de merde ? Pourquoi on porte jamais de la marque ? Pourquoi on va pas au Club Med ?

p. 179


Une adolescence en banlieue. La narratrice rêve d'exhiber les signes extérieurs de réussite promus par l'envahissante société de consommation. Prête à tout pour arborer l'accessoire qu'elle juge indispensable, elle nous entraine dans un univers glauque, au tournant de ce siècle. Tennessy se laisse entrainer dans un réseau improvisé et tarife ses faveurs aux garçons. Une manière d'exacerber les inégalités de genre.
L'univers dépeint par Salomé Kiner colle à l'adolescence : ses excès, ses obsessions, son besoin d'identification. L'autrice amène – de façon trop marginale, à mon sens – les questions de la précarité due aux accidents de la vie ou aux inégalités sociales.
Le milieu dans lequel évolue l'héroïne est plus instable que démuni. Tennessy assume clairement des responsabilités d'adultes pour sa mère et la fratrie. Cette parentalisation tranche avec le déficit d'empathie auquel fait croire le manque d'épaisseur des protagonistes.
Grande couronne se réfère-t-il alors à la banlieue parisienne ou à l'ego de la narratrice ? L'autrice en décide autrement par une pirouette finale toute de légèreté !

Isabelle Rüf pour Le Temps
QWERTS – Isabelle Carceles pour RTS-culture
Site de l'éditeur

La grande expérience

Mounk Yascha, La grande expérience, Editions de l'Observatoire, 2022

Titre étrange choisi par Yascha Monk pour son essai politique relatif à l'évolution déroutante des démocraties libérales occidentales. Ce "Great" m'évoque le slogan phare du trumpisme alors que l'auteur, qui se positionne au centre gauche, a une vision ambitieuse des sociétés multiethniques qui caractérisent l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord.

Pour le citoyen d'une démocratie […] le poids démographique de son groupe affectera sa capacité à peser sur les décisions politiques. Tant qu'il sera dans la majorité, il décidera. Dès qu'il passera en minorité, en raison de l'immigration ou de toute autre forme de changement démographique, les lois qui le gouverneront pourront changer du tout au tout. La logique même de l'autogouvernance, qui pose comme impératif éternel de forger des majorités de votants du même avis, pousse le citoyen à exclure des décisions politiques qui le concernent ceux qu'il considère comme différents de lui. […] Les institutions démocratiques attisent plutôt qu'elles n'apaisent les rivalités entre communautés.

p. 15


Cette aspiration est liée à un parcours personnel orienté vers un idéal de justice. Ses ascendants juifs ont quitté la Pologne à la fin des années 1960 lorsque l'antisémitisme a été réveillé par les leaders du parti communiste. Le poids de cette identité juive lui a ensuite rendu l'Allemagne insupportable et l'a entraîné dans un parcours académique aux Etats-Unis, pays dont il a acquis la nationalité. Lire plus…

Le grand récit

Chapoutot Johann. Le grand récit, introduction à l’histoire de notre temps. Presses universitaires de France, 2021.

Commandé à l'occasion du centième anniversaire des Presses Universitaires de France, l'essai de Jerôme Chapoutot tient de l'opinion plus que de la recherche. Cette liberté permet à l'auteur d'inscrire son champ d'étude, l'histoire, dans sa pluralité sémantique. Il relève que ce domaine s'est progressivement éloigné du domaine de la littérature pour être intégré aux sciences humaines et sociales. Ce glissement paraît en contradiction avec le besoin humain à participer à une histoire idéalisée.

Les psychoses de conspiration juive contre la chrétienté, le roi, les enfants, etc. ont une longue histoire, attestée au Moyen Age. Elles y voisinent avec d'autres peurs et angoisses dont certaines nous paraissent loufoques aujourd'hui, car elles entrent peu en résonance avec ce que nous savons des XIXe et XXe siècles, et avec ce que nous entendons bruire sur les réseaux sociaux.

p. 228

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Aux frontières de l'Europe

Rumiz Paolo, Aux frontières de l’Europe. Gallimard, 2012

J'ai voyagé pendant plus d'un mois sur une ligne sismique qui ne dort qu'en apparence. J'ai franchi des douanes, des barbelés, des barrières avec des miradors et des réflecteurs. J'ai vécu des confiscations de marchandises, des attentes interminables, des arrestations, des contrôles de visa extrêmement durs. En passant d'un côté à l'autre des limites de l'Union européenne, j'ai éprouvé plus d'une fois un certain frisson, mais sans jamais penser à la guerre froide.
[…] Il a peut-être raison, Maxim, la frontière retourne vers le froid.

p. 322-323

Les textes de Paolo Rumiz sont imprégnés de l'atmosphère des confins, de lieux souvent retirés qui permettent l'accès à l'ailleurs. La rupture résultant de décisions historico-politiques contraste avec les continuités environnementales. En évitant le recours à l'automobile, l'auteur s'assigne une contrainte qui lui permet de mieux s'imprégner de l'atmosphère des lieux... et s'offre le plaisir du voyage ferroviaire. Lire plus…

Hive

La ruche – Hive de Blerta Basholli (Kosovo, Suisse, Macédoine du Nord, Albanie, 2021), avec Yllka Gashi, Çun Lajçi, Aurita Agushi, Kumrije Hoxha, Adriana Matoshi, 1h24.

Au lendemain du conflit qui a permis l'émancipation de la Kosovë de la mainmise serbe, l'espoir de libertés bute rapidement sur l'immobilisme d'une société très patriarcale.
Farhije, dont le mari a disparu pendant la guerre, est seule pour subvenir aux besoins de sa famille. Ses initiatives pour y parvenir sont vues comme des tentatives de subvertir l'ordre établi en dépossédant le chef de la cellule familiale de son rôle.
Blerta Basholli utilise avec intelligence la métaphore de la ruche pour illustrer les petites victoires de Farhije et de ses voisines : petit-à-petit elle réussit à prendre soin de la colonie d'abeilles et à en tirer un bénéfice.
L'ombre de Bashkim, le mari absent, domine le film. C'est en son nom que s'organise l'opposition masculine à l'entreprise des femmes que l'on accuse de déshonorer la communauté.
Inspiré de faits réels, le film rappelle que les traumatismes ne suffisent pas à renverser un ordre établi; ils peuvent au contraire contribuer à figer les situations dans ce qu'elles ont de plus sombre. Les femmes ont contribué tout au long du XXe s. à faire fonctionner les sociétés en guerre, mais la reconnaissance de leurs compétences et de leurs droits reste un objet constant de lutte, et pas seulement en Kosovë !

Dossier de presse
Antoine Duplan pour Le Temps
RTS – culture
Internet Movie Database

Nous, l'Europe

Gaudé Laurent. Nous, l’Europe : banquet des peuples. Actes Sud, 2019.

La déclamation de Laurent Grandi en faveur de l'Europe inscrit la politique communautaire dans l'histoire chahutée de notre continent. L'Europe des nations et celle des idéologies on conduit aux affrontements, à la domination et à l'accaparement des ressources dans un contexte de concurrence. Cette prédation contraste avec un foisonnement intellectuel et des idéaux ambitieux.

Plantez des croix sur ces champs immenses.
Plus,
Toujours plus.
Plantez des croix,
Posez des plaques,
Erigez des statues :
Morts pour la France au champ d'honneur, gloire de la patrie et tout cela...
Plantez,
Plantez,
Il en faudra beaucoup
Car elle va être mondiale, celle qui vient…
On va venir de loin pour mourir jusqu'ici.
Polissez des cercueils,
Creusez des fosses,
Il en faudra plus que ce que vous pouvez imaginer.
Côte à côte,
Coude à coude.
Gravez sur le marbre des noms,
Encore des noms,
Des listes infinies de noms.
Il en faudra des statues,
Des monuments,
Des minutes de silence,
Pour rendre hommage à ceux qu'on a sacrifiés.
Il en faudra des pelletées
Pour enterrer tous les corps que le siècle va manger.

p. 61-62


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Eté 93

Été 93 de Carla Simon, Espagne, 2017, 1h37

Parfois, je me suis demandé ce qui pouvait bien me pousser à raconter des choses aussi personnelles, mais en terminant le scénario, j’ai compris que ce processus m’avait beaucoup appris sur ma propre famille, car l’écriture m’a forcée à considérer mon histoire du point de vue de chaque personnage.

Carla Simón

L'enfance est source d'inspiration artistique. Révélatrice des tensions de la société, les jeux peuvent cohabiter avec l'apprentissage des difficultés de la vie. Le film autobiographique de Carla Simón débute, comme Petite nature, par un déménagement : Frida, 6 ans, quitte Barcelone suite au décès de ses parents pour aller vivre à la campagne dans la famille de son oncle.
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L'étranger qui vient

Agier Michel. L’étranger qui vient : repenser l’hospitalité. Seuil, 2018.

Les incohérences qui caractérisent la politique migratoire sont saisissantes. Parmi les états les plus engagés dans l’accueil des Ukrainiens fuyant leur pays en guerre se trouvent de farouches opposants aux migrants de 2015. De même, alors que toute révision législative qui tend à limiter l’immigration par des contraintes administratives est approuvée, la relative lenteur à enregistrer l’arrivée de ces réfugiés est l'objet de critiques.
Cette disparité interroge : bien que l'urgence de la situation soit indéniable, il est difficile de nier le dénuement d’autres arrivants en Europe occidentale.

Toute l'histoire de l'hospitalité montre que, progressivement, la prise en charge – familiale, communautaire, communale – des fonctions de l'hospitalité s'est éloignée de la société pour être déléguée et en même temps diluée dans les charges de l'État. Elle a été remplacée par les droits de l'asile et du réfugié. Puis ces droits eux-mêmes ont été dilués dans les politiques de contrôle des frontières, des territoires et des circulations. Au point qu'on ne les reconnaît plus aujourd'hui, tant ils sont éloignés d'un principe général d'hospitalité.

p. 10-11


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Petite nature

Petite Nature, de Samuel Theis (France, 2021), avec Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Mélissa Olexa, Izïa Higelin, 1h33.

Le film est traversé […] par cette question de la honte sociale. Moi, ça m’a longtemps accompagné, j’ai beaucoup lutté avec ce sentiment de honte, c’est sans doute ce qui m’a amené à faire des films.

Samuel Theis

Comment se construire dans un milieu populaire carencé ? En ouvrant le film sur le déménagement improbable de Johnny, 10 ans, et de sa famille vers les HLM de Forbach en Moselle, le cinéaste image le déclassement social. En positionnant l'enfant en personne la plus fiable, il indique la fragilité d'un système et le risque de marginalisation qui en résulte.
En reconnaissant les aptitudes de Johnny, son professeur lui ouvre la voie de l'émancipation. Cette libération est source de tensions entre une mère qui flotte entre instinct maternel et instabilité affective et Johnny. Elle est aussi élan mal maîtrisé envers Adamski.


En notant le caractère autobiographique de son film, le réalisateur souligne l'importance du rôle de passeur du professeur. Comme les auteurs et autrices qui se réfèrent à leur vécu de transfuge de classe, Theis indique que l'élan intellectuel s'accompagne d'un déplacement affectif.
Le réalisateur ajoute une dimension politique en montrant une volonté d'Adamski de créer un pont en sortant de ses repères : il accepte de quitter son milieu lyonnais pour se retrouver à Forbach, à la marge de la France. Cet engagement, bien au-delà des slogans, est nécessaire pour éviter l'émiettement des sociétés mais tend à être considéré avec suspicion dans le monde contemporain.

Internet Movie Database
Stéphane Gobbo pour Le Temps
Anne Laure Gannac et Julie Evard pour la RTS
Dossier de presse

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Sweet Country

Sweet Country de Warwick Thornton, Australie, 2017, 1h53

Le long métrage grinçant de Warwick Thornton est basé sur un fait divers survenu dans l'Outback australien après la Première Guerre mondiale.

On retrouve les plans cinématographiques du western en bandes dessinées, un genre dans lequel la violence est parfois très directement représentée.
Dubois Pierre, Armand Dimitri. Sykes. Le Lombard, 2019
ou Dorison Xavier, Meyer Ralph. Undertaker – Le mangeur d’or. Dargaud Benelux, 2015

Le réalisateur, appartenant à une communauté aborigène, bien implanté au cœur de l'île-continent, aborde avec les codes du western les problématiques coloniales et leurs manifestations dans le contexte australien.
L'environnement de l'Australie centrale, rattachée au Northern Territory, suggère le décor du western. Thornton y raconte cependant une histoire dans laquelle les héros sont loin de l'imaginaire de la conquête de l'Ouest. Un soldat rentré du front européen se voit attribué une propriété isolée de l'Outback. Pour la remettre en état, il s'approprie les ressources de ses voisins. En particulier, il emprunte les aborigènes à leur service et il en abuse.
Le regard indigène du réalisateur révèle la complexité des relations entre colons et aborigènes, les enjeux de domination et la violence qu'ils génèrent. Dire la justice dans ce contexte est alors un défi.

Internet Movie Database
Présentation du film pour Ciné-Feuilles

Gare aux dessins !

Evénement organisé par la Ville de Genève et le Musée des Beaux-Arts du Locle

chapatte good news

Die Weltwoche, 4 Mai 2000

Malgré son talent, Chapatte ne nous alerte pas suffisamment sur les problèmes de notre époque. Alors que les mutations de la société peuvent nous sembler un tourbillon incessant, l'exposition met en évidence la persistance des maux de notre société. Les déclinaisons sont différentes, mais elles révèlent des tensions similaires : trente ans après les affrontements en Yougoslavie, un conflit menace en Ukraine. Alors qu'il y a 50 ans le le Club de Rome thématisait déjà les limites de la croissance, la «crise» climatique ne devrait pas nous surprendre.
Chapatte est aussi un défenseur de la liberté d'expression. La caricature et le dessin de presse, par l'impact visuel, immédiat, ont un rôle particulier pour une expression libre. L'analyse de quelques dessins montre la difficulté de l'exercice : tous les «lecteurs» n'ont pas la capacité d'en interprété les subtilités. Le Mahomet de Charlie-Hebdo de septembre 2020, date d'ouverture du procès des attentats de janvier 2015, est présenté visage caché, ce qui rend la caricature non blasphématoire. La Justice tient aussi compte du support médiatique pour évaluer le caractère offensant d'un dessin.
Si certains peuvent considérer comme liberticide ses précautions, les dessinateurs ne sont pas dupes de leur usage stéréotypé de la race et du genre. Il n'est dès lors pas étonnant que les algorithmes, élaborés par des humains, entretiennent ces biais.


Chapatte : Quand on attaque le dessin de presse, c'est la liberté qu'on attaque
Stéphane Gobbo pour Le Temps
Le site de Chapatte

Guibord s'en-va-t-en guerre

Guibord s’en va-t-en guerre, de Philippe Falardeau (Canada, 2015), avec Patrick Huard, Suzanne Clément, Irdens Exantus, Clémence Dufresne-Deslière, 1h48

Le vote du député indépendant Guibord qui représente une petite circonscription rurale dispersée du Québec, Prescott-Makadewà-Rapides-aux-Outardes, va déterminer si le Canada participe ou non à un engagement international dans un conflit du Moyen-Orient. Le pitch de Philippe Falardeau offre une bonne occasion d'analyser la démocratie au temps des interventions armées en son nom et de l'essor des régimes autoritaires et illibéraux,

Je voulais dire que la politique, c’est un champ plus vaste, plus profond, que l’actualité. Et le dire à travers un film divertissant, pensé et réalisé de telle façon que tous les spectateurs, même les plus exigeants, y trouvent leur compte.

Philippe Falardeau



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Robin des Voix

Robin des voix, de Frédéric Gonseth et Catherine Azad, Suisse, 2021, 1h27.

Affecté d'une fente palatine à la naissance, Robin de Haas vit très durement le rejet de ses pairs subi dans le monde scolaire. Ce handicap implique une douloureuse chirurgie reconstructive et une rééducation de la voix. Ces tourments ne sont pas vains puisque c'est dans ce processus de réhabilitation qu'il prend conscience du potentiel de sa voix et d'un don à partager ses ressources.
Professeur de technique vocale, Robin de Haas développe avec Lynn Martin des techniques de coordination respiratoire utile non seulement aux chanteurs mais dans le suivi médical des troubles vocaux.
Alors que certaines séquences du film paraissent convenues, voire hagiographiques, Robin de Haas exprime, lors de la présentation de ce documentaire, un réel charisme. En faisant accepter un enseignement qui passe par le toucher, un geste intime qui suscite les craintes des institutions, il montre sa capacité de persévérance. Une qualité qui lui a permis de transformer les traumatismes de l'enfance en don de soi.



Stéphane Gobbo pour Le Temps
Benoît Perrier et Ivor Malherbe pour la RTS
Le site de Robin de Haas
Outside The Box

Qui annule quoi ?

Murat Laure, Qui annule quoi ? Sur la cancel culture. Seuil, Libelle. 2022

Il allait falloir lancer une nouvelle [enquête], établir l'identité des victimes et la cause de leur mort, et personne n'était capable de déterminer quand on pourrait enfin raser, nettoyer et effacer ce lieu des mémoires, même si tout le monde s'accordait à dire qu'il était grand temps.

Colson Whitehead
Nickel Boys, p. 9


Professeure au département des langues européennes de l'UCLA, Laure Murat analyse avec distance le débat français sur le wokisme et la cancel culture. Sa conférence d'août 2021, retranscrite dans ce bref ouvrage, montre que ces concepts ne se rapportent pas exclusivement à l'histoire étasunienne. Ils sont une invitation à considérer l'histoire plus globalement que par le prisme de «grands hommes». Lire plus…

QI - Quapacités Intelectuèles

Librement inspiré de la nouvelle Des Fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes
Conception et jeu : Alenka Chenuz

Par son seule en scène, Alenka Chenuz interroge notre rapport à l'intelligence.
Charlie est une jeune femme, aux capacités extrêmement basses qui a subi une intervention chirurgicale expérimentale pour améliorer son quotient intellectuel.

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La communauté de ceux qui n'ont rien en commun

Lingis Alphonso. La communauté de ceux qui n'ont rien en commun. MF, inventions, 2021.

Qui est l'étranger qui me fait face ? Le traité de philosophie de Lingis cherche à répondre à ce questionnement essentiel. Nord-américain influencé, dit-il, par la French theory, l’auteur semble être un homme curieux du monde. Il parsème son recueil de photos prises lors de ses voyages asiatiques et ajoute des références aux cultures précolombiennes latino-américaines.

Reconnaître l'autre, c'est respecter l'autre.
Nous pouvons distinguer ici entre ce que nous pouvons appeler la perception en profondeur de l'autre et la sensibilité de surface à l'autre. […] La perception sent […] des tensions, besoins et compulsions qui rident ce front, tendent ces poings, concentrent ces yeux.

p. 34

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Madres paralelas

Madres paralelas, de Pedro Almodovar (Espagne, France, 2021), avec Penélope Cruz, Milena Smit, Rossy de Palma, Aitana Sanchez-Gijon, Israel Elejalde


Janis et Ana, deux mères célibataires, par accident, se retrouvent à la maternité. Pour la première, d'âge mûr, c'est un peu la dernière chance d'accéder au statut maternel; elle s'en réjouit. Ana, adolescente qui vit sous la coupe de sa mère, considère cette grossesse avec effroi. Quelques mots échangés dans ces heures intenses vont sceller des liens.
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Le Roman de Jim

Bailly Pierric, Le roman de Jim , Paris, P.O.L., 2021.

L'ancrage du roman de Bailly dans un territoire, celui du Haut-Jura, en est un élément fondamental. Ces villages reculés dans lesquels les liens se distendent ou se resserrent sont essentiels à ses protagonistes. Les constellations familiales sont sujettes aux mêmes mouvements, en particulier dans une société en évolution rapide.

Cela faisait plus de quatre ans qu'on était ensemble, et pourtant j'avais toujours du mal à y croire. Je ne doutais pas d'elle, je doutais de moi. Ça me fait chier de le dire mais c'était aussi bête que ça : pur et simple manque de confiance en soi. Manque d'aplomb, manque d'assurance. Je ne croyais pas assez à mon personnage. Je n'étais pas assez investi dans mon rôle. Comme si je n'avais pas les épaules pour l'incarner pleinement. Comme si je n'étais pas tout à fait la tout bonne personne, ou pas tout à fait à la bonne place.

p. 76

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L'ombre d'un père

Hein Christoph, L’ombre d’un père, Paris, Points Métailié, 2021.

Mon père a a tellement d'êtres humains sur la conscience. Et maintenant en plus il m'assassine, moi.

p. 355

Dans un langage simple, celui du témoignage oral, Christoph Hein nous fait revivre son expérience de la République démocratique allemande. Konstantin Boggosch vient de prendre sa retraite d'enseignant lorsqu'il reçoit un nouveau rappel de sa filiation. Un père qu'il n'a jamais connu, mort avant même sa naissance, détermine son parcours de vie. Malgré ses tentatives de les ignorer, et une forme d'acceptation de cette réalité, ce poids pèse irrémédiablement.
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Soupçon de liberté

Sexton Margaret Wilkerson, Un soupçon de liberté, Arles, Actes Sud, 2020.

En se concentrant sur trois périodes déterminées de l'histoire récente de la Nouvelle-Orléans, Margaret Sexton nous propose une clé de compréhension des inégalités raciales dans le Sud étasunien. Trois générations en recherche d'une liberté si difficile à obtenir que les galères semblent inéluctables. Le contexte qui empêche de s'élever contraint-il au déclin ou des choix personnels pertinents permettraient-ils de vaincre cette fatalité ?
Aux inégalités préexistantes, viennent s'ajouter des circonstances aggravantes. En choisissant 1944, 1986 et 2010, Sexton indique les marqueurs que constituent la Seconde Guerre, la politique néolibérale de Reagan et l'ouragan Katrina en Louisiane. Lire plus…

Jean-Marc Falconnet – Charles Copaver

Origine Galerie Focale Nyon

oublier [ses origines] c’est se priver d’une partie de soi-même

Jean-Marc Falconnet



Découvrant tardivement ses noms de naissance et la réalité de son origine guadeloupéenne, Falconnet/Copaver se lance dans la photographie en autodidacte. Sa série self illustre une quête de soi, jusqu'à l'intime.

Le site de la galerie
Site du photographe
Laetitia Wider, Jon Björgvinsson pour la RTS
Stéphane Gobbo pour Le Temps

Entre les lignes

Mermoux Dominique (dessin), Beaulieu Baptiste. Entre les lignes. Rue de Sèvres, 2021.

Grâce aux trois carnets découverts suite à son décès, le vieil homme, grand-père de Baptiste Beaulieu, ouvre une porte sur sa mélancolie. Ce recueil de lettres jamais expédiées racontent la vie d'un homme né à la veille de la Grande guerre et son grand secret.

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Madame Hayat

Altan Ahmet. Madame Hayat. Actes Sud, 2021.

Le dernier roman d'Ahmet Altan n'est pas encore paru en Turquie, faute d'éditeur. Le risque économique encouru serait probablement trop grand tant le contenu métaphorique de cette oeuvre écrite en prison dénonce la politique coercitive de la Turquie.

– Un jour, tu oublieras tout ça, tout ce que nous sommes en train de vivre maintenant.
Elle se tut, respira longuement.
– La seule chose que je te demande, c'est de choisir un moment, un unique moment... Et de ne pas oublier ce moment... Si tu essaies de te souvenir de tout, tu oublieras tout... Mais si tu choisis un moment parmi tous ceux que nous avons partagés, alors il t'appartiendra pour toujours, tu ne l'oublieras jamais... Et moi je serai heureuse, heureuse de savoir que j'existe encore pour toi, à jamais gravée dans un coin de ton esprit comme le souvenir d'un moment que nous avons vécu ensemble.

p. 75-76


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Démocratie

Hayat Samuel. Démocratie. Anamosa, Les mots pour le dire, 2020.
democratie anamosa

Un bref essai, trop succinct peut-être, pour traiter des forces et des limites de ce système de gouvernement. Fidèle à la ligne éditoriale d'anamosa, l'auteur interroge l'opposition entre les conceptions politique et sociale de la démocratie. Il ne cherche pas à réduire la tension entre ses deux compréhensions, mais montre plutôt le potentiel d'évolution qu'elle permet.

Un des héritages du libéralisme dans les gouvernements représentatifs contemporains est de mettre une limite au pouvoir des législateurs et des gouvernants. Les députés qui votent les lois et les gouvernements qui les exécutent le font dans un cadre constitutionnel et en respectant des principes qu'ils ne peuvent remettre en question et auxquels ils doivent eux-mêmes se soumettre, ce qu'on appelle l'état de droit. Or, si le peuple est lui-même l'auteur de la loi, comment justifier de limiter son pouvoir ? Il existe une affinité entre l'idée que le peuple est l'auteur de la loi et la défense du pouvoir absolu de l’Etat, car rien ne peut justifier que l’on limite le pouvoir du peuple.

p. 23-24


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Le Ciel de Nantes

Texte et mise en scène Christophe Honoré – Théâtre de Vidy hors-les-murs
avec Youssouf Abi Ayad, Harrisson Arévalo, Jean-Charles Clichet, Julien Honoré, Chiara Mastroianni, Stéphane Roger, Marlène Saldana.

Ce film, nous ne le verrons pas. Il s’intitule Le Ciel de Nantes et c’est un film imaginaire, un film sur ma famille que je ne me suis jamais décidé à tourner.

Christophe Honoré

La mort saisit les survivants. Quand elle semble s'acharner sur vos proches, elle peut provoquer un accablement... ou déclencher un processus créatif. Christophe Honoré, l'auteur et metteur en scène, ébauche un projet de film pour libérer la mémoire d'une adolescence traversée pas tant d'émotions. La quête d'une forme adéquate pour traiter ce matériel autobiographique évoque la recherche de Rithy Panh.
Pour Honoré, c'est l'écriture théâtrale qui s'avère la plus adéquate pour faire revivre sa famille maternelle. Un travail de remémoration auquel il associe ses interprètes. En les impliquant dans un exercice d'improvisation, il semble mettre à l'épreuve sa compréhension des interactions.
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Le silence d'Isra

Rum Etaf. Le silence d’Isra. Pocket, Éditions de l’Observatoire, 2021.

Américaine d'origine palestinienne, Etaf Rum, connait la situation des femmes musulmanes de New York. Son roman, autour de trois générations de établies à Brooklyn, offre une perspective qui tranche avec la tendance française à se focaliser sur la religion islamique. Il souligne ainsi la richesse que représente les différents points de vue pour la compréhension des phénomènes sociétaux.

« Ce n'est pas parce que tu es née ici que tu es américaine. Tant que tu vivras au sein de cette famille, tu ne seras jamais américaine. »

p. 316

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La révolution silencieuse

La Révolution silencieuse (Das schweigende Klassenzimmer) – un film de Lars Kraume Allemagne, 2018

Les représentations de la vie derrière le rideau de fer peuvent être manichéennes, alignées sur des positions politiques. Le film de Lars Kraume dénonce la société est-allemande en évitant de tomber dans le piège de l'idéologie.

Les « fake news » ne sont qu'une nouvelle forme de propagande. Le mécanisme est exactement le même : les vérités sont déformées et propagées, puis tout le monde parle en même temps et croit ce qu'il entend. Qu'on appelle cela de la propagande ou des « fake news », il revient à chaque citoyen de faire preuve d'esprit critique. Quand les gens se contentent juste de relayer l’opinion des autres, il y a problème.

Lars Kraume
dossier de presse

Alors que la Hongrie tente de se libérer de la poigne soviétique en automne 1956, quelques lycéens manifestent leur solidarité par une minute de silence. La sanction qui va frapper les protagonistes de cet acte de contestation sera complètement disproportionnée, à la mesure des moyens mis en œuvre pour sauver les apparences d'une camaraderie vertueuse. Malgré un système fondé sur la méfiance et les privilèges, malgré les manipulations de l’enquêtrice, les élèves assument solidairement leur acte bravache. Cette assurance leur donne accès à la vie que leurs parents préféraient garder secrète pour ne pas risquer d'être trahis.
Kraume mentionne également la propagande officielle des autorités de la République démocratique allemande qui entretenaient l'illusion d'une dénazification achevée alors que les compromissions minaient la société. En imposant le silence, elles perpétuaient le totalitarisme, certes sous une forme atténuée. Ces représentations d'une guerre de l'information paraissent obsolètes, elles ne doivent pas nous faire oublier le pouvoir de nuisance de la manipulation des faits. C'est par la confrontation des opinions que les gymnasiens de Storkow peuvent approcher la vérité. Le débat est plus que jamais nécessaire alors que des murs d'incompréhension tendent à fracturer nos sociétés.

Présentation du film pour ciné-feuilles
Site du distributeur
Fiche Internet Movie Database
So floh eine Schulklasse aus der DDR – Süddeutsche Zeitung
Jean-Pierre Bernardy dans Allemagne d'aujourd'hui

Losanna, Svizzera

Musée Historique de Lausanne
150 ans d'immigration italienne à Lausanne
Losanna MHL
L'afflux de travailleurs migrants de l'Europe méridionale après la Seconde Guerre mondiale pour contribuer à l'essor helvétique des Trente Glorieuses est connu. L'Italie y trouve aussi un avantage puisque ces déplacements de population permettent au pays de l'immédiat après-guerre, exsangue après la défaite du fascisme, de contenir les revendications sociales et de limiter l'essor du communisme. Les gouvernements suisse et italien signent en 1964 un accord pour contenir les abus des employeurs.
Les migrations influencent aussi la politique intérieure suisse avec l'exacerbation de la xénophobie qui conduit aux initiatives contre l'emprise étrangère sous l'impulsion de James Schwarzenbach.
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Disputons-nous

Sur les chemins de la haine

De grandes affiches bleues, un bleu plus céruléen que ceux de twitter ou facebook, qui répètent haine, haine, haine détonnent dans le paysage urbain qui tend au consensus. La campagne politique sur un sujet aussi clivant que la loi COVID-19 ne met-elle pas en avant le refus de la division de la société, le parti dominant surchargeant même ses placards d'un énigmatique « sans nous ».
L'événement, à l'enseigne des disputes, ces débats universitaires entre deux parties qui ont marqué la Réforme, se veut espace de réflexion. sur les sujets qui fâchent.
Par une série d'opinions parues dans les colonnes du Temps, quelques problématiques sont posées en lien notamment avec les religions, le complotisme, les crises qu'elles soient climatique ou politique. Lire plus…

Le cœur de l'Angleterre

Coe Jonathan. Le cœur de l’Angleterre. Paris, Gallimard, Folio, 2019.

Jonathan Coe fait partie des narrateurs engagés qui dépeignent une réalité sociale britannique avec dérision.
Le titre original, Middle England, polysémique, se réfère tant au sujet, la classe moyenne, qu'au lieu. Birmingham, seconde agglomération britannique moquée pour son supposé provincialisme. Le titre français renvoie au lien affectif à la patrie, un ressort qui a été abondamment utilisé par les partisans du Brexit. Un argument très porteur au cœur de l'Angleterre, le poumon industriel du pays mis à mal par le libéralisme. Lire plus…

Etudes coloniales et décoloniales

RTS – Histoire vivante
Des Empires français et britannique à Black Lives Matter : une décolonisation inachevée


Etienne Duval, journaliste franco-écossais, a réalisé cette suite de reportages pour l'émission Histoire vivante qui rappelle opportunément que les questions décoloniales et les problématiques «raciales» sont essentielles pour comprendre les mutations sociales de nos sociétés et la perception de l'autre. En mettant en perspective l'entreprise coloniale, le développement des possessions extraterritoriales et le processus de retrait des Français et des Britanniques, il montre l'influence de l'histoire sur les problématiques actuelles. Les décisions, principalement liées à des considérations de politique intérieure, prises à chaque étape ont influencé la narration nationale.
Les spécialistes s'accordent pour relever dans chaque modèle des aspects positifs et d'autres négatifs qui ont leurs conséquences sur la perception des minorités. Comme le relève notamment Meera Sabaratnam de l'Université SOAS à Londres, l'approche égalitariste française et celle plus communautariste britannique sont inscrites dans la durée ( ci-dessous dès 7:42 min). L'étude des effets de ces politiques sur la société actuelle donne des clés de compréhension et offrent une chance d'en atténuer les effets. Contrairement à ce que déclare avec force les détracteurs de ces approches, qui les considèrent comme des atteintes à l'honneur de la nation.


Afropéens

Pitts Johny, Afropéens : carnets de voyage au coeur de l’Europe noire , Massot Éditions, 2021.

Johny Pitts nous emmène dans un voyage thématique à travers l'Europe. Son approche tournée vers les communautés noires suscite probablement l’ire des pourfendeurs du séparatisme et de la culture "woke". Ils oublient pourtant que dans nos sociétés métissées de nombreux citoyens se sentent écartés des processus politiques et que même si une démocratie doit mettre en œuvre les décisions de la majorité, sa stabilité n'est assurée que si elle sait prendre en compte le bien-être des minorités.

Il me semblait évident que la communauté noire de France, d'un point de vue administratif, avait été rendue invisible parce que les institutions avaient refusé d'intégrer la notion de race alors que, dans les relations triviales de la rue, les Noirs étaient bien trop visibles, et soumis à la même discrimination que n'importe où.

p. 121


Le voyage de Pitts au cœur de l'Europe noire à la recherche de son identité prend davantage la couleur d'un récit de formation que d'un manifeste politique. Un texte caméléon tant il superpose les genres. En effet, au-delà du carnet personnel, il tient aussi de l'enquête journalistique et de la chronique musicale. Lire plus…

Apeirogon

McCann Colum, Apeirogon , Paris, 10/18, Belfond, 2020.

Apeirogon : une forme possédant un nombre dénombrablement infini de côtés.

Du grec apeiron : être sans limite, être sans fin. Lié à la racine indo-européenne per : essayer, risquer.

p. 581


La lecture de l'Apeirogon de Colum McCann m'évoque davantage une boule à facettes qu'une figure plane proche du cercle. D'une part ces 1001 chapitres, quelques fois une brève phrase ou une image, éclairent divers aspects du conflit israélo-palestinien; d'autre part en prenant de la distance,  le roman a un vrai relief.

Ça ne s'arrêtera pas tant que nous ne discuterons pas.

p. 55


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L'homme qui meurt

Baldwin James, L’homme qui meurt, Paris, Gallimard, Folio 2019.

Leo Proudhammer est terrassé par une crise cardiaque alors qu'il est sur scène. Cet accident l'oblige à se mettre au repos et l'incite à faire le point sur sa singularité d'homme noir et homosexuel dans le milieu théâtral.  Ce dispositif narratif permet à Baldwin de traiter ses thèmes de prédilection de manière moins polémique que dans ses essais... mais moins convaincante aussi !
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Queer

Queer – La diversité est dans notre nature
Musée d’histoire naturelle de Berne

Parcours de réflexion plus qu'exposition et affirmation, la visite se fait crayon et cahier de travail en main.
La nature n'a pas révélé toute sa créativité en matière de reproduction. Cette diversité éclaire le vif débat social autour des questions de genre. Faisant référence aux êtres vivants que nous observons, les concepteurs de ce projet relèvent la complexité des facteurs qui déterminent l'identité sexuelle. En incitant le visiteur à adopter la position du chercheur, ils favorisent la réflexion sur ces diverses composantes que détaille notamment Thierry Hoquet dans Des sexes innombrables. Le décor aux couleurs clinquantes souligne que le débat sur cette thématique est souvent tranché.

Site de l'exposition
Antoine Droux pour la RTS

Je ne reverrai plus le monde

Altan Ahmet, Je ne reverrai plus le monde : Textes de prison. Arles, Actes sud, 2019.

L'unique fenêtre de la pièce, elle aussi munie de barreaux, donnait sur une minuscule cour de pierre.
[…]
La vie soudainement s'était figée. Elle ne bougeait plus.
Froide, inanimée.
La vie était morte.
Morte tout d'un coup.
J'étais vivant et la vie était morte.
Alors que je croyais mourir et que la vie continuerait, elle était morte et je lui survivais.

p. 98

En une vingtaine de courts textes, le journaliste et écrivain turc Ahmet Altan esquisse la vie en captivité. Tout en suggérant la situation politique de son pays. ces écrits révèlent la capacité de résilience de leur auteur.

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Les contes défaits

Lalo Oscar, Les contes défaits. Paris, Belfond, Petits pointillés 2020.

J’enquête sur un crime sans preuves. Je suis le seul à le savoir. Je dois prouver sans indices ni symptômes. Je suis le patient et le médecin. Le médecin le plus patient qui soit. Ces preuves-là ne se cherchent pas. Elles viennent toutes seules se coucher par écrit. Elles s’effeuillent. Et nous fanent. Elles ne bourgeonnent jamais. Sauf parfois en hiver.

p. 12, version 2016

Lalo, par le choix de son titre, montre son goût pour le cisèlement du langage, voire son allègement. Ce premier roman n'a rien d'un conte de fées même s'il concerne l'enfance, un temps que l'on associe volontiers au monde onirique !
Les fréquents séjours du narrateur dans un home tiennent du cauchemar. Il ne ressent pas seulement une forme d'abandon de sa mère; il est à la merci d'un couple douteux, dont il ne peut que compter les méfaits.

Aussi surprenant que cela paraisse, compte tenu de ses règles strictes, il ne s'agissait pourtant pas là d'un centre de redressement pour enfants ou adolescents. Non, ça se vendait comme un havre chic pour familles aisées, d'où l'appellation de « home d'enfants ».

p. 47

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Le cerveau masculin

Gygax Pascal, Zufferey Sandrine et Gabriel Ute, Le cerveau pense-t-il au masculin ?  Cerveau, langage et représentations sexistes. Paris, Le Robert, Temps de parole, 2021.

Toutes les langues se transforment au fil du temps, mais ces changements sont lents et mettent souvent beaucoup de temps à s'installer complètement. Ces évolutions sont très intéressantes en elles-mêmes à étudier, mais elles le sont tout autant par ce qu'elles révèlent des contextes qui les ont engendrées. En ce qui concerne le masculin et son statut dominant dans la langue, on peut facilement s'imaginer que les contextes facilitant ces évolutions ont été des contextes imprégnés d'androcentrisme, voire de misogynie. C'est-à-dire des contextes dans lesquels les hommes étaient non seulement considérés comme plus importants, mais également comme supérieurs.

p. 55

Pourquoi la mention du langage inclusif provoque-t-elle autant de débats passionnels ? La norme grammaticale induit une structuration de la société en décalage constant avec la réalité sociale. Les coauteurs mettent en évidence les biais de genre et identifient les règles qui en sont la cause. En inventoriant les pratiques, en français et dans d'autres langues européennes, ils en soulignent les limites.
Cette recherche en psychologie sociale et en psycholinguistique ne prétend pas distinguer le juste du faux. Elle désigne pourtant les éléments qui dérangent : contestation de l'hégémonie masculine corrélée à l'invisibilisation de la femme notamment dans les professions “prestigieuses”. En évoquant une société non binaire, elle souligne un aspect très contesté, souvent identifié à une volonté de renverser l'ordre social.
Les coauteurs rappellent que la langue est en constante évolution et que l'usage est le plus fréquemment en avance sur la norme. En interrogeant notre utilisation de la langue, ils encouragent à adapter notre expression à la réalité vécue tout en essayant d'éviter les mauvaises réponses à de bonnes intentions.

Comme il est relativement difficile de retracer l'origine de l'expression langage inclusif, on en trouve une multitude de définitions. Pour nous, l'expression la plus juste, par rapport à ce que nous venons de dire, serait d'ailleurs langage non exclusif, tant l'utilisation du masculin exclut toutes les personnes qui ne s'identifient pas à la catégorie « homme ». En partant de cette constatation, nous définirons le langage inclusif de manière très large comme « englobant toute forme de langage qui vise à démasculiniser la langue ». Deux types de méthodes entrent dans cette définition : la neutralisation et la reféminisation.

p. 131

Les auteurs ont pris soin d'utiliser scrupuleusement un langage inclusif, sans nuire à sa lisibilité. Toutefois, c'est surtout sa nature explicite qui est évidente, d'où une certaine lourdeur didactique…

Site de l'éditeur
Site de Pascal Gygax
Catherine Frammery pour Le Temps
Parler comme jamais – écriture inclusive : pourquoi tant de haine ?
Tribu – le langage inclusif

État d'urgence technologique

Tesquet Olivier, Etat d'urgence technologique : comment l'économie de la surveillance tire parti de la pandémie. Premier parallèle, 2021.

La pandémie de coronavirus a favorisé les solutions technologiques introduites pour tenter de la contenir. Ces outils sont ainsi sortis de l'ombre. Quelques sociétés ont profité de cette opportunité pour améliorer leur image alors que d'autres ont proposé des développements renforçant l'économie de surveillance.
La lecture de cet essai n'est pas recommandée aux paranoïaques... mais illustre l'emprise d'entreprises privées sur nos sociétés. Lire plus…

Vérité ou mensonge

Clervoy Patrick, Vérité ou mensonge, Odile Jacob 2021.

La dynamique de groupe est un puissant facteur de propagation d'un mensonge. Le groupe exerce sur l'individu des forces suffisamment puissantes pour lui imposer de mentir. Et, passé un seuil, il va le faire à un tel point qu'il aura la conviction que tous ceux qui le contredisent sont des menteurs.

p. 74

Médecin psychiatre aux Armées, Patrick Clervoy est spécialiste des questions de stress et de traumatismes. En s'intéressant à la vérité pour laquelle d'innombrables conflits ont été engagés, notamment au phénomène d'adhésion collective au mensonge, il dresse un vaste panorama du traitement de l'information et rappelle combien l'alternative du doute constructif est préférable aux opinions tranchées. Lire plus…

Un si beau diplôme !

Mukasonga Scholastique, Un si beau diplôme !  Folio, Gallimard, 2018.

Récit d'exils, Un si beau diplôme ! trace le parcours migratoire de Scholastique Mukasonga. « T U T S I » figurant sur leurs papiers d'identité, sa famille subit les conséquences d'une politique coloniale qui avait clivé la société sur des bases ethniques : exode intérieur dans les années 1960, fuite au Burundi en 1973, massacre en 1994.

La lente cuisson des aliments sur les braises du charbon de bois donnait le temps aux chants et aux danses. Sans perdre des yeux leurs marmites, les femmes s'installaient le plus confortablement qu'elles le pouvaient sur les cartons qui remplaçaient les nattes traditionnelles. C'était le moment attendu qui transportait les exilés au pays perdu : au fond de l'impasse, les cases miséreuses semblaient s'effacer pour laisser place, comme pour un décor de théâtre, aux collines chéries du Rwanda. Tel était le pouvoir du chant et de la danse qui, seuls, pouvaient ménager dans les tourments de l'exil une trêve d'insouciance.

p. 73

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Arabe en France

Bouvet de la Maisonneuve Fatma. Une Arabe en France, Une vie au-delà des préjugés. Odile Jacob, 2017.

Fatma Bouvet de la Maisonneuve se qualifie de bavarde. Son écrit, proche de l'oral, s'en ressent et atténue la portée de son propos. Psychiatre, arrivée en France pour sa spécialisation en addictologie, cette Tunisienne découvre une société plus complexe qu'escompté. Mariée à un Français, elle fait part de ses observations pour essayer de réduire les fractures qui s'instaurent entre «communautés». Lire plus…

Checkpoint

La Ferme des Tilleuls, Renens

Cette présentation d'œuvres réalisées dans le cadre d'ateliers avec des migrants permet de revisiter sa géographie, de réaliser l'importance de l'image de soi et de mesurer le pouvoir symbolique des objets…

Site de la Ferme des Tilleuls
Katarina Gornik pour Le Temps

Margaret Mitchell

Edwards Anne, Margaret Mitchell : biographie, Belfond, 1991 (1983)

Parue il y a trente ans en français, la biographie de l'auteur d'Autant en emporte le vent donne une idée de l'évolution des mentalités... et des pesanteurs de la société. Alors que le roman parait dans une nouvelle traduction française, le film est retiré du catalogue de le plateforme de streaming HBO Max pour ne pas exacerber les violences raciales.

Peggy s'était attachée à restituer la richesse du dialecte des Noirs, sans pousser le mimétisme jusqu'à présenter au lecteur un jargon incompréhensible. Le langage adopté se voulait donc un compromis délicat entre l'« authentique petit nègre » et quelque chose qui d'un point de vue pratique ne serait pas trop indigeste pour les presses à imprimer.

p. 183

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Peau noire, masques blancs

Fanon Frantz. Peau noire, masques blancs. Seuil, Points Essais, 2015 (1952).

Le Blanc est enfermé dans sa blancheur.
Le Noir dans sa noirceur.
[…]
Le souci de mettre fin à un cercle vicieux a seul guidé nos efforts.
C'est un fait des Blancs s'estiment supérieurs aux Noirs.
C'est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs coûte que coûte la richesse de leur pensée, l'égale puissance de leur esprit.
Comment s'en sortir ?

p. 10

Références du post-colonialisme, les pensées du Martiniquais Frantz Fanon ont d'abord suscité un intérêt outre-Atlantique avant d'être reconnues en métropole. L’engagement de Fanon aux côtés des indépendantistes algériens est le geste fort d'une vie intense, abrégée par une leucémie à 36 ans seulement.
Deux essais se distinguent particulièrement parmi ses nombreux écrits. Les damnés de la terre dans lequel il a mis ses dernières forces témoigne de la violence du conflit algérien analysée sous le prisme de sa pratique de médecin psychiatre.

Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de rechercher en quoi ma race est supérieure ou inférieure à une autre race.
Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d'une culpabilité envers le passé de ma race.
Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de me préoccuper des moyens qui me permettraient de piétiner la fierté de l'ancien maître.
Je n'ai ni le droit ni le devoir d'exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués.
Il n'y a pas de mission nègre; il n'y a pas de fardeau blanc.
[…]
Non, je n'ai pas le droit de venir et de crier ma haine au Blanc. Je n'ai pas le devoir de murmurer ma reconnaissance au Blanc.

p. 222

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«Ennemis mortels»

Le Cour Grandmaison Olivier, “Ennemis mortels” : représentations de l'islam et politiques musulmanes en France à l'époque coloniale. La Découverte, 2019.

L'histoire coloniale de la France et le défi que représente, dès le XIXe s., une forte population musulmane dans l'Empire sont au cœur de l'essai de La Cour Grandmaison. Ce sujet d'étude le confine probablement dans le camp des «islamogauchistes» (voir CNRS). Ce livre permet pourtant de comprendre que le soupçon posé sur les populations musulmanes dans leur ensemble n'est pas conséquence de l'attaque d'islamistes du 11 septembre 2001 sur les États-Unis et des répliques sauvages qui ont suivi et visé les Occidentaux.

Sauvages, les musulmans ? Non, barbares. À la différence du « Noir » qui, réputé sans histoire, sans civilisation et sans religion propre, est relégué au plus bas de la hiérarchie du genre humain, les sectateurs de Mahomet jouissent des unes et des autres. Aussi occupent-ils une position intermédiaire : supérieure au premier mais inférieure à l'Européen, estiment beaucoup de contemporains. Altérisés de façon radicale, c'est-à-dire anéantis en tant que semblables égaux en droit comme en dignité, puis infériorisés, les musulmans se voient imputer une dangerosité polymorphe d'autant plus inquiétante qu'elle affecte, à cause de cela, tous les registres de la vie.

p. 25

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Quoi de neuf pussy hat ?

Musée historique de Lausanne

La densité voire la surcharge visuelle se veut le reflet de l’intensité du débat et de la richesse des interrogations à l’ordre du jour en termes d’égalité, cinquante ans après l’adoption du suffrage féminin. Proposant une sorte d’état des lieux (ainsi que le suggère son titre), l’exposition prend la mesure des avancées comme des pesanteurs, en mettant en perspective expériences locales et contexte global, situation présente et exemples historiques.

Notes d'intention
Dossier de presse


L'exposition rapproche le questionnement sur le genre, une attitude que certains qualifieront de post-féministe, dans la sphère locale. Loin d'élucubrations d'intellectuels victimes de la bien-pensance étasunienne et des modes déconstructivistes, les thèmes abordés concernent le devenir de la société. Le droit de vote est l'aboutissement d'une longue lutte pour l'acquisition d'une égalité citoyenne, une étape dans un processus d'équité entre femmes et hommes. Un processus qui prend en compte les divers aspects de la différenciation sexuelle et implique donc une interrogation fondamentale sur l'identité.

Traces «genrées»
Site du musée

L'invention du Japon

Pelletier Philippe, L'invention du Japon, Le cavalier bleu, 2020.

Dans un essai érudit, le spécialiste du Japon Philippe Pelletier, géographe de formation, analyse les spécificités de la société nippone en lien avec sa situation spatiale, son histoire et son développement culturel.

Le Japon semble livré à lui-même, sans modèle prescriptif, séducteur et attirant. L'Amérique ne fait plus envie. L'Europe est trop lointaine ou incompréhensible. La Chine dispose d'un parti unique, mais le système démocratique japonais est tel qu'il arrive à quelque chose d'approchant avec l'avantage d'avoir le consentement du peuple électeur malgré la hausse de l'abstention. Les Japonais se retrouvent donc dans une position historique et géographique cruciale : inventer quelque chose de nouveau. Là est le défi.

p. 219

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Le goût du vrai

Klein Etienne, Le goût du vrai. Gallimard, Tracts, 2020.

L'air du temps, en accusant la science de n'être qu'un récit parmi d'autres, l'invite à davantage de modestie. On la prie de bien vouloir gentiment «rentrer dans le rang» en acceptant de se mettre sous la coupe de l'opinion.

p. 38

Achevé en juin 2020, le texte d'Etienne Klein a une saveur particulière. La planète a retenu son souffle le temps de la sidération et du confinement, dû à une première vague de Covid-19. Cette période inattendue a donné libre cours à nos irrationalités, une forme d'exutoire à notre incapacité de maîtriser l'épidémie. En exhibant les contradictions de notre société, cette crise montre les vulnérabilités de notre civilisation hautement technologique. Lire plus…

Le monstre twitter

Laurent Samuel, J'ai vu naître le monstre : twitter va-t-il tuer la #démocratie? Les arènes, 2021.

Grandi avec les premiers ordinateurs personnels, puis accédant à la toile avec un modem crépitant, Samuel Laurent s'oriente vers le journalisme. 
Lorsqu'il s'inscrit en 2008 au réseau à l'oiseau bleu il le fait pour trois raisons, dit-il : la curiosité, l'intérêt professionnel et l'envie de s'amuser. Ce qu'il ignore alors c'est que Twitter, une décennie plus tard ne sera pas loin de le laminer. C’est de cette expérience que traite son essai, un parcours lié à l'évolution des réseaux sociaux et à la modification de leur usage. Lire plus…

Métamorphoses d'une femme

Louis Edouard, Combats et métamorphoses d'une femme. Seuil, 2021.

Les romans d'Edouard Louis, incisifs, ont une forte composante autobiographiques. Cette mise en valeur de soi, le lien entre homosexualité et ascension sociale font de l'auteur une personnalité d'autant plus clivante qu'il se positionne politiquement. En affichant son plaisir à fréquenter des établissements luxueux, celui qui est né Eddy Bellegueule transgresse les codes sociaux. Cette revanche sur l'ordre établi irrite.

Une autre question est-ce que je peux comprendre sa vie si cette vie a été spécifiquement marquée par sa condition de femme ?
Si je suis construit, perçu et défini par le monde qui m'entoure comme un homme ?

p. 39

Et Édouard Louis ne boude pas son plaisir en devançant ses détracteurs : son roman n'est pas de la littérature puisqu'il en viole les codes.
Combats et métamorphoses d'une femme est espiègle. Il y ressert la même thématique d'une adolescence douloureuse, mais en mettant plus de nuances il rend le propos moins tranchant, moins egocentré. Ce ton moins polémique rend le roman d'autant plus percutant. Lire plus…

Fabrique des pandémies

Robin Marie-Monique et Morand Serge, La fabrique des pandémies : préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire. La Découverte, Cahiers Libres. 2021.

Quelle réponse donner à la crise sanitaire qui occupe la Terre depuis une quinzaine de mois ?
Les premières semaines nos habitudes ont été bouleversées : limitation drastique de nos déplacements, restrictions au commerce... Parallèlement à ces changements, des élans de solidarité spontanés contredisaient l'égoïsme supposé de nos sociétés. Ces gestes laissaient croire que l'alerte serait significative et qu'elle engendrerait des changements politiques conséquents. C'était sans compter la lassitude induite par une crise se prolongeant, sans envisager surtout les antagonismes, apparemment irréconciliables, qu'elle révèle. Chacun joue sa partition dans une logique de raisonnement en silo. La santé est opposée à l’économie; les régimes autoritaires aux démocraties, les décisions centralisatrices aux délégations régionales, les issues technocratiques à un questionnement holistique, le simplisme à la complexité.

Dans nos sociétés modernes, la santé, c'est la médecine quand on a un problème de virus, on essaie de le contrôler en investissant massivement dans la recherche d'un vaccin, mais on ne se soucie pas de savoir d'où vient cette maladie. L'idée que la santé des humains soit liée à celle de l'environnement est largement méconnue dans les instances dirigeantes.

Anne Larigauderie
p. 97

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Des phrases courtes

Fleutiaux Pierrette, Des phrases courtes, ma chérie. Actes Sud, 2001.

Après l'hommage au père de Ernaux, la relation ambiguë à la mère de Fleutiaux. Pour les deux autrices, le choix des mots pour traiter du lien à leur parent, une interdépendance à grande charge émotionnelle, s'avère particulièrement important.

Sept ans pour accompagner l'entrée dans la vie de mon enfant, sept ans pour accompagner la sortie de la vie de ma mère.
Cela m'est assez étrange de dire "je", "mon enfant", "ma mère". J'ai détesté mon enfant (pas lui, bien sûr, l'enfant simplement) de me tenir si près de mon "je", si collée, j'ai détesté ma mère pour cette même raison. Mais elle plus violemment, furieusement, une rage à la mesure de notre attachement. L'enfant était sur la trajectoire de l'éloignement, mais ma mère était sur celle des pitons, hameçons, harpons lancés à tout va, de l'étreinte totale avant le grand plouf et au-delà. Au-delà.

p. 13

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Blanc autour

Lupano Wilfrid et Fert Stéphane, Blanc autour. Dargaud ,2020.


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Opposer un Sud raciste et esclavagiste à un Nord abolitionniste et ouvert est une lecture réductrice de la situation sociale des Etats-Unis. Le roman graphique de Wilfrid Lupano et Stéphane Fert gomme ce stéréotype.
L'histoire débute en 1832 à Canterbury, Connecticut. L'arrivée d'une nouvelle élève sème le désordre dans une école : elle est noire.  Non seulement, Prudence Crandall gère-t-elle une école destinée aux filles, mais de plus elle accepte une élève noire.  Une récente affaire dans le Sud avait eu un immense impact : la rébellion de Nat Turner en Virginie dont la bande tua une soixantaine de personnes, hommes, femmes et enfants, blancs. Ayant appris à lire, écrire et compter, Nat Turner lisait la Bible avec passion; il était sujet à des visions mystiques qui le menèrent à commettre ce crime. Pour la population blanche cette révolte ravive la crainte d'un soulèvement général des esclaves.
Les habitants considéraient avec raillerie l'éducation des femmes, et l'arrivée de Sarah dans la classe suscita un tollé. L'institutrice refusant de la renvoyer, c'est les parents qui retirèrent leurs filles de l'école. Persévérante, Prudence Crandall prit alors le risque de proposer son enseignement à un public de jeunes filles noires. Cette obstination a été très mal reçue par les habitants qui tentèrent diverses manœuvres légales pour interdire l'école, sans succès.
En s'inspirant de ce fait divers Wilfrid Lupano nous rappelle que le racisme et le patriarcat font durablement partie de l'histoire humaine. L'ambiance onirique des dessins de Stéphane Fert caractérisés par la forte expressivité des personnages ajoute de l'émotion à ce témoignage.

Marlène Métrailler vertigo RTS
Site de l'éditeur

La place

Ernaux Annie, La place. Folio Gallimard, 1983.

Dans ce roman Annie Ernaux rend hommage à son père. Récit d'un déplacement social, le texte raconte la mutation profonde de la société, ici française, au cours du XXe s. L'ascenseur social qui permettait aux jeunes générations de s'affranchir des contraintes de l'existence atténuait la conscience d'inégalités intrinsèques. Lire plus…

Sous le ciel des hommes

Meur Diane, Sous le ciel des hommes . Sabine Wespieser, 2020.

En évoluant sous le ciel hivernal d'un petit pays, synthèse de Suisse et de Luxembourg, des femmes et des hommes en tissent la complexité.

Oui, je pensais d'une part à cette obsolescence de l'homme, à la monstruosité et à la bizarrerie, au fond, d'un modèle de société humaine où l'humain est de trop sauf en tant que consommateur

p. 305

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La charité et l'hôpital

Edin Vincent, Quand la charité se fout de l'hôpital, Enquête sur les perversions de la philanthropie. Rue de l'échiquier, Les incisives, 2021.

Ce volume n'usurpe pas le nom de la collection ! L'essai de Vincent Edin sur les limites de la défiscalisation de la philanthropie et ses conséquences pour l'État démocratique est mordant. Le titre paraîtrait inutilement accrocheur si Brigitte Macron ne patronnait pas la récolte de dons pour les hôpitaux publics de France alors que son mari justifie les restrictions budgétaires du Ministère de la Santé. En mettant en évidence la fragilité des structures de soin, la pandémie de Covid-19 montre les limites de la délégation du financement de certains services que l'on attend de l'État socio-libéral à la philanthropie. Lire plus…

Un garçon comme vous et moi

Jablonka Ivan, Un garçon comme vous et moi. Seuil, La librairie du XXIe siècle, 2021.

C'est dans une recherche historique autobiographique que nous entraine l'auteur. Son parcours singulier de fils d'orphelin de le Shoah est relu avec le filtre des études genre contemporaines. Ce croisement entre un destin collectif et un ressenti intime permet une synthèse de l'évolution sociale en un siècle.

[…] dans les années 1950, on nous garantissait, à nous les garçons, que nous allions forcément rencontrer une guerre en vieillissant. On se construisait avec cette idée de violence et on valorisait l’apprentissage de la bagarre aux poings, même les intellectuels dont j’étais en tant que médecin. Partant, les rôles entre les hommes et les femmes étaient très définis. Depuis les années 1970, la violence a déserté la société occidentale, pour la première fois de son histoire, et la force ne constitue plus un élément de pouvoir, elle a été remplacée par les diplômes obtenus à l’école.

Boris Cyrulnik
Le Temps, 6 mars 2021

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Babylon Berlin

Jysch Arne, Babylon Berlin, Glénat 2018.

L'adaptation du roman de Volker Kutscher permet un voyage dans le temps et dans l'espace : retour à Berlin à la fin des années 1920. L'inspecteur Gereron Rath, arrivant de Cologne, est confronté au cosmopolitisme de la capitale et à une organisation policière tentaculaire. Arne Jysch a particulièrement soigné l'authenticité des lieux et choisit des lavis gris pour nous mettre dans l'ambiance.
Un univers visuel qui nous place du côté de l'autorité permet un autre aperçu du Berlin de l'entre-deux-guerres.

Site de l'éditeur
Caroline Delphin pour planète BD

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L'anomalie

Le Tellier Hervé, L'anomalie. Gallimard, 2020.

Le jury du Goncourt a retenu un roman aussi addictif que troublant pour son édition 2020. En situant les événements dans un proche avenir, Le Tellier peut considérer notre présent avec des notes espiègles.

Tous les vols sereins se ressemblent. Chaque vol turbulent l'est à sa façon. Il est 16h13 quand le vol AF006 Paris–New York, au sud de la Nouvelle-Écosse, voit se dresser devant lui la barrière ouatée d'un immense cumulonimbus.
Le front nuageux se lève, et vraiment vite. Il est encore à un quart d'heure de navigation, mais il s'étend au nord comme au sud sur des centaines de kilomètres, en arc de cercle, et plafonne déjà à près de 45 000 pieds. Le Boeing 787, qui vole à 39 000 et allait amorcer sa descente vers New York, ne saurait y échapper et le cockpit connaît une brusque agitation. Le copilote compare les cartes et le radar météo. Le large front froid nuageux n'était pas signalé, et Gid Favereaux n'est plus seulement surpris, il est franchement inquiet.

p. 49



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La pensée blanche

Thuram Lilian, La pensée blanche. Philippe Rey, 2020.

De son passé de footballeur Lilian Thuram a conservé une notoriété qui l'expose. Sa carrière sportive dans l'équipe dite Black, Blanc, Beurs, victorieuse aux Championnats du monde 1998, une qualification utilisée pour défendre une image de la France multiethnique tranche avec la nécessité de son engagement antiraciste. Par le biais d'une Fondation à son nom, le footballeur est un ardent militant de l'égalité des chances.
Comme de nombreux Français ultramarins, Thuram a découvert sa couleur de peau en arrivant en métropole. Cette prise de conscience, pour lui à 9 ans, a été douloureuse. Les témoignages des Français des territoires d'outremer qui découvrent la métropole convergent : leur couleur de peau en fait des étrangers. À l'inconfort d'un environnement peu familier s'ajoute le sentiment d'être considéré comme de citoyens de seconde zone.

Cette idée commune et perverse de Jules Ferry nous colonisons, par devoir, des peuples qui devraient nous en remercier fait consensus. Elle est enseignée dès l'enfance [...]

p. 99

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La vie joue avec moi

Goli Otok – wikimedia commons

Grossman David, La vie joue avec moi. Seuil, 2020.

L'image occupe une place centrale dans ce nouveau roman de David Grossman. L'image, et non l'imaginaire, qui est capable de figer l'intensité des sentiments et de les ancrer dans la mémoire. C'est parce que les violences subies par Véra n'ont pas pu être posées qu'une fatalité semble planer sur la famille, en particulier sur les femmes Nina et Guili, sa fille et sa petite-fille.
Le film qu'elles préparent avec Raphaël, le beau-fils de Véra, ouvre une autre perspective. Les rushes produits lors de son tournage devront être élagués pour rendre l'histoire compréhensible. Ce sont pourtant les scènes rejetées celles qui entrainent un changement de focale et la révision du scénario qui sont les plus prometteuses.

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Que ton règne vienne

Gonzalez Philippe, Que ton règne vienne : des évangéliques tentés par le pouvoir absolu. Labor et Fides, 2014.

L'enquête sociologique de Philippe Gonzalez “restitue l'ethnographie d'un objet religieux contemporain”. Cette approche permet à l'auteur de proposer un aperçu de la constellation évangélique en Suisse romande.
Ses observations détaillées l'amènent cependant à étendre sa recherche aux entrepreneurs de religion étasunien et à leur rhétorique qui influencent de manière plus active les mouvements évangéliques que les autres églises protestantes. Lire plus…

Johannisnacht

Timm Uwe, Johannisnacht. dtv (1996).

Wie kommen Sie darauf?
Na ja, die Frisur.
Hab ich mir heute schneiden lassen. Ich wollte was über die Kartoffel recherchieren, habe inzwischen viele merkwürdige Geschichten erlebt. Man fängt mit der Kartoffel an und landet ganz woanders und ist dabei selbst auch ein anderer geworden, sieht man ja am Kopf.
Er lachte. Gute Geschichten sind wie Labyrinthe.

p. 197


Karl Marx Allee Berlin

Karl-Marx-Allee Berlin


Le narrateur. écrivain de Münich, en manque d'inspiration n'arrive pas à initier son prochain roman. Il accepte de produire un texte sur la pomme de terre. Ce curieux mandat le mène sur les traces de chercheurs de Berlin qui ont investigué notamment sur les qualités gustatives de ces tubercules.
«Eine turbulente Berlin-Komödie» qui permet à l'auteur hambourgeois un texte plein d'ironie. Timm s'y moquant à la fois de la crédulité du Munichois et des clivages entre Ossis et Wessis qui subsistent dans la capitale fédérale. En exagérant les caractères des protagonistes, il peut se permettre de cibler les excès de la réunification de l'Allemagne.

Und da dachte ich, ich müsse in [Berlin] zurückkommen, aus der ich vor zwanzig Jahren weggegangen war, ich müsse dieses Requiem schreiben, das auch eines über diese Stadt sein sollte.

p. 194

L'auteur situe l'action à la Saint-Jean 1995 alors que la foule se presse pour contempler le Reichstag emballé par Christo et Jeanne-Claude, une œuvre qui contraste avec les descriptifs terre-à-terre des caractéristiques agronomiques des patates. À la recherche de la «Roter Baum», le narrateur fait des rencontres hasardeuses qui mettent en valeur l'attraction qu'exerce Berlin et les personnages hétéroclites qu'on y rencontre.
En trouvant le sens des ultimes paroles de son oncle, un amateur de pomme de terre, le narrateur tient la trame de son prochain roman, déjanté, celui que nous terminons.

Le site de l'éditeur – dtv

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Underground Railroad

Whitehead Colson, Underground Railroad. Le Livre de poche, 2017.

Eastman Johnson, A Ride for Liberty – The Fugitive Slaves, Brooklyn Museum – wikipedia (en)

Brooklyn Museum Ride_for_Liberty Fugitive_Slaves Eastman Johnson
C'est dans les plantations de coton de Géorgie, peu avant la Guerre de Sécession, que nous rencontrons Cora, une jeune esclave dont la grand-mère a été arrachée à l'Afrique. L'héroïne de Colson Whitehead tente de fuir son destin en utilisant les ramifications les plus au sud du réseau clandestin. Cette échappée permet au romancier new-yorkais de brosser un portrait de l'esclavage et de ses conséquences à long terme pour la société américaine. L'auteur montre en particulier une angoisse de perdre le contrôle de la situation, accentuée par la pensée abolitionniste. La fuite de Cora la fait traverser plusieurs Etats dont les politiques d'exploitation, sous couvert d'endiguement des Noirs, diffèrent beaucoup.

Les Blancs étaient venus sur cette terre pour prendre un nouveau départ et échapper à la tyrannie de leurs maîtres, tout comme les Noirs libres avaient fui les leurs. Mais ces idéaux qu’ils revendiquaient pour eux-mêmes, ils les refusaient aux autres. Cora avait entendu maintes fois Michael réciter la Déclaration d'indépendance à la plantation Randall, sa voix flottant dans le village comme un spectre furieux.
Elle n’en comprenait pas les mots, la plupart en tout cas, mais «naissent égaux en droits» ne lui avait pas échappé. Les Blancs qui avaient écrit ça ne devaient pas tout comprendre non plus, si «tous les hommes» ne voulait pas vraiment dire tous les hommes. Pas s’ils confisquaient ce qui appartenait à autrui, qu'on puisse tenir ce bien dans sa main — comme la terre – ou non – comme la liberté.

p. 160

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Fantaisie allemande

Claudel Philippe, Fantaisie allemande, Stock 2020.

Nouvelles ou roman ? Le livre de Philippe Claudel joue avec les codes et déconcerte par son polymorphisme. Son titre même, précise l'auteur, se rapporte davantage à la forme libre qu'à un contenu imaginaire, encore moins qu'à un texte surtout plaisant.

Il avait traversé les récentes années sans se poser de questions. À la faveur de l’avénement du nouvel ordre, il avait obtenu un statut et un respect qui lui avaient été auparavant toujours refusés. En peu de temps, on l’avait extrait de son effacement, de la masse des autres hommes. On lui avait assigné une fonction et un rang. On l'avait usiné. On en avait fait un outil efficace. Des ordres lui étaient donnés. II les exécutait. Il n’avait pas senti venir le chaos.

p. 24-25

Dans une adresse à son public, l'écrivain précise que les cinq volets ont été composés indépendamment et que les liens entre eux l'ont incité à les reprendre pour en créer un roman qui implique le lecteur. Cette vision kaléidoscopique du XXe s. allemand s'articule autour de Viktor, dont on est amené à chercher la toile qui le lie aux autres personnages. Ce réseau met en évidence la pluralité des identités qui se manifestent dans l'Histoire et la construction, puis la désintégration, d'une mémoire.
Lorrain, Claudel est en première ligne pour s'interroger sur les caractéristiques qui différencient l'âme allemande de la narration française. Ce roman, qui montre l'homme sous sa face sombre, devrait nous pousser à nous abstraire des stéréotypes et des généralités.

C'est là sans doute la part la plus diabolique de leur action, et on n’a pas fini d’en découvrir les conséquences : [les nazis] ont exterminé des millions d’êtres humains, mais ils ont œuvré aussi à l’extermination de la mémoire.

p. 115


Site de l'éditeur
Les livres ont la parole (RTL)

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Mendelssohn sur le toit

Weil Jiří. Mendelssohn est sur le toit [précédé de] Complainte pour les 77 297 victimes, Le nouvel Attila, 2020.

Comment rendre compte de la furie antijuive des Nazis ?

Tous résistaient à la mort du mieux qu'ils pouvaient, chacun à sa manière. La mort était le fief des envahisseurs. Ils la célébraient dans leurs chants et leurs marches. Elle était leur meilleure amie. Mais les habitants du pays conquis voulaient vivre.

p. 272

Prague, Rudolfinum – wikimedia

Prague Rudolfinum

C'est la question que l'auteur tchèque Jiří Weil a mis de longues années à mûrir avant d'achever ce roman composé d'une vingtaine de tableaux disparates. Tous ces textes ramènent à l'occupation de la Bohême-Moravie et à la politique d'extermination systématisée des Juifs qui y est menée. Ces tableaux se distinguent par la grande disparité de ton. L'ironie y est fréquente, peut-être pour mieux éluder la violence de l'envahisseur.
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Marie Curie

Milani Alice, Marie Curie, Cambourakis 2019.

Milani Curie
En quelques vignettes méticuleusement choisies, la peintre pisane Alice Milani livre une brève biographie de Marie Curie. Elle rappelle le destin exceptionnel d'une femme qui déborde la condition que son sexe et sa classe lui assignent.
En attribuant la narration à Irène (Joliot-Curie) et Ève (Curie), l'artiste s'offre un espace pour considérer la Prix Nobel dans sa féminité.
La technique d'Alice Milani lui ouvre une large palette de teintes pour traduire les émotions. Ces marqueurs, qui sortent des codes habituels de la bande dessinée, apportent de la profondeur à cette biographie.

Le site de l'éditeur

Peter usw

Lecoultre Alexandre, Peter und so weiter . L'Âge d'homme, 2020.

Opus décalé d'Alexandre Lecoultre sur un rythme très poétique. Les protagonistes, au premier rang desquels Peter, sont des marginaux évoluant dans le microcosme helvétique, autour d'un point de chute, le café du Nord.

Peter lit avec la difficulté, alors plutôt que de déchiffrer le journal, c’est comme ça qu’il se renseigne sur la pluie et le beau temps, en venant écouter les dames parler aux arrêts de tram. Lorsque le temps est incertain, ce qui est souvent le cas, il parcourt plusieurs arrêts, voire des lignes différentes, pour comparer et deviner l’évolution dans la journée.

p. 18

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Âme brisée

Mizubayashi Akira, Âme brisée . Gallimard, 2019.

En jetant des passerelles entre des mondes disjoints Akira Mizubayashi affirme son attachement à des valeurs universelles et intemporelles. La communication entre ces univers distants se fait sur divers modes.
Pour l'auteur japonais, résidant à Tokyo, et écrivain francophone la musique classique serait un élément résonnant par delà les cultures puisque la mélancolie profonde d'un quatuor de Schubert fait non seulement vibrer les étudiants qui le répètent, mais imprègne profondément les protagonistes du roman.

Le thème que je vais jouer est d’après moi l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond avec l'enfance peut-être, un monde en tout cas paisible et serein, plus harmonieux que celui d’aujourd’hui dans sa laideur et sa violence. En revanche, j’entends le motif présenté par l’alto et le violoncelle «tâ... takatakata……, tâ.…. takatakata..…… » comme la présence obstinée de la menace prête à envahir la vie apparemment sans trouble. La mélodie introduite par Kang-san traduit l’angoissante tristesse qui gît au fond de notre cœur...

p. 34



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Comme un homme

Vörös Florian, Désirer comme un homme, Enquête sur les fantasmes et les masculinités. La Découverte. 2020.

Sur sa fiche de présentation de l'Université de Lille, Florian Vörös indique que “[s]es recherches se situent au croisement des Cultural Studies, de l'ethnographie des pratiques numériques et des études de genre et de sexualité”. En publiant un essai sur l'influence de la pornographie dans la socialisation masculine, il traite plus précisément des “représentations culturelles et les expériences vécues des sexualités masculines (plaisir, normes, hiérarchies, violences)” en tenant compte du regard féministe sur les hommes mâles.
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L'odyssée d'Hakim

Toulmé Fabien, L'Odyssée d'Hakim, Delcourt, Encrages (2018–2020)

Toulme Hakim projet
L’Odyssée d’Hakim est un roman graphique singulier : un dessin minimaliste proche de la ligne claire pour raconter une histoire personnelle au plus près des faits. En mars 2015, les migrants affluent vers l'Europe au péril de leur vie et les naufrages se succèdent en Méditerranée dans une relative indifférence. Toulmé s'interroge sur ce traitement médiatique alors que le suicide d'un copilote au commande d'un appareil de Germanwings suscite une immense émotion, probablement parce que le public s'y identifie fortement. Il ne peut accepter ce silence et se lance dans un travail de grande envergure puisqu'il lui faudra trois volumes pour raconter le voyage qui mènera Hakim de Damas à Aix-en-Provence.
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L'Arabe du futur, 1987-1994

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 4 – 1987-1992, Allary Éditions, 2018
Tome 5 – 1992-1994, Allary Éditions, 2020

Arabe Futur 5
La double appartenance française et syrienne de l'auteur, amplifiée par le désaccord parental, est une réalité que connaissent beaucoup d'enfants. L'instabilité du lieu de domicile est aussi un fait que doivent assumer de nombreux élèves avec de fréquentes incidences sur leur scolarisation. Dans la situation de Riad, ces déplacements le confrontent à des systèmes éducatifs fondamentalement différents, puisque fondés sur des conceptions culturelles et politiques opposées.
Le dessin est le moyen pour Sattouf de dépasser ces impasses identitaires.
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Des vies à découvert

Kingsolver Barbara, Des vies à découvert, Rivages 2020.

Barbara Kingsolver situe ce roman à Vineland, New Jersey. Ses références aux origines de cette communauté rappellent des invariants de la politique américaine, une certaine «mythologie» étasunienne.

[Les paysans] refusent de croire qu'on les a abusés en les poussant à amasser leur richesse pour les maîtres de cette ville.
– Aucun homme ne veut entendre qu'il a été un imbécile.
– Mais ils entendent, et ils persistent. Landis leur vend son contrat, ce Vineland égalitaire où tous les hommes ont la même chance, et ils lapent ça comme des chats le lait à leur écuelle. Ils sont tous pour le grand capitaine, alors qu'il les ligote et dévore leur âme et leurs biens. D'une certaine façon, il les amène à se ranger contre leur camp.
– Ils préfèrent se penser bientôt riches plutôt qu'irréversiblement pauvres.

p. 329

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Cinq branches de coton noir

Sente Yves et Cuzor Steve, Cinq branches de coton noir. Dupuis, Aire libre, 2018.

BD coton noir
Le roman graphique de Yves Sente illustré par Steve Cuzor reprend les codes de la bande dessinée pour traiter de la question raciale. Son héros, Lincoln Bolton, est un soldat noir américain de la Seconde guerre mondiale relégué, par sa couleur, dans des tâches subalternes en Angleterre. Désireux comme nombre de ses compatriotes de rejoindre les unités combattantes, il est victime de la ségrégation qui marque profondément toute la société américaine et, en particulier, les corps constitués.
Sente rappelle que le refus de Hitler de serrer la main de Jesse Owens aux Jeux Olympiques de Berlin est plus connu que celui du Président Franklin D. Roosevelt, en campagne pour sa réélection. La crainte que l'engagement patriotique des descendants d'esclaves nécessite une reconnaissance amène un bouleversement sociétal primait sur les considérations stratégiques à court terme. La division des tâches au sein de l'armée rend vraisemblable les discriminations racistes qui parcourent tout l'ouvrage.
Le scénario qui valorise l'engagement de Lincoln et de ses pairs en vue de réhabiliter des Afro-américains paraît cousu de fil blanc : la quête sera fructueuse. En laissant dans l'ombre les branches de coton noir, le scénariste traduit parfaitement son intention de rendre hommage “[à] tous ceux qui se sont battus pour la reconnaissance de l'égalité des races [et à] tous ceux qui, malheureusement, doivent encore le faire, aux États-Unis ou ailleurs”.
Le dessin de Cuzor entretient magnifiquement la tension dramatique et souligne l'héroïsme des protagonistes en donnant au récit un aspect véridique.

Site de l'éditeur
Soldats noirs – Troupes françaises et américaines dans les deux guerres mondiales (centre de recherches ACHAC – Association pour la Connaissance de l’Histoire de l’Afrique Coloniale)

Science

Saint-Martin Arnaud, Science. Anamosa, Le mot est faible, 2020.

La collection Le mot est faible veut “chaque fois, […] s'emparer d'un mot dévoyé par la langue au pouvoir, […] l'arracher à l'idéologie qu'il sert et à la soumission qu'il commande pour le rendre à ce qu'il veut dire.”
Dans un contexte de pandémie, lorsque l'on aimerait être rassuré par des certitudes, il est important de différencier science et intuition.

[…] le bon fonctionnement d'une innovation biomédicale, en particulier quand elle est complexe à manier […] dépend d'un tissu d'institutions et de personnels de santé. La croyance que des solutions techniques simples et miraculeuses peuvent résoudre les problèmes, là même où les systèmes de santé sont défaillants, est un leurre. C'est aussi une leçon pour la crise que nous traversons – dont on ferait bien de se souvenir en attendant le vaccin qui viendra nous sauver du coronavirus.

Guillaume Lachenal
XXI – n° 52, Autopsie d'un vaccin, p.25


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Chère Ijeawele

Adichie Chimamanda Ngozi, Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, Gallimard 2017.

Maintenant que je suis moi aussi mère d'une délicieuse petite fille, je réalise à quel point il est facile de donner des conseils sur la façon d'éduquer un enfant quand on n'est pas réellement confrontée soi-même à l’immense complexité de cette tâche.
Pourtant, je suis convaincue de l'urgence morale qu'il y a à nous atteler à imaginer ensemble une éducation différente pour nos enfants, pour tenter de créer un monde plus juste à l'égard des femmes et des hommes.

p. 12

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Aus den Fugen, en point d'orgue…

Sulzer Alain Claude, Une mesure de trop , Actes Sud, Babel 2013.

Point d'orgue, c'est le titre français que l'auteur aurait aimé pour son roman. Le nom étant déjà utilisé, c'est paradoxalement un intitulé suggérant un ajout qu'il a choisi alors que l'acmé du livre est l'interruption soudaine du récital de Marek Olsberg : Une mesure de trop.

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Il était une fois en France

Nury Fabien et Vallée Sylvain, Il était une fois en France, Glénat 2016.

wiki Joseph Joanovici
L'édition intégrale de la saga du dessinateur Sylvain Vallée et du scénariste Fabien Nury plonge le lecteur dans l'histoire française. Elle est inspirée par l'histoire de Joseph Joanovici, un chiffonnier analphabète devenu milliardaire pendant l'Occupation. Sa biographie, de sa naissance peu documentée en Bessarabie (actuelle Moldavie) à ses trafics avec les nazis et son soutien à la Résistance, tient de la trame d'un bon policier. Sa notice wikipedia accumule les conditionnels et les archives de journaux attestent d'une réputation qui dépasse les frontières françaises.
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Campagnes urbaines

Campagnes urbaines
Hors-série Programme B, BINGE Audio, en partenariat avec le Plan Urbanisme Construction Architecture du ministère de la Transition écologique et du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


Le temps est suspendu dans un éternel recommencement ; cycle des saisons et des déplacements pendulaires, des générations et des virées au centre commercial, rien qui puisse faire figure de progrès. On n’en sort pas, et ces rues qui ne vont nulle part sont, en même temps, illimitées. Ce présent-là a l’arrogance de l’éternel.

Fanny Taillandier
Revue urbanités

En écho aux Années d'Annie Ernaux et aux utopies/dystopies des Mondes (im)parfaits, ces épisodes consacrés aux zones pavillonnaires interrogent sur les déterminismes qui dictent nos comportements sociétaux. Lire plus…

Indisponibilité

Rosa Hartmut. Rendre le monde indisponible. La Découverte 2020.

Philosophe et sociologue, Hartmut Rosa a développé le concept de résonance pour caractériser le besoin, pour son épanouissement, de relation de l'homme au monde. Dans ce court essai il précise le contexte qui rend possible cette ouverture et en quoi la société occidentale contemporaine, malgré tout son potentiel en limite l'accès.

La modernité court le risque de ne plus entendre le monde et, pour cette raison précise, de ne plus s’éprouver elle-même — tel est le bilan de ma sociologie de la relation moderne avec le monde. Elle est devenue incapable de se laisser interpeller et atteindre.

p. 38

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Petit Pays

Petit Pays, d’Eric Barbier (France, Belgique, 2020), avec Jean-Paul Rouve, Djibril Vancoppenolle, Isabelle Kabano, Dayla De Medina, 1h53.

[Le] film m’a rappelé une certaine réalité de la situation dans laquelle je me trouvais : tous les jours amenaient son lot d’angoisses avec le bruit de la guerre qui devient comme une musique de fond.

Gaël Faye
Dossier de presse



Le film d'Eric Barbier est une adaptation fidèle du roman Petit pays de Gaël Faye, même si l'écrivain a été surpris par la violence des images générées par son livre. Fruit d'une collaboration intense entre le réalisateur et Gaël Faye, cette production est avant tout une histoire d'enfance : pour Gaby, le désaccord entre ses parents est plus prégnant que la guerre au Rwanda. Le génocide, vécu à distance à Bujumbura, n'est jamais visible mais il s'insinue sournoisement dans son quotidien.
L'auteur tient à relever qu'en raison de la rareté des archives sur la vie au Rwanda et au Burundi dans les années 1990, le film a une dimension documentaire amplifiée par l'apport des acteurs non professionnels locaux.

Arnaud Robert pour Le Temps
Dossier de presse
Internet Movie Database

L'Arabe du futur 1984-1987

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 2 – 1984-1985, Allary Éditions, 2015
Tome 3 – 1985-1987, Allary Éditions, 2016


Le récit autobiographique d’enfance impose de trouver le moyen d’articuler la perception, parfois naïve et étonnante, qu’a l’enfant des événements avec ce qu’en sait et comprend l’auteur adulte : Riad Sattouf exploite un certain nombre de procédés visuels et littéraires qui permettent de produire des effets parfois pathétiques, souvent comiques, mais aussi presque toujours déstabilisants pour le lecteur.

Riad Sattouf, L'écriture dessinée
Bibliothèque publique d’information / Centre Pompidou


Arabe Futur no3
Nouvelle incursion dans le monde de Riad Sattouf : poursuite de son parcours de vie et insertion dans la société.
L'«Arabe du futur», enfant immigré en Syrie, finit par devoir sortir du cocon familial pour se confronter à son environnement. La scolarité est un tremplin qui, en imposant une rupture, alimente les angoisses enfantines. En jouant sur les codes de la diversité culturelle, Sattouf souligne que l'école représente une injonction à une socialisation normative.
Rétrospectivement, l'auteur en décode les limites et les incohérences. L'enseignante qu'il trouve devant lui n'est pas la femme représentée dans les manuels scolaires. Cette discordance entre les intentions et les faits marque tout l'univers de Sattouf. Lorsqu'il s'agit de religion, les accommodements voire l'hypocrisie des adultes est particulièrement déconcertante pour l'enfant. Cette fausseté n'est pas spécifique à la culture musulmane… comme il le découvre lors d'un long séjour en France durant lequel il vit l'expérience de l'école française.
Le regard de l'écrivain dessinateur est aiguisé par son positionnement entre deux mondes : français/syrien, paternel/maternel, parental/scolaire… En observant ces alternatives, il module sa personnalité dans l'univers que la famille et la société lui ouvrent. Une belle dose de dérision lui permet de dépasser les troublantes inconstances des adultes.

Exposition L'écriture dessinée Centre Pompidou
Riad Sattouf

Mondes (im)parfaits

Maison d’Ailleurs, Yverdon-les-Bains

Schuiten
Quel meilleur lieu que celui dédié à la science-fiction pour s'interroger sur la dystopie, genre qui interroge un avenir désenchanté ?
Les curateurs relèvent qu'utopie et dystopie ne sont pas opposées mais présentent les deux formes d'un monde imaginaire. Ils se fondent sur les caractéristiques des utopies initiées par l'ouvrage de Thomas More en 1516 qui expose La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie.
Les utopies décrivant un monde idéalisé, elles en mettent en évidence l'organisation et les structures. Les dystopies appartiennent aussi au domaine de l'anticipation, mais dans un mode narratif. Ces récits font donc ressortir les failles que présentent le monde conceptuel et souvent clos de visionnaires.
Thomas More Utopia 1518 Universitätsbibliothek Basel
L'univers de François Schuiten et Benoît Peeters est un excellent support pour illustrer les diverses dimensions du futur, rêvé et/ou angoissant. Ils intègrent des éléments architectoniques de notre environnement dans un monde futuriste englobant. La nature s'efface devant la démesure des structures tout en mélangeant une place à l'homme. Cette présence est au cœur du récit ; les personnages ne sont pas les concepteurs de leur environnement, mais y créent un espace de vie.

L'île d'Utopia d'après une gravure de Holbein (Wikimedia commons)



Site de l'exposition

La seule histoire

Julian Barnes, La seule histoire (The Only Story), folio, Le Mercure de France, 2018.

Morris Minor front

Morris Minor

Roman en forme de triptyque.
L'histoire du premier amour de Paul, 19 ans, pour une femme d'âge mûr, l'accompagne pour la vie. Unique par son incongruité, cette alliance enchaîne le narrateur dans une loyauté qu'il lui est difficile d'assumer.
En utilisant pour chacune des sections un pronom différent, Barnes suggère la distanciation de notre perception de nos vies que permet la maturation. Ce procédé, et l'analyse du détachement qu'il entraîne, est sans doute l'aspect le plus attachant de ce roman.

[…] il pensait qu'il ne ferait probablement plus l'amour avant de mourir. Probablement. Possiblement. À moins que. Mais tout bien considéré, non. Pour cela il fallait être deux. Deux personnes, première personne et deuxième personne: je et tu, toi et moi. Mais à présent, la voix tapageuse de la première personne en lui était étouffée. C'était comme s’il regardait, et vivait, sa vie à la troisième personne. Ce qui lui permettait de la jauger plus précisément, pensait-il.

p. 251


Site du Mercure de France
André Clavel pour Le Temps

Théâtre d’ombres de Java

Setyaka, du groupe des Pandavas. Malgré un caractère grossier caractérisé par son visage tourné vers l'avant et ses jambes largement écartées, son visage noir, sa taille étroite, son nez pointu, ses petits yeux et sa bouche fermée montrent qu'il s'exerce à un comportement vertueux.


Théâtre d’ombres de Java, Des histoires sur la vie et le monde. Musée Rietberg

L'espace central de l'exposition est occupé par une cinquantaine de figures du théâtre traditionnel Wayang Kulit de Java. Découpées dans du parchemin perforé et rehaussées de couleurs et d'ors, ces personnages articulés font référence au Mahabharata. Les représentations s'organisent autour de la querelle familiale entre les Kauravas et leurs cousins, les Pandavas tout en intègrent des éléments de la vie quotidienne ou politique actuelle. Le Dalang, l'ombriste, joue un rôle essentiel : non seulement il manipule les figures, mais déroule l'histoire dans le respect des traditions javanaises.
La survivance de ces représentations, attestées dès le XIIe s., dans le contexte largement islamisé de l'Indonésie rappelle la force identitaire des traditions culturelles vivantes.

Site de l'exposition - détail des cartels

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Kader Attia

The Scream – Krankheitsmaske,Buch und Regal, 2016

Kader Attia, Remembering the Future

Artiste français d'origine algérienne, né en 1970, Kader Attia est habitué des espaces interculturels. Pendant son enfance, il fait de fréquents allers-retours entre la banlieue de Paris et l'Algérie. Il partage aujourd'hui son temps entre Berlin, Paris et Alger. Il a aussi vécu au Congo et en Amérique du Sud. Ces diverses expériences nourrissent une œuvre qui interroge la diversité culturelle et, en particulier, la manière dont l'Europe traite son passé colonial.
L'exposition présente divers espaces qui invitent au questionnement.

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Schall und Rauch

Semer à tout vent, Les années folles. Kunsthaus Zürich

Varvara Fyodorovna Stepanova (1894 – 1958)

La Première guerre mondiale est une hécatombe. L'Europe en sort meurtrie et changée. Les mutilés de guerre, les «gueules cassées» notamment, témoignent de la fureur des combats et les traumatismes qui leur sont liés.
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L'impact démographique va profondément modifier la société. La contribution des femmes à l'économie de guerre va leur donner une visibilité. Leur présence sur le marché de l'emploi est nécessaire. Alors que leur habillement est adapté et devient plus fonctionnel, l'apparence des hommes est moins virile. Cette présence féminine accrue dans l'espace public s'accompagne de discussions sur leur rôle politique; le suffrage féminin progresse timidement.
Le fordisme modifie les habitudes et on observe une accélération de la société qui s'observe encore un siècle plus tard ! L'architecture du Bauhaus ou de Le Corbusier modèle de nouveaux espaces de vie.
L'exposition préfère mettre en évidence le polymorphisme de la créativité qu'un mouvement artistique particulier. Ce sont donc des œuvres très diverses qui traduisent ce foisonnement : peinture, sculpture, dessin, photographie, film, collage, mode et design. Cet éclectisme montre une convergence des recherches artistiques malgré la diversité des politiques nationales. Le conflit n'a pas seulement fait des vainqueurs et des vaincus, mais initié un besoin de changements sociétaux pour surmonter les blessures.




Le site du Kunsthaus

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Les enfants du Platzspitz

Les Enfants du Platzspitz, de Pierre Monnard (Suisse, 2020), avec Luna Mwezi, Sarah Spale, Anouk Petri, Delio Malär, Jerry Hoffmann, 1h40.

On pourrait presque dire que la dépendance de Sandrine à l’héroïne est comparable à la dépendance de Mia à [sa mère] Sandrine.

André Küttel (auteur) et Pierre Monnard (réalisation)

À la veille des élections fédérales de 1991, les autorités bernoises et zurichoises décident de fermer les scènes ouvertes de la drogue qui signent l'échec d'une politique surtout répressive de la drogue. La stratégie de libéralisation dans des espaces restreints pour contenir l'expansion de l'addiction avait vécu.
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Le livre des départs

Čolić Velibor, Le livre des départs, Gallimard 2020.

En nous plaçant entre départs et arrivées, l'écrivain francophone d'origine bosniaque nous implique dans la question des identités... et du prix social de l'intégration.

Je m'appelle Velibor Čolić, je suis réfugié politique et écrivain. Entre le ciel et la terre, j'occupe un espace de 107 kilos et de 195 centimètres. Je suis polyglotte. J'écris en deux langues, le français et le croate. Mais il me semble que maintenant j’ai un accent, même en écrivant. C’est ainsi. Ma frontière, c’est la langue ; mon exil, c’est mon accent.
J'habite mon accent en France depuis vingt-six ans. Toute une vie, en fait. Et je me sens bien, tellement bien qu’il m’arrive souvent de penser : tiens, je suis français.

p. 11

Par cette ouverture, l'auteur se présente en individu fort et solide. C'est masquer une fragilité que le narrateur est prompt à dissoudre dans l'alcool. Čolić est cependant conscient que sa situation est plutôt enviable : rien ne le distingue physiquement du Français qu'il aimerait devenir. Ses difficultés d'intégration provoquent pourtant une mélancolie qui le ferait douter des traumatismes subis à la guerre.

Je suis le chien de la gare. Je passe mon temps dans les couloirs malades, obscurs de la gare de Strasbourg. Je découvre et je savoure cette double tristesse, de ceux qui partent et de ceux qui restent, je me déplace à la lisière de deux mondes. J’aère mon exil. Je le sors comme un chien qui renifle des arbres au parc et aboie sur les étoiles.

p. 50

Il découpe son roman en courtes tranches volontiers facétieuses, parfois rustres pour masquer les blessures d'un départ vers une destination si lointaine à atteindre. “Les chapitres sont courts, instables, libres. Des lucioles de [sa] propre autobiographie”.

Site de l'éditeur
Les écrivains face au virus

L'autre moitié du soleil

Adichie Chimamanda Ngozi, trad. de Pracontal Mona, L'autre moitié du soleil, Folio Gallimard, 2018.

Placé sous l'emblème du drapeau biafrais, ce roman de Chimamanda Ngozi Achidie remonte à l'indépendance du Nigeria en 1960 et aux convulsions qui s'en suivirent.

"Good afternoon, sah! This is the child," Ugwu's aunty said.
Master looked up. His complexion was very dark, like old bark, and the hair that covered his chest and legs was a lustrous, darker shade. He pulled off his glasses. "The child?"
"The houseboy, sah."
"Oh, yes, you have brought the houseboy. I kpotago ya." Master's Igbo felt feathery in Ugwu's ears. It was Igbo colored by the sliding sounds of English, the Igbo of one who spoke English often.
"He will work hard," his aunty said. "He is a very good boy. Just tell him what he should do. Thank, sah!"
Master grunted in response, watching Ugwu and his aunty with a faintly distracted expression, as if their presence made it difficult for him to remember something important. Ugwu's aunty patted Ugwu's shoulder, whispered that he should do well, and turned to the door. After she left, Master put his glasses back on and faced his book, relaxing further into a slanting position, legs stretched out. Even when he turned the pages he did so with his eyes on the book.

p. 17-18


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King Kong théorie

Despentes Virginie, King Kong théorie, Grasset, Livre de Poche, 2006.

C'est mon côté classe moyenne, il y a des évidences que je peine à avaler, et je manque tout le temps de subtilité.

p. 76

Essai politique à forte composante autobiographique le texte de Virginie Despentes décoiffe. Plus subtil que le style direct de "cet essai plein de gros mots" –  – le laisse supposer, ce livre interroge la place de la femme dans l'espace public.
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Purple Hibiscus

Adichie Chimamanda Ngozi. Purple Hibiscus. Algonquin Books of Chapel Hill. ed., 2012.

En racontant l'adolescence d'une jeune nigériane dans une famille rigoriste, Chimamanda Ngozi Adichie publie un roman de formation. Le contexte postcolonial d'Enugu lui permet d'aborder différents thèmes politiques et sociaux.
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Moissons funèbres

Ward Jesmyn. Les Moissons Funèbres. 10/18 Globe, L'école des loisirs, 2016

Le privilège de recevoir une bonne éducation et la perspective de grimper un jour l’échelle sociale, je les devais aux mains de ma mère et à son inexorable coup de balai. Tout cela était injuste.

p. 230

Le récit autobiographique de Jesmyn Ward donne un éclairage vibrant sur le racisme ordinaire aux États-Unis. En pleine vague provoquée par la mort violente de George Floyd et le flux d'images symboliques qui l'a suivie, ce texte témoigne de l'importance de l'estime de soi. Lire plus…

L'Arabe du futur

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 1 – 1978-1984, Allary
Éditions, 2014
Arabe futur no1
Fils d'une Bretonne et d'un Syrien venu étudier en France, le jeune Riad est confronté au nationalisme de son père. Ce dernier, détenteur d'un doctorat en histoire, est convaincu de pouvoir faire évoluer le monde arabe en lui apportant l'éducation. Il postule donc à des postes en Libye puis en Syrie où sa famille le suit. Bien qu'ayant apprécié la liberté offerte par la société occidentale, française en l'occurrence, son obsession de la réussite l'aveugle. Impossible pour le père de percevoir les dérives autoritaires de Mouammar Kadhafi et de Hafez Al-Assad.
Dans le premier volume, qui se rapporte à ses six premières années de vie, Riad Sattouf représente un monde dont il perçoit les incohérences. La violence entre pairs, la cruauté envers les animaux sont des éléments qui le retiennent à l'intérieur, dans le monde des femmes. Son père le voudrait viril, même si lui-même ne se montre pas très courageux quand il s'agit de protéger la famille restreinte. Pris entre les rêves de grandeur du père et la réalité d'une vie confinée dans un environnement hostile dont il ne maîtrise pas la langue, Riad évolue dans un contexte incompréhensible pour un enfant. Il voit sa mère s'étioler en se conformant aux injonctions d'un mari soumis à la loyauté familiale, dans le sens large du cousinage au détriment du couple.
Par son langage direct, Sattouf semble régler un compte avec son père. S'il ne l'épargne pas, il s'en prend bien plus sûrement à tous les convaincus de leur supériorité, à tous ceux qui sont aveuglés par leur idéologie.

Ma passion pour mon moyen d'expression m'a sauvé.

RTBF – 28.11.2018


Entrer sans frapper RTBF

Sur ses pas

Vuillème Jean-Bernard. Sur ses pas. Roman. Zoé 2015.

D'où vient la clé que Pablo Schötz trouve peu après ses soixante ans ? Quelle porte ouvre-t-elle ? Ses interrogations l'amènent à retourner dans chacun des lieux où il a été domicilié.

On ne se débarrasse pas de l'enfance, on aimerait toujours baigner dans cet horizon immense, ce temps si vaste, mais il se perd dans cette éternité et on ne le retrouve pas en revenant sur ses pas. Schötz marche vers l'adresse où il a passé les dix premières années de son existence. Il foule le sol de ses premiers pas, longe le trottoir sur lequel un petit garçon poussait sur les pédales de son tricycle. Ce petit garçon n'existe plus, c'était lui, Schötz, on ne le verra pas aujourd'hui reprendre ses anciennes chevauchées sur son tricycle, même adapté à sa taille adulte

p. 26


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Un monstre qui parle

Preciado Paul B. Je suis un monstre qui vous parle. Rapport pour une académie de psychanalystes. Grasset 2020.

Le philosophe Paul B. Preciado est très présent dans les médias. Ses prises de position quant à une rupture en cours, comparable à celle de l'invention de l'imprimerie, ont un écho dans un monde en crise. Son intervention de novembre 2019 au congrès de psychanalystes de l'Ecole de la cause freudienne en France, qui est l'objet de cet essai, rappelle ses thèses dans un registre accusateur.
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Love Me Tender

Debré Constance. Love Me Tender : Flammarion. 2020

Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et un fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser de s'aimer. Pourquoi on ne pourrait pas rompre. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s'en foutre, une fois pour toutes, de l'amour, de l'amour prétendu, de toutes les formes d'amour, même de celui-là, pourquoi il faudrait absolument qu on s'aime, dans les familles et ailleurs, qu’on se le raconte sans cesse, les uns aux autres ou à soi-même.

p. 9

Dans son roman, Constance Debré aborde diverses facettes de l'amour. Contrairement à ce que pourrait laisser attendre le titre ce n'est pas de tendresse dont il est question. "Gender", phonologiquement proche, s'adapterait davantage au contenu, du moins pour celui qui découvre cette autrice.
La fiche Wikipédia situe Mme Debré dans une constellation familiale de notables de la République. Est-ce par loyauté qu'elle est devenue avocate, épouse et mère ? Ces fonctions sont un carcan qu'elle rejette avec vigueur, rompant radicalement avec ce passé pour assumer une autre orientation sexuelle et devenir écrivain.
Love Me Tender développe cette mue, paradoxale et ses conséquences. Aux contraintes de normes sociales et/ou de la loyauté, Constance Debré préfère soumettre son corps à d'autres codes. Le besoin de se forger une nouvelle identité passe par un détachement de soi, allant jusqu'à accepter la précarité matérielle, et la transformation du corps par la pratique soutenue de la natation et son marquage par le tatouage.

Qu'est-ce que j'y peux si je ne les aime plus, si je n'ai plus envie d’elles, qu'est-ce que j’y peux et qu'est-ce qu’elles y peuvent ?

p. 133

Cette démarche n'est pas dénuée d'ambiguïtés. Les références autobiographiques de Love Me Tender ne peuvent que l'exposer aux regards de la société dont elle aimerait se retirer. À mon sens, elle n'est pas dupe de cette équivoque. Sa difficulté à établir une relation sexuelle et amoureuse est une expression de cette fragilité.
Plus encore, éprouver ce qu'un grand nombre d'hommes vit dans les divorces conflictuels, à savoir le soupçon de corruption de son enfant, l'incite à une radicalité dans son existence. Ce corps qui évolue vers l'androgynie évoque le fil entre anorexie amoureuse et boulimie sexuelle.
Love Me Tender est une exhortation à la perpétuation des liens de la filiation quoiqu'il advienne. C'est par la relation à son propre père que la narratrice reconstruit le lien à Paul, son fils. C'est pourtant au maintien de ces fils ténus qu'elle attribue sa difficulté à être pleinement soi.

Le site de l'éditeur
Matthieu Mégevand pour Le Temps

La première pierre

Jourde Pierre. La Première Pierre. Gallimard 2013.

Ce récit témoigne d'un événement à forte charge émotionnelle vécu par Pierre Jourde en un lieu auquel il est très attaché. Dans un précédent texte, Pays perdu, l'auteur avait raconté le coin d'Auvergne dont il est originaire. La situation isolée de ce hameau en fait-elle le berceau d'une idylle ? Lire plus…

Stanislas Nordey

Qui a tué mon père, Lausanne, Théâtre de Vidy

Quand on parle d’un parent mort à la guerre, c’est une histoire que tout le monde peut entendre. Mais comment écrire la mort sociale d’un homme qui fait partie de ceux qu’on appelle les "exclus" ou ceux que les gouvernants nomment "les fainéants", et sur lequel les gouvernements successifs se sont acharnés ? Il y a des morts plus "littéraires" que d’autres.

Édouard Louis

La prestation de Stanislas Nordey, la déclamation du Qui a tué mon père d'Edouard Louis, est une performance qui renforce le propos du livre.
Porte-voix de l'auteur, Nordey est crédible tant dans la restitution des souvenirs de celui qui s'appelait encore Eddy Bellegueule que lorsqu'Edouard Louis souligne la responsabilité des politiciens dans l'exclusion de toute une classe sociale.
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Le mal du voyage

affiche MEN
Musée d'ethnographie de Neuchâtel (MEN)

L'exposition Le Mal du voyage interroge sur l'apport du voyage à la construction de soi. À l'ère du flygskam, la honte de voler, cette présentation incite à trouver un équilibre entre les injonctions sur les manières justes d'entreprendre un voyage et les bénéfices que l'on peut en retirer.
Je retrouve la marque de fabrique du MEN dans la mise en avant de la réflexion philosophique plutôt que celle d'objets de diverses provenances. Cependant, en présentant divers objets-souvenirs, les concepteurs montrent que la production artisanale peut perdurer et se renouveler sous l'influence du tourisme.

Site du Musée
Sylvie Lambelet et Tribu pour la RTS

PS : Emmanuel Gehrig pour Le Temps

Le procès de Viviane Ansalem

Gett – Le procès de Viviane Amsalem, de Ronit Elkabetz et Shlomi Elkabetz (Israël-France-Allemagne 2014), avec Ronit Elkabetz, Simon Abkarian, Menashe Noy, Sasson Gabai, Eli Gornstein, Albert Iluz. 1h55.

Le titre original, gett, acte de divorce en hébreu, claque dans sa brièveté en totale opposition avec le tempo du film qui s'étire jusqu'à en devenir oppressant.
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Bruno Manser

Bruno Manser – La Voix de la forêt tropicale, biopic de Niklaus Hilber (Suisse, 2019), avec Sven Schelker, Nick Kelesau, Elizabeth Ballang, Matthew Crowley, David Ka Shing Tse, 2h21

Bruno Manser Fonds

Bruno Manser dessine et écrit dans son journal en automne 1989. Au premier plan, le gibon Uut. Photo: James Barclay – BMF



Le Gouvernement du Sarawak, état malais, considérait Bruno Manser comme naïf et insensé. Son action était sous-tendue par un certain romantisme, mais pourtant toujours cohérente et réfléchie.
Le succès du biopic Bruno Manser – voix de la forêt tropicale atteste de sa notoriété, vingt ans après sa mystérieuse disparition.

Il faut des personnes qui sont un peu monomanes, qui incarnent une idée et font tout pour transmettre entièrement cette idée à d'autres personnes. Il nous faut de tels visionnaires, il nous faut ces personnes qui non seulement ressentent soudainement une situation comme intolérable, mais qui expliquent et le montrent jusqu'à ce d'autres personnes ressentent aussi ce caractère intolérable.

Ruth Dreifuss
«Bruno Manser: Fasten für den Regenwald»

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La tête haute

La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot (France, 2015), avec Catherine Deneuve, Rod Paradot, Benoît Magimel, Sara Forestier. 1h59.

Encore un film qui montre le monde tel qu'il est… même si nous aimerions occulter cette réalité. Emmanuelle Bercot fait remonter l'origine de cette production au lien créé dans un trio réel constitué d'un jeune délinquant, de son éducateur, l’oncle de la réalisatrice, et d'une juge des mineurs. La force de ce film est d’“ancrer le récit dans un parti-pris radical, en nous concentrant sur le processus éducatif, en sortant le moins possible des structures éducatives qui jalonnent le parcours d’un mineur délinquant.”
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Gloria Mundi

Gloria Mundi, de Robert Guédiguian (France, 2019), avec Ariane Ascaride, Anaïs Demoustier, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, 1h47.

Le hasard du calendrier veut que la sortie suisse de cette production soit programmée à la veille du début de la saison de grèves de l’hiver 2019-2020. Un mouvement qui prend en otages certains employés, à l’image de Sylvie dans le film. Un opus sombre qui invite à la réflexion, si ce n’est à l’engagement politique.

J’ai toujours pensé que le cinéma devait nous émouvoir parfois par l’exemple pour nous montrer le monde tel qu’il pourrait être ; parfois par le constat pour nous montrer le monde tel qu’il est.

Robert Guédiguian
Note d'intention

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Tous, sauf moi

Melandri Francesca, Tous, sauf moi (Sangue giusto), roman. Gallimard, 2019

Le patriarche est sénile, il ne se laisse pas rattraper par la mort à laquelle il pense seul pouvoir échapper. Il éructe parfois quelques paroles énigmatiques. Francesca Melandri nous laisse croire qu'elles sont en lien avec ce jeune homme, noir, qui a frappé à la porte d'llaria, la quarantaine militante, et qui prétend être son neveu.
Le roman tisse des liens entre une chronique familiale lacunaire et l'Histoire de l'Italie, en particulier celle de l'Empire d'Abyssinie. Lire plus…

La Belle et la meute

La Belle et la meute, de Kaouther Ben Hania (Tunisie, 2017), Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli, Noomane Hamda. 1h40.

La nuit de Mariam, détaillée en neuf tableaux, rappelle la condition de la femme dans maintes sociétés.
L'excitation de participer à une fête estudiantine, la joie d'y rencontrer Youssef sont de courte durée. En se mettant à l'écart, Mariam est violée. Désemparée, assistée de Youssef, elle cherche à faire reconnaître ce méfait. Lire plus…

Hors Normes

Hors normes, d’Eric Toledano et Olivier Nakache (France, 2019), avec Vincent Cassel, Reda Kateb, Hélène Vincent, 1h55.

Comédie, feel-good movie il y a de cela dans cet opus d'Eric Toledano et Olivier Nakache. Derrière le recours appuyé aux ressorts de l'émotion, le film aborde une problématique importante, celle de l'accueil de la différence.

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The Rider

The Rider, de Chloé Zhao (Etats-Unis, 2017), avec Brady Jandereau, Tim Jandreau, Lily Jandreau, Mooney Gus, 1h44



la vision du Far West de Chloé Zhao, américaine d'origine chinoise, déroge aux règles du genre. Elle réalise un film impressionnant.

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Une seconde mère

Une seconde mère de Anna Muylaert (Brésil 2015) avec Regina Casé, Michel Joelsas, Camila Márdila, 1h54

Regina Casé incarne magnifiquement une employée de maison de Sao Paolo, Val. Elle a quitté le Nordeste et sa fille pour s’immerger dans la vie bourgeoise de Barbara et Carlos. Elle élève leur fils Fabinho dont elle est la Ia seconde mère. Lire plus…

Chambre 212

Chambre 212, de Christophe Honoré (France, 2019), avec Chiara Mastroianni, Benjamin Biolay, Vincent Lacoste, Camille Cottin, Carole Bouquet, 1h30.

Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.

Code civil, art. 212

Sur le thème de la dissolution du couple, Christophe Honoré réalise un film malin, en déconstruisant les représentations stéréotypées de l'union conjugale.
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No Society

Guilluy Christophe. No Society : La fin de la classe moyenne occidentale. Flammarion, Champs 2019.

Approfondissant son concept de France périphérique, Guilluy livre un verdict sans complaisance de la classe politique occidentale. Selon son analyse, le verdict des urnes qui a surpris l'intelligentsia (même s'il n'utilise pas ce terme) était prévisible. L'élection de Trump, l'acceptation du Brexit, l'effondrement des partis traditionnels seraient la conséquence de la scission entre le monde d'en haut et celui du bas.

La réalité est qu'à chaque élection (cela a été le cas aussi en France) le vote populiste augmente, inexorablement. Quand elles trouvent leur champion, les classes populaires peuvent faire basculer l’échiquier.

p. 41

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Derrière les cases de la mission

Derrière les cases de la mission
L’entreprise missionnaire suisse romande en Afrique australe (1870-1975)
mcah – Musée cantonal d'archéologie et d'histoire – Lausanne

L'attribution des archives du Département missionnaire au Musée cantonal d'archéologie et d'histoire de Lausanne est l'occasion d'une exposition distanciée sur l'effort missionnaire romand. Si elle s'intéresse essentiellement à l'histoire de 1875 à 1925, elle interroge forcément sur notre regard sur l'autre aujourd'hui.
En complément à l'exposition, un espace intitulé La fin de l’innocence questionne particulièrement la notion d'altérité aujourd'hui.
Matthieu Jaccard, son concepteur, est un présentateur enthousiaste de l'ensemble de l'exposition à l'Espace Artaud.

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Le cœur découvert

Tremblay Michel. Le coeur découvert, Roman d'amours. Actes Sud, Babel, 1995.

Le roman de Tremblay, écrit en 1986, alors que la pandémie de SIDA fait des ravages dans les communautés homosexuelles, raconte l’histoire d’amour entre Jean-Marc et Mathieu. Le premier, quarante ans, vit son orientation sexuelle de manière assumée. Mathieu, vingt ans, est marié et père d’un garçon. En découvrant son homosexualité, il en a testé les limites et, bien que sûr de ses préférences, reste ambivalent sur son rôle parental.

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RBG

RBG de Betsy West et Julie Cohen (1 h 38).
Projeté dans le cadre de Planète Femme(s) et en présence de Marie-Pierre Bernel, juge auprès du Tribunal cantonal vaudois.
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Roubaix, une lumière

Roubaix, une lumière, d’Arnaud Desplechin (France, 2019), avec Roschdy Zem, Léa Seydoux, Sara Forestier, Louis Cotterelle, 1h59.

Film épatent, même si la critique relève que Desplechin s'est largement inspiré du documentaire "Roubaix, Commissariat central" ( Telerama.fr). Le réalisateur, né à Roubaix, se souvient de l'impact de ce film : "Ce qui m’a sans doute tant frappé lorsque je découvrais ces images à l’origine de mon film, ce sont ces visages de femmes. Coupables et victimes.” (Note d'intention) Lire plus…

Un autre pays

Baldwin James. Un autre pays. Gallimard, 1964.

Le roman de Baldwin Another Country ramène constamment au thème de l'altérité, dont la ségrégation raciale n'est qu'une forme.

Elle avait toujours beaucoup attendu de Rufus, et la couleur de la peau avait pour elle une importance considérable. Elle dirait: « Tu n'aura!s jamais regardé cette fille, Rufus, si elle avait été Noire. Mais tu ramasserais n'importe quelle ordure blanche parce qu'elle est blanche. Que t'arrive-t-il ? Tu as honte d'être un Noir ? »

p. 47

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Le fracas du temps

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Barnes Julian. Le fracas du temps (The Noise of Time) : Roman. Mercure de France, Folio, 2016.

Chostakovitch en 1950 à Leipzig – Deutsche Fotothek

Davantage qu'un roman bibliographique, Barnes propose une réflexion politique qui questionne le totalitarisme.

[…] si un compositeur est amer, ou désespéré, ou pessimiste, cela veut quand même dire qu'il croit encore en quelque chose. Qu'est-ce qui pourrait être opposé au fracas du temps ? Seulement cette musique qui est en nous – la musique de notre être – qui est transformée par certains en vraie musique. Laquelle, au fil des ans, si elle est assez forte et vraie et pure pour recouvrir le fracas du temps, devient le murmure de l'Histoire.
C'était sa conviction.

p. 172-173

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Sacrifice

Oates, Joyce Carol. Sacrifice : Roman. P. Rey, 2016. Points Seuil

Une excellente tasse de café qui laisse un arrière-goût amer.
Voilà l'image qui me vient en fermant ce livre.

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China Dream

Ma Jian. China Dream. Flammarion, 2019.


Le roman de Ma Jian sonne telle une charge contre la Présidence de Xi Jinping. Aussi grinçante qu'un post de Feng Li sur Instagram… Lire plus…

Pardon pour l'Amérique

Philippe Rahmy (2018). Pardon pour l'Amérique. Paris: La table ronde.

Je cherche ma voix et je la trouve là où ça tremble, grince, gémit.

p. 260

Livre polymorphe que ce texte posthume de Philippe Rahmy. A 10 ans, il avait découvert Baudelaire grâce à une jeune fille au pair. Gaby l'aidait dans les gestes de la vie quotidienne alors que sa maladie des os de verre l'enfermait. Cette ouverture, plus exaltante que les anticipations d'un Jules Verne, pourrait expliquer la forme poétique des textes de Rahmy.

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L'Apollon de Gaza

L’Apollon de Gaza, de Nicolas Wadimoff, avec la collaboration de Béatrice Guelpa (Suisse, Canada, 2018), 1h28.
En présence de Nicolas Wadimoff

Ce 4 mai 2019, des centaines de roquettes sont tirées de la bande de Gaza vers Israël RTS. Cette actualité est habituelle s'agissant de cet étroit territoire disputé dès 1948 au moins.
En 2013 pourtant,
La Repubblica fait état d'une statue d'Apollon retrouvée dans la mer. Le Hamas, mouvement islamiste controversé, aimerait le vendre car impudique. Pour d'autres, ce serait enfin l'occasion de mettre en valeur la richesse du patrimoine culturel et historique.
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Boy Erased

Boy Erased, de et avec Joel Edgerton (Australie, Etats-Unis, 2018), avec Lucas Hedges, Nicole Kidman, Russell Crowe, Xavier Dolan, 1h55.

Le film pourrait être considéré comme drame psychologique s'il n'était pas basé sur le récit autobiographique de Garrard Conley. Sobre, il dénonce les excès d'une société moralisatrice pour laquelle l'homosexualité est la résultante d'un comportement induit par des tares familiales (drogue, alcoolisme, indigence, drogue, etc). Lire plus…

L'origine des autres

Modele Joseph
Morrison Toni. L'origine des autres. Bourgois, 2018.

Théodore Géricault, Étude d'homme, d'après le modèle Joseph (1818-19) dit aussi Le nègre Joseph


En marge de l'exposition Le modèle noir de Géricault à Matisse, l'essai dense de la romancière Toni Morrison permet d'enrichir la réflexion sur le racisme et la race. Sa notoriété de femme noire lui donne un certain crédit dans l'analyse de la construction de l'altérité. Dans une série de conférences prononcées à Harvard, elle étudie le rôle du Noir dans la littérature. Elle relève notamment quelques constances : “Dans une grande partie de la littérature américaine, quand l'intrigue requiert une crise familiale, rien n'est plus répugnant qu'un rapport sexuel consenti entre les races. C'est l'aspect consenti de ces relations qui est rendu scandaleux, illégal et abject." (p. 41).

Qu'est-ce que la race (en dehors de l'imagination génétique) et pourquoi importe-t-elle ? Une fois ses paramètres connus […], quel comportement exige-t-elle/encourage-t-elle? La race est la classification d'une espèce et nous sommes la race humaine, point final.
Alors quelle est cette autre chose : l’hostilité, le racisme social, la fabrication de l'Autre ?

p. 25

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Le modèle noir de Géricault à Matisse

Le modèle noir de Géricault à Matisse - Musée d'OrsayEtude Joseph

Théodore Chassériau, Etude d'après Joseph
Illustrations de l'audioguide

L'altérité est représentée de manière marginale, dans la peinture. C'est peut-être une des raisons qui fait que le public des musées soit si «blanc» et pas seulement grisonnant…
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Sans laisser de trace

Spectacle de Rachid Bouali, interprété par l'auteur et Nicolas Ducron (accordéon, clarinette, ukulélé, saxophone, guitare)

Dans sa note d'intention, Rachid Bouali relève que la thématique de ce spectacle est la frontière. Il fait le parallèle entre le Styx du mythe de Charon et les obstacles qui se dressent sur la route des migrants.
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Des sexes innombrables

Hoquet, T. (2016). Des sexes innombrables : Le genre à l'épreuve de la biologie (Science ouverte). Paris: Seuil.

La question du genre est très actuelle. Qu'il soit question de «mariage pour tous» ou de «l'égalité des droits», la tension entre une évidence naturelle et une construction sociale est omniprésente.

[…] il n'y aurait que du culturel, du social, de l'historique dans les affaires de sexe, mais tout ce relatif est très ordonné : un pesant déterminisme informe les destinées. La variation interindividuelle est domestiquée, canalisée par ce qu'on peut appeler le «système du genre». Comme Barbie et Ken, chacun est tenu d'être identifiable sans avoir à baisser sa culotte. Et malheur à ceux ou celles qui ne se prêtent pas ou mal au jeu, qui ne «performent» pas leur genre comme attendu.

p. 12–13

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If Beale Street Could Talk

Si Beale Street pouvait parler (If Beale Street Could Talk), de Barry Jenkins (Etats-Unis, 2018), avec KiKi Layne, Stephan James, Regina King, Colman Domingo, 1h59.

Tish et Fonny s'aiment; ils recherchent un appartement pour abriter leur amour. La tâche n'est pas aisée pour un couple noir dans le New York des années 1970. Accusé de viol par un policier véreux, Fonny est incarcéré.
C'est en prison qu'il apprend qu'il va devenir père. Tish et sa famille se mobilisent pour tirer Fonny de sa prison. Cette lutte sert de fil conducteur au film. Le “méchant”, blanc, empêche au couple de vivre son bonheur. Ce renversement des rôles n'est pas totalement convaincant…
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Vivre et mentir à Téhéran

Navai Ramita, trad. Cécile Dutheil de la Rochère. Vivre et mentir à Téhéran. 10-18, Stock, 2015.
City of Lies: Love, Sex, Death and the Search for Truth in Tehran


Le récit de Ramita Navai n'est pas sans rappeler ce que Delphine Minoui nous écrivait de Téhéran.
Elevée entre deux cultures, l'auteure nous rappelle ce que la plupart des émigrés vivent : le besoin de se connecter avec leurs racines. Elle sera correspondante du Times à Téhéran et découvre, dans les quartiers périphériques, une réalité très nuancée de la vie iranienne.

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Retour à Reims

Eribon, Didier. Retour à Reims. Flammarion Champs, coll. Essais, 2018.

Dans sa couverture jaune, Retour à Reims, cache quelques clés pour comprendre la crise des gilets fluorescents qui agite la France.

A qui la faute, […] si la signification d'un « nous » […] se transforma au point de désigner « les Français » opposés aux « étrangers », plutôt que les « ouvriers » opposés aux « bourgeois », ou, plus exactement, si l'opposition entre « ouvriers » et « bourgeois », perdurant sous la forme d'une opposition entre « gens d'en bas » et « gens d'en haut » (…), intégra une dimension nationale et raciale, les gens d'en haut étant perçus comme favorisant l'immigration et ceux d'en bas comme souffrant dans leur vie quotidienne de celle-ci, accusée d'être responsable de tous leurs maux ?

p. 135

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39, rue de Berne

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39, rue de Berne, Zoé, 2013

Dipita Rappard, le narrateur, partage quelques similitudes avec l'auteur, Max Lobe : son origine camerounaise, sa connaissance du milieu des Pâquis, son homosexualité.
Les circonstances de son arrivée en Suisse sont pourtant bien différentes de celles de Mbila, la mère de Dipita. Max Lobe est venu de Douala à 18 ans pour y étudier le journalisme puis politique et administration publique.


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Petit Pays

Petit pays : te faire sourire sera ma rédemption
Je t'offrirai ma vie, à commencer par cette chanson
L'écriture m'a soigné quand je partais en vrille
Seulement laisse-moi pleurer quand arrivera ce maudit mois d'avril
Tu m'as appris le pardon pour que je fasse peau neuve
Petit pays dans l'ombre le diable continue ses manœuvres
Tu veux vivre malgré les cauchemars qui te hantentJe suis semence d'exil d'un résidu d'étoile filante

Gaël Faye

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Pour l'amour de Bethléem

Pour l’amour de Bethléem : ma ville emmurée. Vera Baboun. 2016, Bayard

Le livre témoignage de Vera Baboun offre un regard inattendu sur la Palestine. Alors que le Proche-Orient est généralement considéré comme le lieu d'un conflit entre juifs et musulmans, cette femme, qui a dirigé la mairie de Bethléem, affirme avec force sa foi chrétienne. Lire plus…

Vous n'aurez pas ma haine

Vous n'aurez pas ma haine, Texte d'Antoine Leiris, interprété par Raphaël Personnaz et Lucrèce Sassella (piano)
Adaptation et mise en scène de Benjamin Guillard


Strasbourg décembre 2018, Cherif, après maints autres délinquants radicalisés, choisit de semer la mort dans la foule d'un Marché de Noël.
Cet acte, à ses yeux, le transformera en martyr héroïque au terme d'un parcours de vie violent, lui dont le prénom signifie noble, illustre. Lire plus…

Manquent à l'appel

Giorgio Scianna, «Manquent à l’appel», traduit de l’italien par Marianne Faurobert, Liana Levi 2016

Dans une note finale, Scianna indique la genèse de son roman : la fascination d'une certaine jeunesse pour Daech. Comment des adolescents, proches culturellement de l'auteur, peuvent-ils être subjugués par ces "hommes en noir"? Angoissé par ce constat, il réalise que ce n'est pas à l'idéologie que ces individus adhèrent. Lire plus…

Le Tonneau magique

Bernard Malamud, «Le tonneau magique», traduit de l’américain par Josée Kamoun, Rivages

Treize nouvelles, chacune consacrée à des gens ordinaires, artisans fraichement immigrés ou installés de plus longue date.
La plupart de ces portraits publiés en 1959 sondent l'âme humaine et pas toujours sa meilleure part.

Le métro le conduisit jusqu'à la 116e rue, et de là, il s'aventura dans un monde obscur et sans repères. Il était vaste, ce monde, et ses lampes n'éclairaient rien du tout. Partout des ombres, souvent mouvantes. Manischevitz claudiquait en s'appuyant sur sa canne, ne sachant où chercher dans ces immeubles de rapport noircis, scrutant en vain à l’intérieur des boutiques à travers la vitrine. Il y voyait des gens, et ces gens étaient tous noirs - il n'en revenait pas.

L'ange Levine – p. 64-65

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L'école des philosophes

A l’école des Philosophes (Suisse, 2018)

Ce documentaire de Fernand Melgar est un film de commande pour le 60e anniversaire de la Fondation de Verdeil, institution spécialisée qui permet la scolarisation d'enfants et d'adolescents ayant un handicap.
Melgar a suivi pendant une année une classe d'enfants qui débutent leur scolarité à l'école de la Rue des Philosophes à Yverdon. Les parents ont fait preuve d'une belle confiance en acceptant que leur enfant soit filmé dans son évolution. Lire plus…

Reportages de l'autre côté du monde

Gilles Labarthe (éd) Reportages de l'autre côté du monde, 2013, 240 p.

La vingtaine de reportages rassemblés dans cet ouvrage sont clairement engagés. Engagés puisqu'ils sont à contretemps de l'actualité, tout en restant malheureusement actuels. Que ce soit la situation des orpailleurs dans les zones amazoniennes ou la pauvreté en Europe occidentale, les faits traités ici reviennent en une en cas d'accident ou lors de la publication d'une statistique. Lire plus…

Erasmus

Elodie Glerum, «Erasmus», Ed. d’autre part, 156 p.

D'un côté, on incitait les gens à être écolos et à se fabriquer des toilettes sèches, d'un autre, on les encourageait à polluer pour leur bien-être : «Va, prends un vol à cinquante balles, c'est bon pour toi, cette escapade à mille kilomètres !»
L’option la plus raisonnable aurait sans doute été d'atterrir à Liverpool, ce qui ne l'aurait en aucun cas dispensé du long trajet en convoi diesel Arriva, tellement le trou était reculé. Les locomotives puaient, grondaient, pas croyable !

p. 88

Les nouvelles de cette jeune auteure, membre de l'AJAR, sont des écrits de formation. La langue d'Elodie Glerum est en phase avec le monde contemporain, connecté, et ses codes, blogEntryTopper Lire plus…

Journées du patrimoine 2017

Héritages du pouvoir

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Journées du patrimoine 2018

Sans frontières

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Nora Webster

Colm Tóibín, Nora Webster, Trad de l’anglais par Anna Gibson, 10/18, 427 p.

En décrivant la conquête, pas-à-pas, de l’indépendance de Nora Webster, Tóibín rappelle que l’expression d'une personnalité n’est jamais aisée.
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Qui a tué mon père ?

Edouard Louis, «Qui a tué mon père», Seuil, 96 p.

Brièveté du texte, efficacité du propos, éclatement de la syntaxe dans un roman qui clame une reconnaissance.

[…] et il dit Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour avoir une famille comme ça, entre l'autre là
– c'est de moi qu'il parle –
entre l'autre, là, en plus d'un alcoolique qui n'est pas foutu de faire autre chose que boire, boire,
boire,
regarde-le,
il pointe du doigt mon frère,
le raté.

p. 62

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Ni juge, ni soumise

Ni juge, ni soumise, de Jean Libon et Yves Hinant, Belgique, 2017, 1h39

Filmée dans son quotidien, Anne Gruwez, juge d’instruction à Bruxelles, ouvre une porte sur une réalité sociale obscure. Le ton grinçant, le rire aux dépens des justiciables ne met pas forcément à l'aise. Lire plus…

Les vies inégales

Didier Fassin, La Vie – Mode d'emploi critique, Seuil, Paris 2018

Essai en demies teintes… Un titre un brin présomptueux : l'auteur va-t-il nous donner un mode d'emploi pour mener notre vie ou prétend-il en maîtriser tous les aspects ? Le chapitre introductif développant le concept de "formes de vie" aborde diverses approches philosophique de la notion de vie, notamment les approches transcendantale et anthropologique. Les concepts qui y sont développés devraient aider à rendre compte d'un constat : des vies valent plus que d'autres.

Le traitement des êtres humains reflète une politique de la vie fondée sur l'inégale valeur et l'inégale dignité des existences. L'État joue un rôle fondamental dans cette politique. 

p. 143

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Lady Bird

Lady Bird, de Greta Gerwig (Etats-Unis, 2017), avec Saoirse Ronan, Laurie Metcalf, Tracy Letts, Lucas Hedges, Timothée Chalamet, 1h34.

En se créant une identité "Lady Bird" cherche à se faire accepter dans son lycée malgré ce qu'elle juge être des tares… La vie d'une lycéenne comme tant d'autres qui hésite entre conformisme et originalité. Saoirse Ronan (Christine Lady Bird) et de Laurie Metcalf (sa mère) sauvent par leur interprétation un film conformiste… Lire plus…

Sami – Une chronique lapone

Sami – Une chronique lapone, d’Amanda Kernell (Danemark, Suède, Norvège, 2016), avec Lene Cecilia Sparrok, Mia Sparrok, Maj Doris Rimpi, 1h50.

Variation sur la question de l'identité et de la hiérarchisations des valeurs dans la société. Le film laisse aussi découvrir une ligne de faille qui s'insinue dans l'histoire familiale, dans la Suède des années trente. Lire plus…

Stéphane Lathion

Qui est Stéphane Lathion ? Il dévoile son lien avec Tarik Ramadan dans une tribune du Temps Lire plus…

African American Museum in Philadelphia

Fondé à l'occasion du Bicentenaire de la déclaration d'indépendance des Etats-Unis, cette institution était la première à témoigner de l'importance de l'héritage afro-américain de la nation. Sa présence à Philadelphia rappelle l'importance de cette ville dans le combat abolitionniste.

Site du musée

Srebenica, nuit à nuit

Adrien Selbert, réalisateur et photographe, membre de l'agence VU' "découvre" Srebenica en 2005. Depuis il réalise plusieurs reportages dans la région dont ce glauque Srebenica, nuit à nuit qui questionne « Y’a t’il une fin à la fin de la guerre ? »

Pour une poignée de polenta

Vincent Vanoli. Pour une poignée de polenta. Éd. ego comme x
Découvert dans le cadre de l'exposition Albums - BD et immigration au Palais de la Porte Dorée (> présentation de l'exposition) Vanoli fait partie de ses auteurs qui, dès les années 1990, se sont appropriés le thème de l'immigration. Il présente dans un récit autobiographique un pan de son histoire personnelle. En ce 7 mai 2017, jour d'élection présidentielle dans l'Hexagone, c'est un rappel que la migration est constitutive de notre histoire.

Le site de l'auteur

Barakah Meets Barakah

Barakah Meets Barakah (Barakah Yoqabil Barakah), de Mahmoud Sabbagh (Arabie saoudite, 2016), avec Hisham Fageeh, Fatima al-Banawi, Reem al-Habib, Sami Hifny, Khairia Nazmi, Abdulmajeed al-Ruhaidi, Turki Shaikh, Marian Bilal. 1h28.

Barakah est employé de la municipalité de Djeddah et traque les comportements prohibés dans l'espace publique… Bibi et Madame Mayada qui effectuent un shooting de mode sont-elles en infraction ? Sur le ton de la comédie, Sabbagh présente “un film sur l'espace public parce qu'en Arabie Saoudite – particulièrement à Djeddah – il est plein de restrictions et de contraintes. Le film traite des tentatives des jeunes personnages de se libérer de ces restrictions. Mais je voulais aussi garder un ton léger. Le film s'attache plus à la recherche de liberté qu'aux restrictions elles-mêmes.” Ces contraintes contribuent à figer les inégalités – pas seulement de genre – dans cette société.

Dossier de presse de Trigon Films
Internet Movie Database
Critique de Norbert CreutzblogEntryTopper

L'économie du couple

Un huis-clos dans lequel Marie et Boris soldent leur couple et leurs comptes. Lafosse aime partager l'observation de situations tendues, sans manichéisme.

De Joachim Lafosse - 2016
Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn, Marthe Keller

Internet Movie Database

Critique de Norbert Creutz

Impermanence. Le Valais en mouvement

Temps long, temps court. L’évolution du Valais au cours de l’histoire, vue sous diverses thématiques : langues, frontières, développement, géologie,…

Au début du XVIIe s., le Haut-Valais et la Vallée de Conches dominaient le Pays alors que le Chablais était une zone périphérique. Qu’en sera-t’il dans deux siècles ?

Cette exposition à l’Ancien pénitencier de Sion permet, dans le cadre des manifestations du Bicentenaire de l’entrée du Valais dans la Confédération, de réviser quelques stéréotypes sur un Valais catholique, bilingue, immuable au pied du Cervin.

Site des musées cantonaux