Terres complotistes
Les récits de voyage sont fortement imprégnés du temps qui passe. L'essai de Bristielle ne fait pas exception; le Covid-19 ayant accéléré l'adhésion aux théories du complot. En 2024, les raisons avancées par l'auteur pour expliquer l'adhésion à de telles thèses semblent confirmées par la complexe recomposition du paysage politique français après la surprenante dissolution de l'Assemblée nationale.
Lorsque la contestation de l'ordre social établi ne trouve pas de débouchés dans les idéologies traditionnelles et les programmes politiques classiques, la contestation peut être amenée à muter en prenant des formes et des mots d'ordre inhabituels. C'est le cas avec la vision du monde complotiste, qui est en quelque sorte une vision politique « dégradée » pouvant à la fois s'appuyer sur des idéologies traditionnelles de droite et des idéologies traditionnelles de gauche.
p. 57
Le propos de Bristelle est clairement politique et sociologique. Publiée en février 2022, avant l'intensification de la guerre en Ukraine, son étude analyse l'exacerbation du mécontentement populaire en lien avec les mesures gouvernementales pour juguler la pandémie. Une période d'incertitudes propice à la propagation de théories contradictoires amplifiées tant par des erreurs de communication manifestes des gouvernements – le revirement concernant le port du masque – que par le traitement médiatique des controverses – notamment autour de Didier Raoult.
Nombre de théories complotistes bien établies aux États-Unis – assassinat de Kennedy, attaques terroristes du 11/09/2001,… – servent d'agrégat à une remise en question des institutions. Par opportunisme, certains politiciens se sont emparés de ce créneau; en délégitimant les instances de l'état de droit, ils fragilisent les régimes démocratiques. Bristielle souligne la complexité d'une situation où le fact checking et la dénonciation de thèses complotistes a tendance à renforcer la posture de ceux et celles qui y souscrivent, leur donnant des arguments supplémentaires pour attirer de nouveaux adeptes.
L'auteur considère davantage l'adhésion à ces thèses – loin d'être marginale en France – comme l'expression d'un mécontentement à l'égard des gouvernants qu'une conviction intime. De leur côté, les institutions de pouvoir, traitent souvent ces manifestations au premier degré et réduisent ces oppositions, avec mépris, à leur composante les plus fantasques. “Alors que la démocratie est censée garantir un débat apaisé entre des opinions adverses, la configuration actuelle de nos institutions fait que ces deux blocs ne sont plus simplement adversaires, ils sont antagonistes et ennemis.” (p. 203)Cette vision complotiste du monde se caractérise par trois éléments. D'une part, c'est une vision politique du monde ; d'autre part, il s'agit en grande partie de la mutation d'une forme de populisme; enfin, il s'agit davantage d'une idéologie « dégradée », prenant appui sur des idéologies existantes et présentant davantage un constat du monde que des pistes de solution.
p. 48
Les mutations de la société libérale, en favorisant les croyances individuelles au détriment des éléments structurants (religion, partis, syndicats, par exemple) ont permis l'essor du complotisme en réduisant le degré de confiance dans les institutions et la généralisation du soupçon. Les attentes de la population – s'agissant notamment du minimum vital – sont probablement plus grandes, créant pour de nombreux citoyen·ne·s le sentiment d'abandon et une attitude de défiance.
Antoine Bristielle souhaite le rétablissement d'une confiance des Français avec leurs autorités et éviter que la défiance des administrés se reportent sur des institutions plutôt respectées (police, éducation et santé). Outre l'introduction de la proportionnalité dans l'élection de l'Assemblée et de mécanismes référendaires, il propose de diminuer la focalisation sur l'élection présidentielle en convoquant simultanément les électeurs au scrutin législatif. Un vœu pieux lorsque l'on considère le processus électoral de l'été 2024.
Site de l'éditeur
L'auteur sur le site de la Fondation Jean Jaurès