Une heure de ferveur

Barbery Muriel. Une heure de ferveur. Actes Sud, 2022.

Après nous avoir fait découvrir le Japon par les yeux de Rose, Muriel Barbery remonte dans le passé pour nous immerger dans l'univers de Haru-San, marchand d'art à Kyōto.

Dans la pâle brume hivernale – c'était le 18 janvier –, les toriis prenaient des allures d’arcs-en-ciel monochromes. À côté, la forêt vierge de Tadasu donnait aux lieux leur caractère primitif et sacré.

p. 157


Au décès de son père japonais, Rose reçoit du notaire du défunt une invitation à se rendre à Kyōto où vivait ce dernier. La jeune femme découvre un monde qui lui est d'autant plus étranger qu'elle ignore tout de son géniteur et qu'elle n'a jamais vécu au Japon. Alors qu'Une rose seule tient du voyage initiatique, le récit de la vie d'Haru-san, ce père tenu à distance, nous introduit à la vie culturelle de Kyōto. Un milieu propice aux frottements des civilisations et à leur part sombre.

– Comment est pourtant la question japonaise par excellence, dit Paul, je ne connais aucun peuple qui mette si gracieusement le pourquoi de côté.

p. 213


Le cheminement entre les temples adossés aux Montagnes de l'Est et les abords de la Kamo-gawa, les pôles enchanteurs de Kyōto, constituent le décor où les étrangers s'émerveillent de l'esthétique japonaise. C'est le lieu où Haru-san développe patiemment un commerce d'objets d'art, une entreprise de presque cinquante ans.
Fushimi Kyoto
Se ressourçant à la magie des temples, Haru ne renonce pas au plaisir de rencontres entre amis autour d'un saké. Une profonde douleur ternit cependant son existence : la promesse faite de ne jamais rencontrer la fille née de son éphémère liaison avec Maud, rentrée en France sitôt sa grossesse connue.
Comme pour souligner ce manque, Muriel Barbery s'appesantit sur la mort qui touche, forcément, chacun des protagonistes en un demi-siècle. Une manière aussi d'évoquer le rapport différent à la vie que révèle les cérémonies funèbres.
Ce véritable catalogue des diverses façons de mourir permet à l'autrice de développer la variété d'émotions déclenchées par la mort : elles dépendent non seulement du lien avec le disparu mais aussi des circonstances du décès. En évoquant les cataclysmes subis par l'Archipel (notamment le séisme de Hanshin-Awaji de 1995 et le tsunami consécutif à celui de Tohoku en 2011), Muriel Barbery suggère leur fort impact sur le caractère nippon qu'elle décrit dans une tonalité fort sombre, contrastant avec les enchantements végétaux du premier volume de son dyptique japonais.

[C]'est tout à fait l'âme japonaise, par notre terre et par notre destin nous sommes condamnés à rester près de la surface et, coupés de notre profondeur intérieure, nous prenons de plein fouet les désastres et les cataclysmes. Puis, une fois semée la désolation, nous transformons le cauchemar en beauté et regardons le fond des cieux qui se fane.

p. 172


Site de l'éditeur
À voie nue, Muriel Barbery, la découverte du Japon