King Kong théorie

Despentes Virginie, King Kong théorie, Grasset, Livre de Poche, 2006.

C'est mon côté classe moyenne, il y a des évidences que je peine à avaler, et je manque tout le temps de subtilité.

p. 76

Essai politique à forte composante autobiographique le texte de Virginie Despentes décoiffe. Plus subtil que le style direct de "cet essai plein de gros mots" –  – le laisse supposer, ce livre interroge la place de la femme dans l'espace public.

L'autrice dévoile une histoire personnelle compliquée qui impacte fortement son image de soi. La révélation de faits qui ressortent de l'intimité pourrait être interprétée comme un manque de savoir-vivre, d'autant plus dérangeant qu'il est le fait d'une femme, ou pire, une impudeur crasse.
La description d'un viol subi à 17 ans et l'importance de cette agression dans la constitution de sa personnalité rappellent combien la singularité des événements vécus peut orienter une réflexion.
Contrairement à Beatriz P. Preciado qui était sa compagne lors de la parution de cet essai, Virginie Despentes est issue d'un milieu qu'elle qualifie d'extrême gauche. L'assignation de la femme à une position déterminée y est aussi clairement établie que dans les milieux conservateurs. Son adhésion au mouvement punk rock lui permet de sublimer sa difficulté d'identification de genre et a, possiblement, favorisé son déni du traumatisme lié au viol.
En débutant son texte par "J'écris de chez les moches, pour les moches" l'autrice révèle une atteinte à l'image de soi, sans être dupe de sa capacité à se montrer attractive. Elle revêt les atours de la séduction pour se prostituer et découvre alors une autre face de la masculinité.
En abordant la sexualité par sa face sombre, Virginie Despentes en vient à considérer toute l'ambiguïté de la condition féminine. La libération sexuelle tient davantage du discours que de l'émancipation de la femme. Elle affecte également la condition masculine qui, bien que plus avantageuse, est elle-même soumise à des codes contraignants.

On entend aujourd’hui des hommes se lamenter de ce que l'émancipation féministe les dévirilise. Ils regrettent un état antérieur, quand leur force prenait racine dans l’oppression féminine. Ils oublient que cet avantage politique qui leur était donné a toujours eu un coût : les corps des femmes n’appartiennent aux hommes qu’en contrepartie de ce que les corps des hommes appartiennent à la production, en temps de paix, à l’État, en temps de guerre. La confiscation du corps des femmes se produit en même temps que la confiscation du corps des hommes.

p. 27

En revendiquant la liberté de se prostituer, lorsqu'il ne s'agit pas d'une exploitation des corps, et la libéralisation de la pornographie, l'écrivaine pose des actes militants. Constatant que la limitation de ces activités répond davantage à se donner une caution morale qu'à revaloriser la femme, Virginie Despentes, joue de sa notoriété pour se montrer provocatrice. Elle persiste en ironisant sur la revendication de certains à pouvoir diffuser des caricatures religieuses blasphématoires au nom de la modernité et simultanément à s'offusquer de la vision d'un clitoris ou de testicules.
La plume directe et crue vise l'hypocrisie d'une société qui tout en hypersexualisant les corps cherche à les contenir dans leurs élans. Dans un autre registre, Constance Debré relève cet écart entre préceptes moralisateurs et pression consumériste. Leurs regards décalés sur les questions liées au genre ont le pouvoir d'interroger la cohérence de notre société.

Le site de l'éditeur
Isabelle Rüf pour Le Temps
Astrid de Larminat pour Le Figaro