Être à sa place

Marin Claire. Être à sa place : habiter sa vie, habiter son corps. Éditions de l’Observatoire, 2022

Penser des mises en place, c'est assigner à chacun une place fixe, l'enfermer dans cette case, épinglé au mur avec son étiquette, comme dans un vieux muséum d'histoire naturelle. Mais cela suppose aussi l'impossibilité que les places soient redistribuées.

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La mobilité étant inhérente au vivant, ne pas tenir en place paraît plutôt signe de projection dans l'avenir, d'espoir. Cette souplesse, cette capacité d'adaptation sont pourtant considérées avec méfiance parce qu'elles remettent en cause un ordre établi, des loyautés. Une agilité suspecte qui oblige sans cesse à retrouver des équilibres.

Puisant dans un large corpus, la philosophe Claire Marin aborde les différentes facettes de la place supposée adéquate et, en miroir, de l'inadaptation. Les circonstances qui peuvent rendre la place assignée douloureuse sont multiples : le migrant ou le déplacé fuit la guerre ou la misère, le transfuge de classe tente d'échapper à son origine sociale, le transsexuel espère trouver un meilleur alignement de ses sentiments.

On classifie pour maîtriser ou croire que l'on maîtrise ce qui, en réalité, nous échappe. Dans ces utopies, on imagine un monde où les places seraient pensées à l'avance. Mais le propre d'une place est sans doute précisément qu'elle ne cesse de se déplacer, d'être déplacée, ou de déplacer celui qui croit pouvoir s'y installer.

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Trouver sa place, ou du moins une place dans laquelle on se trouve mieux – à défaut d'être simplement bien – suppose souvent un déplacement. Un mouvement nécessaire pour que l'être en soi résonne avec le milieu. Claire Marin encourage même à une certaine radicalité : dans certaines circonstances les loyautés supposées ont un tel poids qu'elles en sont toxiques. Échapper est parfois la seule issue; une possibilité que peut encourager une rencontre inattendue avec une femme, un homme, un livre ou un lieu. Ce besoin de connexion pour revivre rappelle la résonance de Hartmut Rosa.
Singulièrement l'autrice suggère que ces rencontres libératrices sont favorisées par les institutions publiques que sont l'école, les bibliothèques et un aménagement du territoire qui encourage les rencontres. Une politique qui provoquerait l'inattendu alors que la gestion d'une collectivité repose souvent sur la prévisibilité.

Nous sommes aussi, très concrètement, matériellement, entravés par notre corps, par notre genre, par notre apparence et par les jugements que la société, le milieu, l'époque projettent sur ces corps. Parfois, un simple regard, la désapprobation ou le mépris qu'on y devine, érigent imperceptiblement des frontières infranchissables.

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Claire Marin veille à ne pas opposer un espace du dehors qui nous mettrait en danger et un espace intérieur bienfaisant. Se constituer une bulle imperméable empêcherait tout lien social, aussi nécessaire à la vie que le mouvement. Pour un bon épanouissement, elle propose que son intériorité s'approprie des lieux et des possibilités de rencontres qui la nourrissent.
La lecture de son essai, nous convainc que l'autrice a trouvé des œuvres qui l'ont grandie. La bibliographie nous propose un choix varié de titres inspirants !

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La grande table idées – France culture