Un monde sans enfants
Alors que le spectre de la surpopulation – de la Terre, de la Suisse – imprime encore le logiciel d'une génération, les effets du vieillissement et de la dépopulation préoccupent les prévisionnistes. L'impact d'une population en déclin sera majeur pour la cohésion sociale. Cette inversion, déjà avancée dans les pays d'Extrême-Orient (Japon, Corée, Chine), montre les conséquences économiques de cette évolution.[Les] nations européennes de l'Ouest dirigeaient des empires coloniaux, et envisagent la diversité comme un signe de puissance, une preuve d'attractivité, là où leurs homologues de l'Est ne voient que dilution d'une homogénéité ethnique en perpétuel danger.
p. 144

Stranger in My Own Country
En écho à son livre sur l'identité, le positionnement de Munk vis-à-vis de l'Allemagne est déstabilisant. Autant il analyse aujourd'hui la place donnée aux identités comme destructrice des démocraties, autant son vécu de Juif en Allemagne l'incline à blâmer la politique du pays dans lequel il est né et il a grandi.
Aujourd'hui le politologue a trouvé à New York un lieu où il se sent respecté dans sa complexité.
Lire plus…New York is defined by its newcomers much more than by its natives.
Yascha Mounk
Le piège de l'identité
Les essais du politologue Yascha Mounk questionnent le fonctionnement des démocraties libérales et la pérennité d'un système politique qui a permis une amélioration globale des conditions de vie, sans pour autant être exempt de défauts.
Si les idéologies d'extrême droite sont si dangereuses, c'est qu'elles n'incitent personne à élargir ainsi le cercle de ceux qui méritent notre sympathie. En plaçant des identités culturelles ou ethniques particulières sur un piédestal, elles encouragent au contraire leurs adhérents à valoriser leur groupe par-dessus tout, en particulier par-dessus les droits des étrangers ou la solidarité humaine universelle. Ce que je reproche à la synthèse identitaire est que, à sa façon, elle aussi rend plus difficile d'élargir nos allégeances au-delà d'une identité particulière et d'ainsi assurer la stabilité, la solidarité et la justice sociale.
p. 25
Lire plus…
Les identités meurtrières
Un quart de siècle après sa publication, Les identités meurtrières de Maalouf est plus que jamais actuel. Contrairement au souhait de l'auteur, la fragmentation identitaire augmente dans une société qui s'homogénéise en privilégiant un passé idéalisé à la réalité présente.
Ce sont ces blessures qui déterminent, à chaque étape de la vie, l'attitude des hommes à l'égard de leurs appartenances, et la hiérarchie entre celles-ci. Lorsqu'on a été brimé à cause de sa religion, lorsqu'on a été humilié ou raillé à cause de sa peau, ou de son accent, ou de ses habits rapiécés, on ne l'oubliera pas. J'ai constamment insisté jusqu'ici sur le fait que l'identité est faite de multiples appartenances; mais il est indispensable d'insister tout autant sur le fait qu'elle est une, et que nous la vivons comme un tout. L'identité d'une personne n'est pas une juxtaposition d'appartenances autonomes, ce n'est pas un « patchwork », c'est un dessin sur une peau tendue; qu'une seule appartenance soit touchée, et c'est toute la personne qui vibre.
[…] Au sein de chaque communauté blessée apparaissent naturellement des meneurs. Enragés ou calculateurs, ils tiennent les propos jusqu'au-boutistes qui mettent du baume sur les blessures.p. 36

Ruptures
Sommes-nous au seuil d'une nouvelle grande rupture qui, après les Lumières, va dans la direction des ténèbres, cette fois ?
p. 13
L'ancien conseiller fédéral, aux convictions démocrates-chrétiennes bien affirmées, se désole de la dérive des relations internationales qui consiste, pour les états, à ignorer les principes même sur lesquels ils s'étaient accordés. Les circonstances ayant permis ces traités étant caduques, ils doivent être révisés, comme il est probablement nécessaire, n'en déplaise à l'ancien professeur d'économie, de mieux prendre en compte les externalités pour modifier les règles commerciales au bénéfice de la préservation de la planète.
On peut se demander si le fait d'aménager dans des textes sous forme de traités et conventions les règles du recours à la force, les motifs et procédures pour entrer en guerre, les modalités de conduite des hostilités, la protection des combattants et des non-combattants, le traitement des détenus et des civils, ne conduit finalement pas à une banalisation de la guerre, en faisant accroire qu'il s'agit d'une activité typique, certes régie par des principes clairement définis, réservée aux États, comme toutes les autres tâches qui leur sont dévolues ?
p. 109
Le site de l'éditeur
Une guerre Made in Russia
L'analyse de Sergueï Medvedev sur le pouvoir russe et l'adhésion de la population à sa politique rappelle les limites d'une gouvernance mondiale. Moins optimiste que le regard décalé de Maalouf sur l'état du monde, cet essai relativise les erreurs que le Président Poutine attribue à l'Occident pour justifier son « opération militaire spéciale », une guerre d'agression contre l'Ukraine. Lire plus…L'évidence même de la violence est l'un des principaux acquis de la Russie ces dernières années, la création d'un consensus public tacite, d'une zone de silence autour des crimes de l'État, crimes qui non seulement ne font l'objet d'aucune enquête ni de débats, mais sont acceptés comme les manifestations d'un pouvoir absolu.
p. 74
Le labyrinthe des égarés
Secrétaire perpétuel de l'Académie française, le romancier Amin Maalouf écrit un grand récit qui laisse de l'espoir pour l'avenir. Sa naissance au Liban oriente, littéralement, sa présentation de l'histoire en considérant les réussites et les échecs de modèles non occidentaux : Japon, Russie et Chine.
Lire plus…
Entre le monde et moi
L'ombre de la peur parcourt le manifeste que Ta-Nehisi Coates adresse à son fils adolescent. Un texte dominé par la crainte de son impuissance à protéger la vie noire qu'il a engendrée, par l'appréhension que l'éducation dispensée ne le rende vulnérable.Tout ce que je souhaite, c'est que tu sois un citoyen conscient dans ce monde terrible et beau.
p. 142
Écrit woke qui exprime la révolte de ceux qui avaient cru pouvoir se fondre dans la société américaine et qui restent englués, comme le relevait Banks, dans le grand récit de la race auquel tout se rapporte.À La Mecque, j'ai constaté que nous étions cosmopolites à l'intérieur de notre nation d'exclus.
p. 65
Lire plus…
L'an mil

Lire plus…[…] en l'an 1000, les principaux acteurs étaient différents de ceux de 1492. Certaines régions du monde comme la Chine et le Moyen-Orient s'épanouissaient tandis que d'autres – l'Europe, en particulier – étaient à la traîne. En fait, le monde de l'an 1000 était très semblable au nôtre: les Chinois, les Arabes et les Américains pouvaient rivaliser avec les Européens.
p. 16
Le désir, une philosophie
Excellent communiquant et vulgarisateur, Frédéric Lenoir expose son analyse du désir en intégrant de nombreux exemples personnels. Le désir est moteur de la vie, mais ne peut se limiter à l'acquisition de biens matériels. Convoquant de nombreux philosophes, l'auteur propose diverses voies pour atteindre un équilibre sans se perdre dans ses désirs. Un chemin qui passe par un approfondissement personnel intense ou l'adhésion à des valeurs partagées.
En opposition à Sebastian Dieguez qui considère avec défiance toute « croivance » nous éloignant d'une vérité concrète, Lenoir postule qu'« une croyance religieuse structurante fournit […] à l'être humain un dispositif de sens qui l'aide à vivre et qui répond à son besoin « d'expression mythique », c'est-à-dire son besoin fondamental d'avoir une représentation du monde et de son existence qui satisfasse la totalité de son être (conscient et inconscient). » p. 205.Nous croyons mettre de la conscience sur nos désirs lorsque nous raisonnons. Mais en fait, nous ne faisons bien souvent que rationaliser a posteriori un désir et notre raisonnement est faussé par la force de ce dernier ! Ce phénomène s'observe jusque dans la démarche scientifique.
p. 224-225
Habilement, l'auteur ne culpabilise pas ses lecteurs d'avoir des envies exacerbées par notre mode de vie consumériste. Toutefois ses nombreux exemples personnels agissent comme une injonction au bonheur et à aborder son approche de la pensée de Spinoza ou de Jung.
Site de l'auteur
Site de l'éditeur
Croiver
Présenté comme neuroscientifique, Sebastian Dieguez est chercheur en sciences cognitives et travaille sur la formation des croyances, en particulier l’adhésion aux théories du complot. Un sujet traité sous l'angle politique et sociologique par Antoine Bristielle.
Les formes conjuguées de croire sont si particulières que certains en inventent qui semblent dériver de croiver. Non sans ironie, l'auteur s'empare de cette erreur pour distinguer deux sens du mot croire. Croire quelque chose, c'est le tenir pour vrai, mais croire (ou « croiver ») c'est accepter des vérités certaines comme vérité par adhésion de l'esprit, mais également par acte de volonté. Selon Dieguez, la religion ou les théories du complot nécessitent un engagement de leurs adeptes; un engagement que l'auteur ne juge pas sous l'angle moral.lorsque nous croyons quelque chose, alors nous considérons qu'il y a dans le monde un élément qui rend cette chose vraie. La croyance est donc naturellement orientée et tendue vers le monde : je ne peux pas croire une chose tout en considérant que rien ne la rend vraie, que rien dans le monde ne correspond à son contenu.
p. 35
Lire plus…
Terres complotistes
Les récits de voyage sont fortement imprégnés du temps qui passe. L'essai de Bristielle ne fait pas exception; le Covid-19 ayant accéléré l'adhésion aux théories du complot. En 2024, les raisons avancées par l'auteur pour expliquer l'adhésion à de telles thèses semblent confirmées par la complexe recomposition du paysage politique français après la surprenante dissolution de l'Assemblée nationale.
Lorsque la contestation de l'ordre social établi ne trouve pas de débouchés dans les idéologies traditionnelles et les programmes politiques classiques, la contestation peut être amenée à muter en prenant des formes et des mots d'ordre inhabituels. C'est le cas avec la vision du monde complotiste, qui est en quelque sorte une vision politique « dégradée » pouvant à la fois s'appuyer sur des idéologies traditionnelles de droite et des idéologies traditionnelles de gauche.
p. 57
Lire plus…
L'opposé de la blancheur
Dans un monde chaotique, dominé par la binarité, l'éditeur ose suggérer graphiquement une réflexion en noir et blanc. Une provocation qu'il souligne en évoquant un problème blanc.
Née au Cameroun en 1973, l'autrice a étudié et longuement vécu en France, avant de retourner vivre au Togo, il y a cinq ans. Spécialiste en littérature américaine, elle est une observatrice subtile de la place laissée aux Afrodescendants dans la culture occidentale. Un regard affuté qui la légitime à dénoncer le manque de reconnaissance des Subsahariens en France et à incriminer un excès de victimisation des sociétés africaines.
Lire plus…Ce que la France actuelle, très sécularisée, a conservé de l'époque où elle se faisait l'obligation d'évangéliser les sauvages, c'est la certitude de détenir des vérités révélées. Il faut alors la suivre dans tous ses revirements, ce que les Subsahariens du XXIe siècle ne sont pas pressés de faire, et leur réticence se montrera parfois fanatique.
p. 87
Tokugawa Ieyasu

Après une période d'agitation, l'époque Sengoku des provinces en guerre, sous l'impulsion d'Oda Nobunaga, puis Toyotomi Hideyoshi, et enfin Tokugawa Ieyasu, le Japon est unifié. Alors que Nobunaga naît dans une famille de petits seigneurs (daimyō) de la province d'Owari, Hideyoshi est fils d'un paysan pauvre et le clan Tokugawa fondé par un bonze itinérant.Cette clémence [de Ieyasu] envers ses vassaux est sans doute encore plus intrigante que le fait d'avoir laissé mourir son épouse et son fils. Il estimait peut-être que son statut de chef n'était pas une situation naturelle, mais qu'elle faisait de lui un organe de commandement qui devait oublier son intérêt personnel.
p. 107
Les attaches de ce dernier dans le Mikawa, une province éloignée du raffinement de Kyōto, expliquent les manières rustiques de Ieyasu. Pourtant son attention aux préoccupations de la population et sa loyauté lui ont permis de s'imposer comme commandant du Japon. Son pragmatisme a marqué la famille Tokugawa et s'est perpétué pour toute l'époque Edo, de 1600 à la Restauration Meiji en 1868. Lire plus…
Être à sa place
La mobilité étant inhérente au vivant, ne pas tenir en place paraît plutôt signe de projection dans l'avenir, d'espoir. Cette souplesse, cette capacité d'adaptation sont pourtant considérées avec méfiance parce qu'elles remettent en cause un ordre établi, des loyautés. Une agilité suspecte qui oblige sans cesse à retrouver des équilibres. Lire plus…Penser des mises en place, c'est assigner à chacun une place fixe, l'enfermer dans cette case, épinglé au mur avec son étiquette, comme dans un vieux muséum d'histoire naturelle. Mais cela suppose aussi l'impossibilité que les places soient redistribuées.
p. 31-32
L'empire de l'erreur
La recherche de Bronner consacrée aux erreurs cognitives est révélatrice des tensions dans le champ de la sociologie. L'analyse détaillée des biais, qui trompent notre capacité de jugement, reste, à mon sens, vaine si elle ne permet pas d'envisager de remédier à la (sur)exploitation de notre irrationalité humaine par les algorithmes de recommandation.
Compte tenu des limites sociales et biologiques de notre entendement, et d'un point de vue instrumental, faut-il, pour être rationnel, ne jamais croire que les problèmes sont résolus avant d'être certain d'en avoir trouvé les solutions objectivement bonnes, ou peut-on se contenter, mais en prenant le risque de l’erreur, de n'en chercher que les solutions bonnes du point de vue subjectif ?
p. 133
Lire plus…
La dictature des algorithmes
L'essai de Hoang et Fourquet a des allures de manifeste. Il encourage à reprendre le contrôle de ses sources d'information alors que l'environnement digital, sous couvert d'ergonomie voire de convivialité, tend à proposer les contenus qui paraissent les plus lucratifs plutôt que les plus pertinents.Entre liberté d'expression et censure centralisée, entre chaos décentralisé et dystopie autoritaire, le chemin est (très) étroit. Nous devons pourtant l'emprunter.
p. 132
Les auteurs, militants d'un monde numérique démocratique, critiquent la promotion de contenus dommageables à la cohésion sociale. De même que la rédaction en chef d'une publication met en exergue l'article ou la photo qui appâtera le lectorat, les algorithmes poussent les contenus qui capteront le plus l'attention. Soutenus par l'intelligence artificielle, les algorithmes de recommandation ont une capacité de travail illimitée qui les rend pernicieux.
[…] ce qui semble être un journal tout droit sorti de l'univers d'Harry Potter, chacun en ayant une version entièrement personnalisée, n'a aujourd'hui rien de magique, c'est précisément ce dont sont capables les réseaux sociaux numériques. Leurs rédacteurs en chef surhumains qui ne connaissent pas le burn-out, ce sont les IA de recommandation. Elles sont indispensables pour toute plateforme Web sur laquelle sont uploadés chaque jour davantage de contenus qu'un humain ne peut en visionner.
p. 41
Lire plus…
Préférence nationale
Ce mode d’expression a des exigences. Pour l’auteur, une écriture, une réflexion, un ton. Pour le lecteur, trente minutes d’attention, au lieu de deux ou trois. Pour le format, moins qu’un livre ; plus qu’un article ou un édito. Polémique, s’il le faut, mais sans attaque ad hominen.
Les autrices et auteurs des Tracts assument une pensée située. Ils et elles la mettent en contexte comme Gérard Noiriel s'agissant de la préférence nationale. L'analyse de l'historien coïncide avec celle de Louis Imbert quant à l'origine de l'instrumentalisation de l'immigré au dernier quart du XIXe s.. L'auteur
souligne que ce qui est considéré comme un « problème » n'est pas corrélé avec les chiffres de la population étrangère, mais davantage avec le climat social.
Lire plus…
L'autisme à l'école
Une expérience – forcément singulière – familière des assistant·e·s à l'intégration qui doivent élaborer diverses stratégies au quotidien…
Site de l'éditeur
L'origine
Souvent considérée sous l'angle socio-politique, voire ethnique, l'origine nous relie aussi directement à nos ascendants par la reproduction sexuée.Nous naissons, pour ainsi dire, provisoirement quelque part; c'est peu à peu que nous composons, en nous, le lieu de notre origine pour y naître après-coup et chaque jour plus définitivement.
R. M. Rilke, Lettre milanaise du 23 janvier 1923
cité p. 80
Après avoir cherché une sexualité sans procréation, l'humain utilise désormais des techniques qui permettent de donner la vie sans sexualité. Cette réalité renouvelle le questionnement philosophique en lien avec notre origine. L'impact de ces mutations sur notre psychisme et sur la société intéresse particulièrement François Ansermet dont le domaine de recherche est centré sur la clinique périnatale.
L'origine implique […] l'idée qu'on peut remonter avant soi, implique la génération, la succession entre la génération, ouvrant sur l'infini de ce qui était – mais aussi sur l'inconnu de ce qui sera.
p. 59
Site de l'éditeur
Noire
Porter le nom d'une personne célèbre peut être encombrant, en particulier quand on exerce le même métier. C'est le constat que fait Tania de Montaigne née pourtant près de 450 ans après son illustre homonyme.
Lire plus…Rosa Parks n'est pas Claudette Colvin, parce qu'elle est une victime indéniable, admirable, parce que, de ce fait, elle est tous les noirs. Elle est le miroir tendu, un reflet sans taches, sans ombres. Elle dit à ceux qui la soutiennent leur propre valeur, elle est « bigger than life », plus grande que la vie. Elle est tout à la fois, singulière et universelle.
p. 105
La démocratie a besoin de la religion
Connu pour ses théories de l'accélération et de la résonance, le sociologue et philosophe allemand était l'invité de la Rencontre diocésaine de Würzburg en 2022. Lire plus…L'Église n'est-elle qu'un reliquat d'une autre forme de société et d’une autre forme de relation au monde ?
p. 21
La société de provocation
Alors que la destinée de l'humanité préoccupe de plus en plus de femmes et d'hommes, certains tentent de légitimer leur comportement prédateur et s'arc-boutent contre toute tentative de limiter leur démesure. La dénonciation de la sociologue canadienne Dahlia Namian est cinglante. Alors que les polémistes agitent le spectre du wokisme et que l'on adore se quereller sur les questions de genre, le débat sur ce qui menace réellement société n'a pas lieu.
L'avilissement de l'humanité en nous et la réification conséquente des vies humaines sont des horizons funestes qui s'enracinent dans la même rationalité que celle qui contribue au maintien et au fleurissement de la richesse capitaliste. La mécanique d'accumulation capitaliste, qui repose sur la nécessité d'extraire le plus possible de la nature et des hommes pour engranger le maximum de profits, produit elle aussi quantité d'humains superflus – des existences jetables au même titre que n'importe quel objet de consommation. Pour se maintenir, cette dynamique mortifère requiert l'existence, elle aussi, d'une classe d'hommes et de femmes « ordinaires », capables d'exécuter avec efficacité des tâches en perdant de vue leur finalité et en renonçant, de fait, à la pensée.
– p. 78
Lire plus…
Une langue venue d'ailleurs
Aborder une nouvelle langue comme on apprend un instrument de musique, en faisant ses gammes. Apprendre le français pour échapper aux discours stéréotypés et, selon l'auteur, vides de sens de l'agitation estudiantine japonaise de la fin des années 1960.
Je vis ce jour-là combien les professeurs français pouvaient être éloquents... Évidemment, je ne comprenais pas tout, loin de là. Mais l'éloquence, une grande éloquence était là, qui me semblait contraster avec le vide abyssal de toutes les harangues « révolutionnaires » dont mes oreilles avaient été rebattues et harassées. C'était quelque chose de nouveau, une dimension nouvelle de la langue qui se révélait à moi.
p. 121
Lire plus…
A Brief History of Japan

Temple Anraku-ji, Kyōtō
La spécificité du Japon dans le contexte extrême-oriental provient essentiellement de son insularité. La mer protégeant l'Archipel de grandes invasions mais n'empêchant pas, par le détroit de Tsushima et dans une moindre mesure par Sakhaline, les influences extérieures. Ces dernières se sont exercées par vagues successives et ont occasionné un développement plus discontinu que dans les pays proches.L'aperçu de Clements sur l'histoire japonaise s'adresse explicitement à un large public et adapte son style en conséquence, une forme littéraire qui cherche à garder le lecteur jusqu'à la fin du volume, pas totalement convaincante. Il met toutefois en relation les événements au Japon, en Extrême-Orient et dans les pays industrialisés. Il relève aussi les fragilités qui pèsent sur la politique japonaise au début de ce XXIe s. : l'émancipation de la jeunesse et le changement d'attitude des entreprises, le vieillissement de la population et la dénatalité. Lire plus…
Structures des sociétés humaines
Pour le parodier, je comparerai Lahire à un randonneur soucieux qui a écumé librairies et bibliothèques à la recherche de toute la littérature se rapportant à sa destination, puis a décrit les limites de chacun des documents trouvés; tellement concentré sur ses papiers il en aurait oublié de regarder le paysage. Lire plus…Pour résumer mon propos […] je pourrais dire que les sciences sociales produisent de très nombreux travaux relevant de la « recherche minutieuse », mais peinent à produire des « principes généraux » et, pire encore, rejettent souvent l'idée selon laquelle des « principes généraux » pourraient être formulés. Les chercheurs en sciences sociales sont comme des promeneurs qui découvrent et décrivent les caractéristiques des paysages à travers leurs pérégrinations sur le terrain, mais qui ne possèdent ni carte (ou vision d'ensemble) ni boussole leur permettant de se repérer et de s'orienter.
Une partie d'entre eux prétendent même que voyager à l'aveugle suffit amplement à leur bonheur, tandis que d'autres ajoutent que la carte et la boussole ne sont que des chimères auxquelles ne croient que quelques illuminés.p. 18
Leukerbad 1951 / 2014
James Baldwin, «Un Etranger au village»; Teju Cole, «Corps noir».
En visite à Loèche-les-Bains en 2014, l'écrivain Teju Cole se retrouve dans le village fréquenté par James Baldwin au début des années 1950 et se rapporte à l'essai que ce dernier publia suite à ses séjours. Un passage dans les Alpes valaisannes qui a permis à Baldwin de prendre du recul sur sa condition de noir américain. Les cris des enfants "Neger, Neger" et la curiosité qu'il leur inspire n'expriment pas la même forme de racisme que celle qu'il ressent à New York.
«Il faut concéder à tout cela le charme d'un authentique émerveillement, dans lequel il n'y avait certes pas trace d'une méchanceté intentionnelle, mais pas non plus l'idée que j'étais humain : j'étais simplement une curiosité vivante. » Mais aujourd'hui les enfants ou les petits-enfants de ces enfants sont reliés au monde d'une tout autre façon. Peut-être entre-t-il dans leur vie une part de xénophobie ou de racisme, mais ce qui fait partie de leur vie c'est aussi Beyoncé, Drake et Meek Mill, toute cette musique dont j'entends la pulsation émaner des boîtes de nuit suisses le vendredi soir.
p. 51
Lire plus…
Les ingénieurs du chaos
[L]'objectif est désormais d'identifier les thèmes qui comptent pour chacun, pour ensuite les exploiter à travers une campagne de communication individualisée. La science des physiciens permet à des campagnes contradictoires de coexister en paix, sans jamais se rencontrer, jusqu'au moment du vote. Dans le nouveau monde, la politique devient donc centrifuge. Il ne s'agit plus d'unir les électeurs autour du plus petit dénominateur commun, mais au contraire d'enflammer les passions du plus grand nombre de groupuscules possible pour ensuite les additionner même à leur insu. Les inévitables contradictions contenues dans les messages adressés aux uns et aux autres resteront de toute façon invisibles aux yeux des médias et de l'ensemble du public.
p. 175
Lire plus…
Chaque geste compte
Hodgers Antonio, Manifeste pour une écologie de l'espoir, Georg, 2023.
Nous nous comportons en effet en colonisateurs des générations futures. Nous les privons de leur liberté, de leur santé, peut-être même de leur vie – tout comme les colonisateurs l'ont fait par le passé. Nous imposons les conséquences de nos actes aux humains qui viendront après nous, et ce avec une brutalité et une indifférence qui donnent le vertige. Nous faisons comme s'ils n'étaient pas là, comme si leur pays était le nôtre, comme si leur monde était vide, comme si nous pouvions puiser à notre guise dans les ressources disponibles – eau potable, sol fertile, air sain – sans penser qu'ils pourront en avoir besoin eux aussi. Nous spolions nos petits-enfants, nous dévalisons nos enfants, nous empoisonnons notre progéniture. Mais ce processus se déroule à présent si vite que nous commençons à en ressentir nous-mêmes les effets, dans notre propre chair. Désormais, nous prenons nous aussi des coups. Par un retournement cynique, les feux de forêt, les inondations et la sécheresse sont devenus notre planche de salut. C'est maintenant seulement que nous nous réveillons. C'est maintenant seulement que nous agissons. C'est maintenant seulement que nous nous rendons compte que cela ne peut plus durer.
Un certain consensus commence à émerger s'agissant d'une hausse globale de la température terrestre. Bien que son origine humaine soit communément acceptée, de fortes résistances existent encore. L'acceptation de la responsabilité du développement industriel aurait des conséquences si importantes aux niveaux individuel et collectif qu'elle renforce les résistances. Comment agir intelligemment ?
Lire plus…
Nous colonisons l'avenir
Enoncé dans le cadre des conférence Huizinga de Leiden, le constat de l'historien et essayiste David van Reybrouk relatif au changement climatique est sombre : ces conséquences se font désormais ressentir également pour les populations qui y ont le plus contribué et pourtant l'hémisphère Nord tarde à agir. Lire plus…“Ce n'est pas seulement la beauté qui se perd dans le saccage d'une nature intacte", écrivait Huizinga. Et il ajoutait : "Pourtant, cette beauté est aussi une très grande chose. Celui qui en a fait l'expérience dans sa pleine pureté, ne fût-ce qu'une fois et où que ce soit, sait quelle valeur vitale elle incarne. C'est bien plus qu'un simple arrière-plan idyllique ou romantique qui disparaît lorsqu'un paysage est défiguré. On y perd une part du sens de la vie.”
Johan Huizinga Geschonden wereld (un monde abimé) 1945
cité p. 45
Historien en chef
La collection de Gallimard dans la tradition du Tract, pour diffuser une information interdite, clandestine ou dérangeante sous une forme légère et populaire, brochure ou feuille volante publie ce petit essai au titre polémique sur la recomposition de l'écriture de l'histoire en Russie.
« Depuis le naufrage de l'URSS la Russie en quête d'identité n'a jamais cessé d'interroger le miroir brisé du passé pour essayer de reconstituer une image acceptable, voire positive, de son histoire, capable de lui fournir une boussole dans le difficile processus de transformation en cours ».
La mémoire impossible. La Russie et les révolutions de 1917
Marie Ferretti, citée p. 8

Emancipation de la psychanalyse
Les gender studies, en remettant en cause une perception binaire de la société, suscitent davantage de prises de position clivantes que de réflexions constructives. Dans cet essai, la psychanalyste Laurie Laufer souhaite ramener une certaine raison parmi les psychanalystes.
Dans quelle mesure les théories queers et les études de genre peuvent-elles permettre à la psychanalyse de (re)devenir une subculture ?
p. 179
Lire plus…
Black Church
Martin Luther King Jr. sur les marches du Lincoln Memorial, USMC-09611
Vu d'Europe, le rôle de la religion dans la société étasunienne semble surdimensionné. La convocation de symboles chrétiens dans la vie politique paraît, parfois, davantage un parangon de moralité qu'une conviction profonde. Les valeurs des États-Unis restent profondément ancrées dans le christianisme et plus particulièrement dans le protestantisme établi en Nouvelle-Angleterre, comme le relevait Russell Banks dans son Amérique, notre histoire.Les paradoxes de cet attachement à la religion des esclavagistes, identique à celle de leurs victimes, apparaissent très clairement dans la ségrégation de fait des églises. Le panorama de Gates, en complément d'un documentaire diffusé sur la chaîne publique PBS, met en évidence le rôle du christianisme dans la constitution d'une identité spécifique aux populations africaines-américaines.
I think it is one of the tragedies of our nation, one of the shameful tragedies, that eleven o’clock on Sunday morning is one of the most segregated hours, if not the most segregated hours, in Christian America. I definitely think the Christian church should be integrated, and any church that stands against integration and that has a segregated body is standing against the spirit and the teachings ofJesus Christ, and it fails to be a true witness.
Martin Luther King Jr.
Interview on “Meet the Press”
17 avril 1960

Une histoire du vertige
Le tourbillon médiatique effréné fait se dérober le sol sous nos pas. La succession de crises-sanitaire, politique, économique, climatique,...- et une guerre meurtrière au cœur même du continent européen amplifie cette sensation angoissante.Vertige : subst. masc.
• Sensation angoissante de perte d'équilibre et de chute éprouvée au-dessus du vide qui semble exercer une attraction irrésistible.
• État d'égarement ou d'étourdissement passager d'une personne dominée par une émotion intense ou placée dans une situation difficile.

Absolument la vie
Le récit de Barilier s'apparente à un Tombeau de Monique, son épouse décédée dans l'effacement et la douleur. Le fait que, malgré l'épreuve, elle ait gardé une foi interroge l'auteur qui n'est plus porté par cette croyance.
Mais cette histoire de désenchantement inexorable est une longue histoire qui n'est pas terminée et qui peut-être sera toujours recommencée, car les obstinations de la croyance peuvent toujours avoir raison des évidences du savoir, ô Proust !
p. 58
Lire plus…
Immigration, une crise ?
L'essai synthétique de Louis Imbert rappelle l'historique de la question des étrangers dans le politique française et plus généralement européenne. Les variations d'un vocabulaire toujours acéré sont liées au contexte économique. Plus précisément, les critiques les plus virulentes sont assourdies lorsque tous les bras comptent.
Si la France est un cas d'étude édifiant, la rhétorique d'invasion et de crise n'est pas une exception française. Elle s'est enracinée sous toutes ses formes à travers l'Europe et au-delà. Nombre de leaders populistes s'en sont emparés pour agiter les peurs et conquérir le pouvoir.
p. 72
Lire plus…
Les sacrifices
Lasserre Guy. Les sacrifices dans l’Ancien Testament. Labor et fides, 2022.
Dans le lexique biblique malaisant on trouve les termes péché et sacrifice, deux mots auxquels Labor et Fides a édité un essai en 2022. Le livre de Guy Lasserre étudie dans le détail l'évolution des rituels de sacrifice dans l'Ancien Testament pour en montrer la fonction et pour interroger ce qu'il en reste dans les communautés chrétiennes contemporaines.

Bonne nuit, M. Lénine
Terzani Tiziano. Bonne nuit, Monsieur Lenine, Voyage à travers la fin de l'empire. Intervalles, 2022.
Le journaliste Tiziano Terzani, grand reporter au Spiegel, participe à un voyage professionnel sur le fleuve Amour lorsque l'échec à Moscou du coup d'état contre Gorbatchev signe la fin de l'hégémonie communiste soviétique. Ce récit documentaire n'est traduit en français qu'en janvier 2022, trente ans après l'original italien. Terzani y décrit l'incroyable ignorance réciproque des Russes et des Chinois séparés par le fleuve extrême-oriental.« Le communisme est mort », me répète tout le monde, du secrétaire du parti local, aujourd'hui au chômage, au général qui commandait il y a peu des centaines de milliers de soldats soviétiques dans la région. Pourtant, pour une raison ou une autre, je n'arrive pas à saisir dans ce que je vois l'ampleur de cette annonce d'obsèques, je n'arrive pas à éprouver l'immensité du vide laissé par cette disparition. Oui, le communisme soviétique est mort, mais personne ne semble savoir exactement où, quand ni comment. Personne ne semble le pleurer, ni même se réjouir de sa disparition. Quant au corps, personne ne l'a vraiment vu.
p. 94

Avant le péché
Le concept de péché est considéré avec retenue dans une Eglise réformée qui l'ignore volontiers. Cette réticence amène naturellement l'auteur à s'y intéresser dans la suite de son étude de tabous du Nouveau Testament.
L'importance donnée au péché et la réduction de l'homme à un état de pécheur, initiées notamment par Augustin, laissent des traces dans l'inconscient collectif. Simon Butticaz a pour ambition de rétablir le message évangélique en s'appuyant sur les textes. Il se garde bien pourtant de revendiquer une approche novatrice en multipliant les références – heureusement par des notes ! – à d'autres exégètes.
Sa synthèse souligne l'originalité des messages de Jésus le Christ dans l'environnement judaïque du début de notre ère. Leur diffusion dans le monde hellénistique, opérant une distinction entre l'âme et la chair, a pu induire cette idée de corps contingent et sale.
L'approche des textes par Simon Butticaz montre que l'homme est pécheur lorsqu'il rompt la relation aux autres et qu'il se revendique dieu, dominateur de la création. Une approche résolument libératrice qui ne plaira pas à ceux qui voient la religion comme un carcan pour dominer leurs semblables.autour de Jésus et à sa table, ce sont les joyeuses re-trouvailles des marginaux du judaïsme, « des moutons égarés de la maison d'Israël » qui sont célébrées.
p. 37
Considéré dans sa dimension prioritairement théologique et relationnelle, le péché se résume dans cette formule bien sentie de Jean Zumstein : « Le péché consiste à empêcher Dieu d'être Dieu. » Comment ? En se prenant pour lui, en trônant à sa place.
p. 78
Le site de l'éditeur
Retour à Lemberg
Avocat spécialiste en droit international, Philippe Sands mène de front une carrière de pratricien et de professeur. Son intervention à l'Université de Lviv serait le déclencheur de cette enquête qui nous mène du démembrement de l'Empire austro-hongrois au Tribunal de Nuremberg en 1946. Lire plus…
Camus, l'art de la révolte
L'attitude au mieux est inconsciente, mais ça ne change rien à l'état de fait. Lorsqu'un pays est aveugle à une partie de lui-même depuis trop longtemps, il devient urgent de magnifier, vital de rassembler.
p. 113
La lecture de L'étranger de Camus dans le cadre scolaire a permis à l'auteur de s'arracher à son milieu. L'auteur lui inspire la fidélité à son milieu, celui des cités de Strasbourg, en en devenant le porte-voix. Lire plus…
La grande expérience
Titre étrange choisi par Yascha Monk pour son essai politique relatif à l'évolution déroutante des démocraties libérales occidentales. Ce "Great" m'évoque le slogan phare du trumpisme alors que l'auteur, qui se positionne au centre gauche, a une vision ambitieuse des sociétés multiethniques qui caractérisent l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord.
Pour le citoyen d'une démocratie […] le poids démographique de son groupe affectera sa capacité à peser sur les décisions politiques. Tant qu'il sera dans la majorité, il décidera. Dès qu'il passera en minorité, en raison de l'immigration ou de toute autre forme de changement démographique, les lois qui le gouverneront pourront changer du tout au tout. La logique même de l'autogouvernance, qui pose comme impératif éternel de forger des majorités de votants du même avis, pousse le citoyen à exclure des décisions politiques qui le concernent ceux qu'il considère comme différents de lui. […] Les institutions démocratiques attisent plutôt qu'elles n'apaisent les rivalités entre communautés.
p. 15
Cette aspiration est liée à un parcours personnel orienté vers un idéal de justice. Ses ascendants juifs ont quitté la Pologne à la fin des années 1960 lorsque l'antisémitisme a été réveillé par les leaders du parti communiste. Le poids de cette identité juive lui a ensuite rendu l'Allemagne insupportable et l'a entraîné dans un parcours académique aux Etats-Unis, pays dont il a acquis la nationalité. Lire plus…
Le grand récit
Commandé à l'occasion du centième anniversaire des Presses Universitaires de France, l'essai de Jerôme Chapoutot tient de l'opinion plus que de la recherche. Cette liberté permet à l'auteur d'inscrire son champ d'étude, l'histoire, dans sa pluralité sémantique. Il relève que ce domaine s'est progressivement éloigné du domaine de la littérature pour être intégré aux sciences humaines et sociales. Ce glissement paraît en contradiction avec le besoin humain à participer à une histoire idéalisée.
Lire plus…Les psychoses de conspiration juive contre la chrétienté, le roi, les enfants, etc. ont une longue histoire, attestée au Moyen Age. Elles y voisinent avec d'autres peurs et angoisses dont certaines nous paraissent loufoques aujourd'hui, car elles entrent peu en résonance avec ce que nous savons des XIXe et XXe siècles, et avec ce que nous entendons bruire sur les réseaux sociaux.
p. 228
L'étranger qui vient
Les incohérences qui caractérisent la politique migratoire sont saisissantes. Parmi les états les plus engagés dans l’accueil des Ukrainiens fuyant leur pays en guerre se trouvent de farouches opposants aux migrants de 2015. De même, alors que toute révision législative qui tend à limiter l’immigration par des contraintes administratives est approuvée, la relative lenteur à enregistrer l’arrivée de ces réfugiés est l'objet de critiques.
Cette disparité interroge : bien que l'urgence de la situation soit indéniable, il est difficile de nier le dénuement d’autres arrivants en Europe occidentale.
Toute l'histoire de l'hospitalité montre que, progressivement, la prise en charge – familiale, communautaire, communale – des fonctions de l'hospitalité s'est éloignée de la société pour être déléguée et en même temps diluée dans les charges de l'État. Elle a été remplacée par les droits de l'asile et du réfugié. Puis ces droits eux-mêmes ont été dilués dans les politiques de contrôle des frontières, des territoires et des circulations. Au point qu'on ne les reconnaît plus aujourd'hui, tant ils sont éloignés d'un principe général d'hospitalité.
p. 10-11
Lire plus…
Soleil noir du paroxysme
Spécialiste reconnu de la violence nazie, Christian Ingrao interroge l'interaction de l'histoire avec notre présent. Cette science elle-même évolue avec de nouveaux moyens pour exploiter les sources et des analyses davantage orientées vers la sociologie que sur une lecture événementielle.
Cet essai semble aussi être une réflexion plus personnelle sur l'impact du sujet d'étude sur l'auteur et les perspectives qui s'ouvrent à lui au seuil de la cinquantaine.[…] le nazisme, tel qu'intériorisé par ces militants, se révéla être aussi une promesse : celle de l'avènement, dans le cadre d'un Lebensraum conquis à à l'Est, d'un empire millénaire dotée d'une société harmonieuse, la Volksgemeinschaft, société de la bienveillance, de l'abondance frugale et de la fraternité. Le nazisme, ainsi, générait de la ferveur, de l'attente, constituait une promesse dont il fallait faire advenir la réalisation.
p. 22
Lire plus…
Qui annule quoi ?
Il allait falloir lancer une nouvelle [enquête], établir l'identité des victimes et la cause de leur mort, et personne n'était capable de déterminer quand on pourrait enfin raser, nettoyer et effacer ce lieu des mémoires, même si tout le monde s'accordait à dire qu'il était grand temps.
Colson Whitehead
Nickel Boys, p. 9
Professeure au département des langues européennes de l'UCLA, Laure Murat analyse avec distance le débat français sur le wokisme et la cancel culture. Sa conférence d'août 2021, retranscrite dans ce bref ouvrage, montre que ces concepts ne se rapportent pas exclusivement à l'histoire étasunienne. Ils sont une invitation à considérer l'histoire plus globalement que par le prisme de «grands hommes». Lire plus…
La communauté de ceux qui n'ont rien en commun
Qui est l'étranger qui me fait face ? Le traité de philosophie de Lingis cherche à répondre à ce questionnement essentiel. Nord-américain influencé, dit-il, par la French theory, l’auteur semble être un homme curieux du monde. Il parsème son recueil de photos prises lors de ses voyages asiatiques et ajoute des références aux cultures précolombiennes latino-américaines.
Lire plus…Reconnaître l'autre, c'est respecter l'autre.
Nous pouvons distinguer ici entre ce que nous pouvons appeler la perception en profondeur de l'autre et la sensibilité de surface à l'autre. […] La perception sent […] des tensions, besoins et compulsions qui rident ce front, tendent ces poings, concentrent ces yeux.p. 34
Démocratie

Un bref essai, trop succinct peut-être, pour traiter des forces et des limites de ce système de gouvernement. Fidèle à la ligne éditoriale d'anamosa, l'auteur interroge l'opposition entre les conceptions politique et sociale de la démocratie. Il ne cherche pas à réduire la tension entre ses deux compréhensions, mais montre plutôt le potentiel d'évolution qu'elle permet.
Un des héritages du libéralisme dans les gouvernements représentatifs contemporains est de mettre une limite au pouvoir des législateurs et des gouvernants. Les députés qui votent les lois et les gouvernements qui les exécutent le font dans un cadre constitutionnel et en respectant des principes qu'ils ne peuvent remettre en question et auxquels ils doivent eux-mêmes se soumettre, ce qu'on appelle l'état de droit. Or, si le peuple est lui-même l'auteur de la loi, comment justifier de limiter son pouvoir ? Il existe une affinité entre l'idée que le peuple est l'auteur de la loi et la défense du pouvoir absolu de l’Etat, car rien ne peut justifier que l’on limite le pouvoir du peuple.
p. 23-24
Lire plus…
Le cerveau masculin
Pourquoi la mention du langage inclusif provoque-t-elle autant de débats passionnels ? La norme grammaticale induit une structuration de la société en décalage constant avec la réalité sociale. Les coauteurs mettent en évidence les biais de genre et identifient les règles qui en sont la cause. En inventoriant les pratiques, en français et dans d'autres langues européennes, ils en soulignent les limites.Toutes les langues se transforment au fil du temps, mais ces changements sont lents et mettent souvent beaucoup de temps à s'installer complètement. Ces évolutions sont très intéressantes en elles-mêmes à étudier, mais elles le sont tout autant par ce qu'elles révèlent des contextes qui les ont engendrées. En ce qui concerne le masculin et son statut dominant dans la langue, on peut facilement s'imaginer que les contextes facilitant ces évolutions ont été des contextes imprégnés d'androcentrisme, voire de misogynie. C'est-à-dire des contextes dans lesquels les hommes étaient non seulement considérés comme plus importants, mais également comme supérieurs.
p. 55
Cette recherche en psychologie sociale et en psycholinguistique ne prétend pas distinguer le juste du faux. Elle désigne pourtant les éléments qui dérangent : contestation de l'hégémonie masculine corrélée à l'invisibilisation de la femme notamment dans les professions “prestigieuses”. En évoquant une société non binaire, elle souligne un aspect très contesté, souvent identifié à une volonté de renverser l'ordre social.
Les coauteurs rappellent que la langue est en constante évolution et que l'usage est le plus fréquemment en avance sur la norme. En interrogeant notre utilisation de la langue, ils encouragent à adapter notre expression à la réalité vécue tout en essayant d'éviter les mauvaises réponses à de bonnes intentions.
Les auteurs ont pris soin d'utiliser scrupuleusement un langage inclusif, sans nuire à sa lisibilité. Toutefois, c'est surtout sa nature explicite qui est évidente, d'où une certaine lourdeur didactique…Comme il est relativement difficile de retracer l'origine de l'expression langage inclusif, on en trouve une multitude de définitions. Pour nous, l'expression la plus juste, par rapport à ce que nous venons de dire, serait d'ailleurs langage non exclusif, tant l'utilisation du masculin exclut toutes les personnes qui ne s'identifient pas à la catégorie « homme ». En partant de cette constatation, nous définirons le langage inclusif de manière très large comme « englobant toute forme de langage qui vise à démasculiniser la langue ». Deux types de méthodes entrent dans cette définition : la neutralisation et la reféminisation.
p. 131
Site de l'éditeur
Site de Pascal Gygax
Catherine Frammery pour Le Temps
Parler comme jamais – écriture inclusive : pourquoi tant de haine ?
Tribu – le langage inclusif
État d'urgence technologique
La pandémie de coronavirus a favorisé les solutions technologiques introduites pour tenter de la contenir. Ces outils sont ainsi sortis de l'ombre. Quelques sociétés ont profité de cette opportunité pour améliorer leur image alors que d'autres ont proposé des développements renforçant l'économie de surveillance.
La lecture de cet essai n'est pas recommandée aux paranoïaques... mais illustre l'emprise d'entreprises privées sur nos sociétés. Lire plus…
Vérité ou mensonge
Médecin psychiatre aux Armées, Patrick Clervoy est spécialiste des questions de stress et de traumatismes. En s'intéressant à la vérité pour laquelle d'innombrables conflits ont été engagés, notamment au phénomène d'adhésion collective au mensonge, il dresse un vaste panorama du traitement de l'information et rappelle combien l'alternative du doute constructif est préférable aux opinions tranchées. Lire plus…La dynamique de groupe est un puissant facteur de propagation d'un mensonge. Le groupe exerce sur l'individu des forces suffisamment puissantes pour lui imposer de mentir. Et, passé un seuil, il va le faire à un tel point qu'il aura la conviction que tous ceux qui le contredisent sont des menteurs.
p. 74
Peau noire, masques blancs
Références du post-colonialisme, les pensées du Martiniquais Frantz Fanon ont d'abord suscité un intérêt outre-Atlantique avant d'être reconnues en métropole. L’engagement de Fanon aux côtés des indépendantistes algériens est le geste fort d'une vie intense, abrégée par une leucémie à 36 ans seulement.Le Blanc est enfermé dans sa blancheur.
Le Noir dans sa noirceur.
[…]
Le souci de mettre fin à un cercle vicieux a seul guidé nos efforts.
C'est un fait des Blancs s'estiment supérieurs aux Noirs.
C'est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs coûte que coûte la richesse de leur pensée, l'égale puissance de leur esprit.
Comment s'en sortir ?p. 10
Deux essais se distinguent particulièrement parmi ses nombreux écrits. Les damnés de la terre dans lequel il a mis ses dernières forces témoigne de la violence du conflit algérien analysée sous le prisme de sa pratique de médecin psychiatre.
Lire plus…Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de rechercher en quoi ma race est supérieure ou inférieure à une autre race.
Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d'une culpabilité envers le passé de ma race.
Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de me préoccuper des moyens qui me permettraient de piétiner la fierté de l'ancien maître.
Je n'ai ni le droit ni le devoir d'exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués.
Il n'y a pas de mission nègre; il n'y a pas de fardeau blanc.
[…]
Non, je n'ai pas le droit de venir et de crier ma haine au Blanc. Je n'ai pas le devoir de murmurer ma reconnaissance au Blanc.p. 222
«Ennemis mortels»
L'histoire coloniale de la France et le défi que représente, dès le XIXe s., une forte population musulmane dans l'Empire sont au cœur de l'essai de La Cour Grandmaison. Ce sujet d'étude le confine probablement dans le camp des «islamogauchistes» (voir CNRS). Ce livre permet pourtant de comprendre que le soupçon posé sur les populations musulmanes dans leur ensemble n'est pas conséquence de l'attaque d'islamistes du 11 septembre 2001 sur les États-Unis et des répliques sauvages qui ont suivi et visé les Occidentaux.
Lire plus…Sauvages, les musulmans ? Non, barbares. À la différence du « Noir » qui, réputé sans histoire, sans civilisation et sans religion propre, est relégué au plus bas de la hiérarchie du genre humain, les sectateurs de Mahomet jouissent des unes et des autres. Aussi occupent-ils une position intermédiaire : supérieure au premier mais inférieure à l'Européen, estiment beaucoup de contemporains. Altérisés de façon radicale, c'est-à-dire anéantis en tant que semblables égaux en droit comme en dignité, puis infériorisés, les musulmans se voient imputer une dangerosité polymorphe d'autant plus inquiétante qu'elle affecte, à cause de cela, tous les registres de la vie.
p. 25
L'invention du Japon
Dans un essai érudit, le spécialiste du Japon Philippe Pelletier, géographe de formation, analyse les spécificités de la société nippone en lien avec sa situation spatiale, son histoire et son développement culturel.
Lire plus…Le Japon semble livré à lui-même, sans modèle prescriptif, séducteur et attirant. L'Amérique ne fait plus envie. L'Europe est trop lointaine ou incompréhensible. La Chine dispose d'un parti unique, mais le système démocratique japonais est tel qu'il arrive à quelque chose d'approchant avec l'avantage d'avoir le consentement du peuple électeur malgré la hausse de l'abstention. Les Japonais se retrouvent donc dans une position historique et géographique cruciale : inventer quelque chose de nouveau. Là est le défi.
p. 219
Le goût du vrai
Achevé en juin 2020, le texte d'Etienne Klein a une saveur particulière. La planète a retenu son souffle le temps de la sidération et du confinement, dû à une première vague de Covid-19. Cette période inattendue a donné libre cours à nos irrationalités, une forme d'exutoire à notre incapacité de maîtriser l'épidémie. En exhibant les contradictions de notre société, cette crise montre les vulnérabilités de notre civilisation hautement technologique. Lire plus…L'air du temps, en accusant la science de n'être qu'un récit parmi d'autres, l'invite à davantage de modestie. On la prie de bien vouloir gentiment «rentrer dans le rang» en acceptant de se mettre sous la coupe de l'opinion.
p. 38
Le monstre twitter
Cessons de réagir à tout et n’importe quoi, cessons de nous indigner à tout bout de champ, d’offrir de la visibilité au pire en le pointant du doigt, de se focaliser sur ce seul réseau au détriment de tout ce qui se passe ailleurs.
— Samuel Laurent (@samuellaurent) January 12, 2021
Lorsqu'il s'inscrit en 2008 au réseau à l'oiseau bleu il le fait pour trois raisons, dit-il : la curiosité, l'intérêt professionnel et l'envie de s'amuser. Ce qu'il ignore alors c'est que Twitter, une décennie plus tard ne sera pas loin de le laminer. C’est de cette expérience que traite son essai, un parcours lié à l'évolution des réseaux sociaux et à la modification de leur usage. Lire plus…
Fabrique des pandémies
Quelle réponse donner à la crise sanitaire qui occupe la Terre depuis une quinzaine de mois ?
Les premières semaines nos habitudes ont été bouleversées : limitation drastique de nos déplacements, restrictions au commerce... Parallèlement à ces changements, des élans de solidarité spontanés contredisaient l'égoïsme supposé de nos sociétés. Ces gestes laissaient croire que l'alerte serait significative et qu'elle engendrerait des changements politiques conséquents. C'était sans compter la lassitude induite par une crise se prolongeant, sans envisager surtout les antagonismes, apparemment irréconciliables, qu'elle révèle. Chacun joue sa partition dans une logique de raisonnement en silo. La santé est opposée à l’économie; les régimes autoritaires aux démocraties, les décisions centralisatrices aux délégations régionales, les issues technocratiques à un questionnement holistique, le simplisme à la complexité.
Lire plus…Dans nos sociétés modernes, la santé, c'est la médecine quand on a un problème de virus, on essaie de le contrôler en investissant massivement dans la recherche d'un vaccin, mais on ne se soucie pas de savoir d'où vient cette maladie. L'idée que la santé des humains soit liée à celle de l'environnement est largement méconnue dans les instances dirigeantes.
Anne Larigauderie
p. 97
Penser les religions
Le terme religion évoque rigidité dogmatique, tradition et inertie. Ce sont ces préjugés que Philippe Borgeaud, professeur honoraire d'histoire des religions, déconstruit.
Lire plus…Dans certaines régions du monde et même dans de nombreuses paroisses d'Europe ou des États-Unis, affirmer qu'on peut vivre sans profession de foi ne va pas de soi. Sous le regard attentif de pratiquants qui ne sont pas nécessairement des intégristes, et dont certains ne sont même pas croyants, il paraît incongru de ne pas adhérer à un regroupement religieux. Le plus souvent, et c'est heureux, ces pratiquants affichés ne voient aucun problème à ce que le choix religieux des autres soit différent du leur, mais ils en attendent un chez l'autre aussi.
p.192
La charité et l'hôpital
Ce volume n'usurpe pas le nom de la collection ! L'essai de Vincent Edin sur les limites de la défiscalisation de la philanthropie et ses conséquences pour l'État démocratique est mordant. Le titre paraîtrait inutilement accrocheur si Brigitte Macron ne patronnait pas la récolte de dons pour les hôpitaux publics de France alors que son mari justifie les restrictions budgétaires du Ministère de la Santé. En mettant en évidence la fragilité des structures de soin, la pandémie de Covid-19 montre les limites de la délégation du financement de certains services que l'on attend de l'État socio-libéral à la philanthropie. Lire plus…
Un garçon comme vous et moi
C'est dans une recherche historique autobiographique que nous entraine l'auteur. Son parcours singulier de fils d'orphelin de le Shoah est relu avec le filtre des études genre contemporaines. Ce croisement entre un destin collectif et un ressenti intime permet une synthèse de l'évolution sociale en un siècle.
Lire plus…[…] dans les années 1950, on nous garantissait, à nous les garçons, que nous allions forcément rencontrer une guerre en vieillissant. On se construisait avec cette idée de violence et on valorisait l’apprentissage de la bagarre aux poings, même les intellectuels dont j’étais en tant que médecin. Partant, les rôles entre les hommes et les femmes étaient très définis. Depuis les années 1970, la violence a déserté la société occidentale, pour la première fois de son histoire, et la force ne constitue plus un élément de pouvoir, elle a été remplacée par les diplômes obtenus à l’école.
Boris Cyrulnik
Le Temps, 6 mars 2021
La pensée blanche
De son passé de footballeur Lilian Thuram a conservé une notoriété qui l'expose. Sa carrière sportive dans l'équipe dite Black, Blanc, Beurs, victorieuse aux Championnats du monde 1998, une qualification utilisée pour défendre une image de la France multiethnique tranche avec la nécessité de son engagement antiraciste. Par le biais d'une Fondation à son nom, le footballeur est un ardent militant de l'égalité des chances.
Comme de nombreux Français ultramarins, Thuram a découvert sa couleur de peau en arrivant en métropole. Cette prise de conscience, pour lui à 9 ans, a été douloureuse. Les témoignages des Français des territoires d'outremer qui découvrent la métropole convergent : leur couleur de peau en fait des étrangers. À l'inconfort d'un environnement peu familier s'ajoute le sentiment d'être considéré comme de citoyens de seconde zone.
Lire plus…Cette idée commune et perverse de Jules Ferry nous colonisons, par devoir, des peuples qui devraient nous en remercier fait consensus. Elle est enseignée dès l'enfance [...]
p. 99
Que ton règne vienne
L'enquête sociologique de Philippe Gonzalez “restitue l'ethnographie d'un objet religieux contemporain”. Cette approche permet à l'auteur de proposer un aperçu de la constellation évangélique en Suisse romande.
Ses observations détaillées l'amènent cependant à étendre sa recherche aux entrepreneurs de religion étasunien et à leur rhétorique qui influencent de manière plus active les mouvements évangéliques que les autres églises protestantes. Lire plus…
Comme un homme
Sur sa fiche de présentation de l'Université de Lille, Florian Vörös indique que “[s]es recherches se situent au croisement des Cultural Studies, de l'ethnographie des pratiques numériques et des études de genre et de sexualité”. En publiant un essai sur l'influence de la pornographie dans la socialisation masculine, il traite plus précisément des “représentations culturelles et les expériences vécues des sexualités masculines (plaisir, normes, hiérarchies, violences)” en tenant compte du regard féministe sur les hommes mâles.
Lire plus…
Science
La collection Le mot est faible veut “chaque fois, […] s'emparer d'un mot dévoyé par la langue au pouvoir, […] l'arracher à l'idéologie qu'il sert et à la soumission qu'il commande pour le rendre à ce qu'il veut dire.”
Dans un contexte de pandémie, lorsque l'on aimerait être rassuré par des certitudes, il est important de différencier science et intuition.
[…] le bon fonctionnement d'une innovation biomédicale, en particulier quand elle est complexe à manier […] dépend d'un tissu d'institutions et de personnels de santé. La croyance que des solutions techniques simples et miraculeuses peuvent résoudre les problèmes, là même où les systèmes de santé sont défaillants, est un leurre. C'est aussi une leçon pour la crise que nous traversons – dont on ferait bien de se souvenir en attendant le vaccin qui viendra nous sauver du coronavirus.
Guillaume Lachenal
XXI – n° 52, Autopsie d'un vaccin, p.25
Lire plus…
Chère Ijeawele
Lire plus…Maintenant que je suis moi aussi mère d'une délicieuse petite fille, je réalise à quel point il est facile de donner des conseils sur la façon d'éduquer un enfant quand on n'est pas réellement confrontée soi-même à l’immense complexité de cette tâche.
Pourtant, je suis convaincue de l'urgence morale qu'il y a à nous atteler à imaginer ensemble une éducation différente pour nos enfants, pour tenter de créer un monde plus juste à l'égard des femmes et des hommes.p. 12
Le coup d'état climatique
Transcription de deux conférences données par Mark Alizart à Buenos Aires en 2019, cet opuscule est une charge contre la politique des partis écologistes. Le philosophe note un consensus sur l'existence d'un changement climatique et une grande discordance pour y remédier. Le processus démocratique, parlementaire, ne suffit pas, selon lui, quand les forces capitalistes de l'énergie carbonée ont une stratégie de persévération de leur politique.
Ceux qui s'emploient à aggraver la crise climatique en connaissance de cause nous obligent à faire l'hypothèse qu'ils ne le font pas en dépit de l'effondrement qu'ils risquent de provoquer, mais en vue de le causer
p. 11
Lire plus…
Indisponibilité
Philosophe et sociologue, Hartmut Rosa a développé le concept de résonance pour caractériser le besoin, pour son épanouissement, de relation de l'homme au monde. Dans ce court essai il précise le contexte qui rend possible cette ouverture et en quoi la société occidentale contemporaine, malgré tout son potentiel en limite l'accès.
Lire plus…La modernité court le risque de ne plus entendre le monde et, pour cette raison précise, de ne plus s’éprouver elle-même — tel est le bilan de ma sociologie de la relation moderne avec le monde. Elle est devenue incapable de se laisser interpeller et atteindre.
p. 38
La Suisse et les nazis
Séance de rattrapage : le petit ouvrage de Pietro Boschetti est déjà paru sous ce format en 2010. Il fait une brève synthèse des plus de 11 000 pages de rapports de la commission Bergier.
Il y a 25 ans, à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, la presse israélienne revendique la restitution des fonds déposés en Suisse par des juifs morts dans les camps de concentration, les fonds en déshérence. Cette demande provoque une tempête, en particulier après l'intervention du Sénat américain et du Ministère britannique des affaires étrangères.
Lire plus…Tout se passe comme si la bonne marche des affaires avait prévalu sur toute autre considération. Les dirigeants des grandes banques ont défendu leur position en invoquant le principe de la «liberté des affaires ». Ils ne se sont pas posé la question de savoir si ces prestations contribuaient à faire tourner l’économie de guerre du Troisième Reich. Bref, pour eux c'était du «Business as usual».
p. 100
King Kong théorie
Essai politique à forte composante autobiographique le texte de Virginie Despentes décoiffe. Plus subtil que le style direct de "cet essai plein de gros mots" – Le Figaro – le laisse supposer, ce livre interroge la place de la femme dans l'espace public.C'est mon côté classe moyenne, il y a des évidences que je peine à avaler, et je manque tout le temps de subtilité.
p. 76
Lire plus…
Un monstre qui parle
Le philosophe Paul B. Preciado est très présent dans les médias. Ses prises de position quant à une rupture en cours, comparable à celle de l'invention de l'imprimerie, ont un écho dans un monde en crise. Son intervention de novembre 2019 au congrès de psychanalystes de l'Ecole de la cause freudienne en France, qui est l'objet de cet essai, rappelle ses thèses dans un registre accusateur.
Lire plus…
Finis Terrae
Le sous-titre de cet essai ne pouvait qu’éveiller ma curiosité. La diversité graphique des cartes traduit une signature nationale de ces outils de référence. La volonté humaine de contrôler chaque parcelle de la planète Terre conduit à une saturation d'informations sur les territoires qui implique de trouver des subterfuges pour les communiquer. Le choix de représenter, ou non, certains éléments du paysage renforce leur participation à l'identité culturelle.
Mais aussi exhaustives soient-elles, les cartes laissent une part de mystères en donnant à imaginer leurs interstices.
Ces représentations graphiques de l'espace ont historiquement servi à illustrer le monde, mêlant représentations schématiques et illustrations picturales. Les portulans et les cartes ont servi à décrire les voies maritimes et terrestres. Ce support de planification tend aujourd'hui à être remplacé par des assistants de navigation qui occultent la connaissance du territoire en livrant leurs itinéraires préétablis.[Les] cartes purement fictives parlent aussi de nous, mais plutôt de la disposition de notre esprit à comprendre le monde où nous pourrions vivre plus que celui où nous vivons vraiment, même si l’un n'est parfois que le prolongement de l’autre.
p. 16
Aussi actuelles soient-elles les cartes sont toujours en décalage avec la réalité, labile par essence. Tiberghien rappelle que certaines cartes ont accrédité des hypothèses, notamment le passage du Nord Ouest entre le Pacifique et l’Atlantique, induisant en erreur d'éminents explorateurs.
Dans son essai l'auteur s'intéresse à la genèse des cartes actuelles et à leur fonction de support à la compréhension de l’espace. Il fait une grande place à l'utilisation des concepts cartographiques dans l'art, en particulier en ce qui concerne l'œuvre de Robert Smithson connu pour ses interventions dans le land art. Ces incursions permettent à Tiberghien de questionner les cartes comme support de représentation d'une réalité et comme déclencheur de notre imaginaire.
Toute carte est un rapport complexe entre temps et espace : le temps de la production et celui de la lecture d’une carte, le temps où se situe le cartographe, son univers culturel et historique et celui de l'utilisateur de la carte lié à des préoccupations souvent très pragmatiques, etc., bref la combinaison d'un ensemble de paramètres que résume bien la formule entourée d’un cercle au sommet d’une flèche qui, sur certains indicateurs, pointe un endroit précis du plan : « Vous êtes ici», sous entendant, ipso facto, « maintenant ».
p. 188
Projet Finis Terræ sur l'Île d'Ouessant

Le Nouveau Testament sans tabous
Dans son dernier essai, Simon Butticaz aborde sept thématiques entre sciences sociales et théologie. Ces problématiques conduisent trop souvent à des prises de position dogmatiques, des avis tranchés préjudiciables à l'expression d'une foi fluide donc vivante. Il ne s'agit pas de s'adapter à une mode mais d'accueillir les mutations d'un corps social.
En étudiant des questions politiques et sociales actuelles au regard des textes bibliques, Simon Butticaz montre la force que peut dégager l'Évangile indépendamment de citations réductrices. Son chapitre "le tombeau était-il vide ?", plus fondamentalement théologique, ose interroger sur le cœur de la croyance chrétienne, la foi en la résurrection, la résurrection de la chair (carnis resurrectionem) précisent même certains credo.[Qui] dit lecture critique des Écritures ne vise pas en premier lieu une déconstruction des discours, des pratiques et des valeurs que les auteurs bibliques portent au langage. La critique n’est pas, en premier lieu, celle de la Bible. Ce sont nos préjugés de lecture, nos projections sur les textes, nos horizons d'attente que l’exégèse prend pour cible : l’interprétation critique est un geste d’émancipation ; elle libère la Bible du corset des idéologies qui en retiennent le sens captif et qui en tordent le «nez de cire », selon la jolie expression de Martin Luther. On l’aura compris : il n’y a de lecture respectueuse de la Bible qui ne soit premièrement critique... du lecteur et de la lectrice !
p. 23-24
L'auteur se réfère aux textes de manière critique pour ouvrir toutes les portes. Sa conviction est qu'une foi vivante n'a de sens que si la croyance n'est pas aveugle. La compréhension, par la recherche active de sens, devient acte de foi. En abordant ces tabous notamment la place de la femme, l'homosexualité ou l'esclavage, Simon Butticaz se garde bien d'un relativisme social moderne, qui s'opposerait à une morale conservatrice. Il conserve à l'esprit que la Bible ne contient pas les réponses toutes faites à des problématiques contemporaines et que les valeurs actuelles ne peuvent pas servir de clé de lecture de ce corpus de textes. Son exégèse rigoureuse, parfois subtile, atteint son objectif de nourrir la réflexion.
Le site de l'éditeur
Présentation du livre par l'auteur
Interview de l’auteur sur reformes.ch
Antoine Peillon pour La Croix
Le veau et la diligence
Le narratif est une composante importante de la constitution d'une unité nationale. Professeur émérite de littérature allemande à l’Université de Zürich, l’auteur est légitime pour décrypter cette construction de l’histoire suisse.
Singulièrement, il s’appuie sur l’iconographie pour déconstruire le mythe du Suisse, sauvage heureux dans sa montagne.
Lire plus…[Une] société est plus fortement régie par son imaginaire collectif que par les faits historiques. L'imaginaire ne se soucie pas de l’état de l’évolution historique. Si les faits le contredisent, l'issue n’en est que pire pour les faits eux-mêmes. Ni les résultats de la science, ni les arguments de la raison ne pèsent face à l'imaginaire collectif. Il exerce un pouvoir aussi puissant sur les êtres que les hormones. La Suisse n’est pas un Sonderfall mais elle a simplement un imaginaire particulier.
p. 58
Critique de la violence
Les réflexions de Philippe Lutz m'accompagnent dans mes lectures. Liens qui se tissent entre les livres : passé modeste que Lutz partage avec Tiziano Terzani… Expérience plutôt que dissertations chez ce dernier qui suggère qu'il est “inutile de lire les philosophes allemands”

Et si la police peut paraître partout semblable jusque dans les détails, il ne faut pas finalement se méprendre: son esprit est moins dévastateur dans la monarchie absolue, où elle représente la violence d’un souverain qui réunit en lui l’omnipotence législative et exécutive, que dans les démocraties, où son existence, soutenue par aucune relation de ce type, témoigne de la plus grande dégénérescence possible de la violence.
p. 27
Ce clin d'oeil paraît pertinent après la lecture de cet article traduit de la revue Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik 1920-1921. Benjamin, dans un contexte politique exacerbé, y débat de la légitimité de la violence. Dans une approche toute philosophique, il fait quelques références à la grève, à la guerre et aux révolutions bolchevique et allemande contemporaines. Ces rares incursions concrètes ne suffisent pas à me rendre son essai moins abscons.
Le site de l'éditeur
No Society
Approfondissant son concept de France périphérique, Guilluy livre un verdict sans complaisance de la classe politique occidentale. Selon son analyse, le verdict des urnes qui a surpris l'intelligentsia (même s'il n'utilise pas ce terme) était prévisible. L'élection de Trump, l'acceptation du Brexit, l'effondrement des partis traditionnels seraient la conséquence de la scission entre le monde d'en haut et celui du bas.
Lire plus…La réalité est qu'à chaque élection (cela a été le cas aussi en France) le vote populiste augmente, inexorablement. Quand elles trouvent leur champion, les classes populaires peuvent faire basculer l’échiquier.
p. 41
L'origine des autres

Théodore Géricault, Étude d'homme, d'après le modèle Joseph (1818-19) dit aussi Le nègre Joseph
En marge de l'exposition Le modèle noir de Géricault à Matisse, l'essai dense de la romancière Toni Morrison permet d'enrichir la réflexion sur le racisme et la race. Sa notoriété de femme noire lui donne un certain crédit dans l'analyse de la construction de l'altérité. Dans une série de conférences prononcées à Harvard, elle étudie le rôle du Noir dans la littérature. Elle relève notamment quelques constances : “Dans une grande partie de la littérature américaine, quand l'intrigue requiert une crise familiale, rien n'est plus répugnant qu'un rapport sexuel consenti entre les races. C'est l'aspect consenti de ces relations qui est rendu scandaleux, illégal et abject." (p. 41).
Lire plus…Qu'est-ce que la race (en dehors de l'imagination génétique) et pourquoi importe-t-elle ? Une fois ses paramètres connus […], quel comportement exige-t-elle/encourage-t-elle? La race est la classification d'une espèce et nous sommes la race humaine, point final.
Alors quelle est cette autre chose : l’hostilité, le racisme social, la fabrication de l'Autre ?p. 25
Des sexes innombrables
La question du genre est très actuelle. Qu'il soit question de «mariage pour tous» ou de «l'égalité des droits», la tension entre une évidence naturelle et une construction sociale est omniprésente.
Lire plus…[…] il n'y aurait que du culturel, du social, de l'historique dans les affaires de sexe, mais tout ce relatif est très ordonné : un pesant déterminisme informe les destinées. La variation interindividuelle est domestiquée, canalisée par ce qu'on peut appeler le «système du genre». Comme Barbie et Ken, chacun est tenu d'être identifiable sans avoir à baisser sa culotte. Et malheur à ceux ou celles qui ne se prêtent pas ou mal au jeu, qui ne «performent» pas leur genre comme attendu.
p. 12–13
Retour à Reims
Dans sa couverture jaune, Retour à Reims, cache quelques clés pour comprendre la crise des gilets fluorescents qui agite la France.
Lire plus…A qui la faute, […] si la signification d'un « nous » […] se transforma au point de désigner « les Français » opposés aux « étrangers », plutôt que les « ouvriers » opposés aux « bourgeois », ou, plus exactement, si l'opposition entre « ouvriers » et « bourgeois », perdurant sous la forme d'une opposition entre « gens d'en bas » et « gens d'en haut » (…), intégra une dimension nationale et raciale, les gens d'en haut étant perçus comme favorisant l'immigration et ceux d'en bas comme souffrant dans leur vie quotidienne de celle-ci, accusée d'être responsable de tous leurs maux ?
p. 135
Les vies inégales
Essai en demies teintes… Un titre un brin présomptueux : l'auteur va-t-il nous donner un mode d'emploi pour mener notre vie ou prétend-il en maîtriser tous les aspects ? Le chapitre introductif développant le concept de "formes de vie" aborde diverses approches philosophique de la notion de vie, notamment les approches transcendantale et anthropologique. Les concepts qui y sont développés devraient aider à rendre compte d'un constat : des vies valent plus que d'autres.
Lire plus…Le traitement des êtres humains reflète une politique de la vie fondée sur l'inégale valeur et l'inégale dignité des existences. L'État joue un rôle fondamental dans cette politique.
p. 143
La structure sociale de la Suisse
L'ouvrage de René Lévy inscrit l'analyse des structures sociales de la Suisse dans une dynamique. Cette caractéristique, due peut-être à sa spécialisation dans les parcours de vie, lui donne un intérêt particulier. Les tensions actuelles sont la conséquence d'un processus historique et non le résultat d'une malheureuse circonstance. Bon, ça semble banal, mais ça engage notre responsabilité. Lire plus…
La révolution du plaisir
Quelles sont les conséquences des soulèvements populaires dans le monde arabe sur l’émancipation des femmes et l’évolution des mœurs ? Scientifique au Canada, l'auteure a rencontré des hommes et des femmes pour aborder cette question.
Lire plus…