Fabrique des pandémies

Robin Marie-Monique et Morand Serge, La fabrique des pandémies : préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire. La Découverte, Cahiers Libres. 2021.

Quelle réponse donner à la crise sanitaire qui occupe la Terre depuis une quinzaine de mois ?
Les premières semaines nos habitudes ont été bouleversées : limitation drastique de nos déplacements, restrictions au commerce... Parallèlement à ces changements, des élans de solidarité spontanés contredisaient l'égoïsme supposé de nos sociétés. Ces gestes laissaient croire que l'alerte serait significative et qu'elle engendrerait des changements politiques conséquents. C'était sans compter la lassitude induite par une crise se prolongeant, sans envisager surtout les antagonismes, apparemment irréconciliables, qu'elle révèle. Chacun joue sa partition dans une logique de raisonnement en silo. La santé est opposée à l’économie; les régimes autoritaires aux démocraties, les décisions centralisatrices aux délégations régionales, les issues technocratiques à un questionnement holistique, le simplisme à la complexité.

Dans nos sociétés modernes, la santé, c'est la médecine quand on a un problème de virus, on essaie de le contrôler en investissant massivement dans la recherche d'un vaccin, mais on ne se soucie pas de savoir d'où vient cette maladie. L'idée que la santé des humains soit liée à celle de l'environnement est largement méconnue dans les instances dirigeantes.

Anne Larigauderie
p. 97

La journaliste Marie-Monique Robin oriente notre réflexion sur les causes de la pandémie. La succession d’alertes sur les zoonoses, ces agents infectieux transmis de l’animal à l’homme, incitait à une veille sanitaire, mais aucun État occidental n’était prêt à affronter la virulence du SARS-CoV-2... par excès de confiance dans son système de santé et ses capacités technologiques. Les diverses grippes aviaires ou fièvres (H1N1, Ebola, SARS,...) avaient finalement bien pu être contenues dans des aires géographiques éloignées.
Les interviews de 62 scientifiques se sont déroulés dans des circonstances étrangement stéréotypées : la journaliste s'adressant à des interlocuteurs bloqués derrière leur écran analysant la progression de la pandémie depuis leur lieu de vie, comparant les mesures locales pour tenter de la ralentir. Pour une communauté habituée aux échanges internationaux entre leurs différentes activités académiques et leurs recherches de terrain, cette immobilisation illustre la fragilité de notre ordre socioéconomique.
Les chercheurs interrogés dans cette enquête se caractérisent par une approche pluridisciplinaire qui favorise une vision globale des défis qui attendent l'humanité. Si cette démarche prend en compte les multiples dimensions de l'homme, elle peine à répondre à l'urgence sanitaire de la pandémie.

En fait, les spécialistes de la conservation, dont je faisais partie, ont fait preuve, au minimum, d'une incroyable naïveté nous avons été incapables d'anticiper l'ampleur des dégâts qui allaient venir, car nous étions trop déconnectés de la réalité des gens qui doivent vivre et survivre dans les régions tropicales. Aujourd'hui, dans tous les pays du Sud-Est asiatique, les petits paysans exercent une énorme pression sur les parcs nationaux, parce qu'ils doivent abandonner les cultures traditionnelles – celles qui nourrissent leurs concitoyens –, qui ne sont pas assez rémunérées. Ils ont besoin de terres pour planter des cultures de rente, qui, elles, sont soutenues par les gouvernements, comme le sucre, qui sera exporté, ou le maïs qui servira à nourrir les usines à poulets. Allez leur parler de protection de la biodiversité ! On ne pourra jamais protéger efficacement la biodiversité si on ne résout pas la question de la pauvreté et si on ne revoit pas de fond en comble le système économique qui génère cette pauvreté.

Bruce Wilcox
p. 102

L'autrice relève l'étonnement de nombreux interlocuteurs sur les moyens financiers mobilisés pour la recherche d'un vaccin alors qu'ils peinent à réunir des fonds pour mener leurs propres investigations. Cette disproportion correspond à une vision technocratique de la société qui traite des problèmes de manière séquentielle. Ce type de procédures par action/réaction néglige les dommages que ces solutions induisent.
L'essentiel de l'essai relève l'importance de la biodiversité pour contenir le réchauffement climatique et les transmissions de maladies infectieuses d'origine animale. Marie-Monique Robin souligne le caractère contre-intuitif d'observations qui mettent en évidence la progression plus lente des infections lorsque les parasites sont plus nombreux. Tuer le moustique vecteur du zika n'est donc pas le meilleur moyen de lutter contre l'épidémie. La progression de la borréliose, ou maladie de Lyme transmise par les tiques, est ralentie lorsqu'une faune de divers petits animaux coexiste avec les muridés réservoirs du pathogène. D'une part, ces autres animaux sont des prédateurs des souris et, d'autre part, ils sont susceptibles d'accueillir les tiques sans causer la multiplication de la bactérie et d'éviter ainsi aux humains d'être infectés.
La sélection et l'abandon d'espèces tant végétales qu'animales causent aussi un risque épidémiologique : lorsqu'un pathogène s'attaque à un élevage ou à une culture, son effet est trop souvent dévastateur. L'enquête de Robin donne un aperçu des nombreuses absurdités de notre économie agroalimentaire. Elle relève aussi qu'il est difficile d'être cohérent dans un système dont nous ne connaissons que mal le fonctionnement. Acheter de la volaille dans un élevage de proximité n'est pas la solution si le poussin a été produit dans une usine asiatique et que le grain qui le nourrit est cultivé dans une zone d'Amazonie déforestée au profit de cette monoculture d'exportation.

«Quelle ironie, nous sommes confrontés simultanément à deux nouvelles menaces de maladies pandémiques : celle de maladies infectieuses transmissibles dues à de nouveaux pathogènes émergents et celle de maladies non transmissibles dues à la disparition de pathogènes !»

Serge Morand
p. 102

Les citoyennes et citoyens suisses doivent se prononcer sur plusieurs objets en lien avec cette problématique au cours de l'année 2021. Ils se sont intéressés à l'économie indonésienne que cet essai juge plutôt vertueuse... Ils le feront encore pour la qualité de l'eau, l'emploi des pesticides et les émissions de CO2.
Le livre de la journaliste Marie-Monique Robin, en collaboration avec le scientifique Serge Morand ne donne pas de consignes de vote, mais invite à considérer la problématique de manière la plus globale possible : la dégradation de la biodiversité est liée à la paupérisation des populations, en particulier intertropicales, et à une approche sectorielle et technocratique des défis qui se posent à l'humanité.

Site de l'éditeur
Programme B – Recette pandémique
Site de Marie-Monique Robin