Sacrifice

Oates, Joyce Carol. Sacrifice : Roman. P. Rey, 2016. Points Seuil

Une excellente tasse de café qui laisse un arrière-goût amer.
Voilà l'image qui me vient en fermant ce livre.

La manière dont Joyce Oates introduit les personnages permet dès les premières pages de prendre conscience de leur position sociale. Elle alterne entre précisions qui situent le décor et le contexte et allusions qui maintiennent le suspense.
L'excellente tasse de café, c'est l'écriture, la tension narrative…
L'environnement sordide, conséquence des émeutes de 1967, le supposé laxisme de l'enquête correspondent aux préjugés et réduisent l'événement à une forme de banalité. En donnant la parole aux témoins successifs (la voisine, la mère, l'urgentiste, l'enseignante, etc.), Oates amène une complexité bienvenue.
Il ne s'agit d'un fait divers, traité comme tel, si et seulement si ses acteurs sont socialement précarisés. Sybilla, bien qu'ayant mentionné un « flic blanc », est toujours restée évasive sur ce qu'elle a subi. Ednetta Frye fait barrage pour protéger autant sa fille qu'elle même. La rencontre entre S'billa, sa mère, et le Révérend Marus Mudrick et son frère avocat, Byron, est déterminante. Elle va transformer cette agression en un événement médiatisé, sensible.

Fille noire, flics blancs, enlèvement, viol, agression, abandonnée à la mort.
Très vite cela devint un poème. Une incantation. Ces quelques mots répétés encore et encore.
« Il y a ce “Rasoir d'Ockham” : il dit que plus on simplifie quelque chose, plus c'est efficace. Plus cela paraît urgent, plus ce sera entendu. Et plus on le dit avec colère, plus l'émotion suscitée est grande. »

p. 201

Joyce Oates “racialise” certains protagonistes, notamment l'inspectrice de police qui paraît trop blanche aux Afro-américains et trop noire à ses collègues. Ce faisant, elle montre le piège qui consiste à réduire un être humain à sa carnation. C'est par cette même démarche que le Synecdoche de Byron Kim montre que la Nation ne saurait se réduire à la couleur de la peau de chacun de ses membres.

Et pourtant, pour les Hispaniques américains elle était « trop blanche»: pas seulement son apparence, mais sa façon de parler, ses manières…
Depuis l'adolescence, elle cherchait à triompher des limites grossières de l'identité. Couleur de peau, origines ethniques, sexe. Je suis tellement plus que la personne que vous voyez. Donnez-moi une chance ! Vers vingt ans, Ines Iglesias avait sans doute eu la vague idée - idéaliste - de servir les autres, servir le pays.

p. 108

Les frères Mudrick paraissent instrumentaliser l'agression et prétendent au déni de justice fait à Sybilla. La vénalité du Révérend, son influence auprès des Afro-américains amènent ce petit goût amer : les Noirs se saisiraient-ils donc de toute occasion pour se mettre en position de victimes ?
Apprendre que le roman est largement inspiré de l'affaire Sharpton – Brawley, non complètement élucidée à ce jour, permet toutefois de louer l'habileté de l'écrivaine qui, à partir d'un fait divers, aborde la thématique des désordres raciaux urbains.

André Clavel pour Le Temps
Nathalie Crom pour Télérama
L'affaire Sharpton - Brawley
Commentaire de Byron Kim sur Synecdoche (Whitney Museum)