Mille petits riens

Picoult Jodi. Mille petits riens. Actes Sud, Babel, 2018.

La complexité du racisme est telle que les hommes de loi des juridictions américaines essaieraient de l'éviter dans leurs plaidoiries. Lorsque Ruth Jefferson, sage-femme expérimentée, comparait dans une affaire de mort d'un nouveau-né, tous les éléments convergent pourtant vers une affaire où la race est déterminante : les parents sont des suprémacistes blancs qui méprisent ouvertement le soignante noire.

Il existe une hiérarchie de la haine et elle diffère selon les individus.

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mille petits riens couverture
En écrivant ce roman dans l'intention d'aborder la question raciale, Jodi Picoult doute de sa légitimité à exprimer les sentiments de Ruth. Elle entame une démarche qui lui apprend à mieux se connaitre et à découvrir qu'elle n'était “pas aussi irréprochable, ni progressive [qu'elle] le croyai[t]”. Un constat qu'elle met en évidence en portraiturant Kennedy, l'avocate blanche commise d'office.
Une défenseuse qui, comme la procureure noire, évite de provoquer le jury par un argumentaire lié à le race alors que les parents de l'enfant défunt ont expressément interdit au personnel africain-américain d'intervenir auprès de leur fils.

Dans les juridictions criminelles de notre système judiciaire, cependant, il est fortement déconseillé de soulever la question raciale. Nous sommes censés faire comme si cela n'était que la cerise sur le gâteau de la condamnation retenue contre l'accusé, en aucun cas sa raison d'être. Nous sommes censés être les gardiens légaux d'une société postraciale.

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Une interdiction qui place Ruth dans une situation impossible lorsque l’enfant montre des signes de détresse en l’absence de collègues qui pourraient intervenir : l’instant d’hésitation entre accomplir son devoir d’infirmière et l’injonction de sa hiérarchie a-t-il été fatal au nourrisson ?
L’extrémisme revendiqué des parents, la complaisance de l’hôpital qui accepte leur demande, la frustration de la sage-femme mettent en évidence une gradation de la systémique raciale. Jodi Picoult, en posant le cadre du procès, met en perspective le ressenti divergent de l’avocate et de sa cliente quant à de multiples événements de la vie quotidienne qui paraissent insignifiants pour ceux qui se trouvent du bon côté de l’échiquier social.
Picoult tend à surjouer l'antagonisme en opposant la procureure noire défendant la position du couple supremaciste ou en décrivant de manière stéréotypée les potentiels jurés. L’autrice distingue également Ruth, qui avec sa carnation claire, fait le pari de l’assimilation à une société postraciale – que certains ont rêvée suite à la Présidence Obama – et sa sœur qui caricature la femme africaine-américaine. Un excès qui se retrouve dans l’invraisemblable chute d’un roman qui débute de manière sensible et pourtant captivante. Une exagération qui paradoxalement nuit à l’intention initiale de montrer un racisme structurel davantage fait de vexations quotidiennes et de soumission que d’agissements démonstratifs de quelques d’extrémistes.

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