La charité et l'hôpital

Edin Vincent, Quand la charité se fout de l'hôpital, Enquête sur les perversions de la philanthropie. Rue de l'échiquier, Les incisives, 2021.

Ce volume n'usurpe pas le nom de la collection ! L'essai de Vincent Edin sur les limites de la défiscalisation de la philanthropie et ses conséquences pour l'État démocratique est mordant. Le titre paraîtrait inutilement accrocheur si Brigitte Macron ne patronnait pas la récolte de dons pour les hôpitaux publics de France alors que son mari justifie les restrictions budgétaires du Ministère de la Santé. En mettant en évidence la fragilité des structures de soin, la pandémie de Covid-19 montre les limites de la délégation du financement de certains services que l'on attend de l'État socio-libéral à la philanthropie.

Tandis que le gouvernement use et abuse […] de la rhétorique martiale, répétant contre toute évidence que «nous sommes en guerre», il délègue l'effort de guerre à la bonne volonté du citoyen lambda...

p. 53

Les attentes du citoyen envers l'État résultent de l'histoire politique nationale et sont donc variables. Le bénévolat et l'engagement social, notamment par le biais de bonnes œuvres liées aux églises, sont plus fortement ancrés dans le monde anglo-saxon. En Suisse, également la part des dons de privés représente des sommes non négligeables de l'engagement en faveur des pays dits les moins favorisés. Cette participation de chaque membre d'une communauté crée du lien social et ne saurait être vilipendée.

[…] au pays des acquis sociaux, de l'Etat-providence et de la redistribution, l'esquive fiscale est longtemps restée un sport de combat où l'État laissait peu les riches gagner.

p. 49

Cependant, liée à l'affaiblissement du bloc des pays communistes, la rhétorique du moins d'État portée par Ronald Reagan a marqué durablement les relations des ultrariches et des multinationales avec l'État. Le devoir fiscal est contesté : les grandes fortunes mettent en place des stratégies pour y échapper malgré une baisse drastique des taux en vigueur. Un moyen d'alléger la facture d'impôts est d'attribuer des dons défiscalisés. Ces changements affaiblissent les États et favorisent l'accroissement des inégalités. Ce faisant, ils mettent en danger les démocraties, puisque le contrat tacite qui lie le citoyen au gouvernement est faussé. L'auteur précise que les Présidents démocrates Clinton et Obama ne sont pas intervenus pour augmenter la progressivité de l'impôt, alors que Donald Trump a, de manière plus attendue, allégé encore les taxes des plus favorisés.
Edin met en évidence que la générosité des donateurs est une illusion : les sommes qu'ils cèdent sont sans commune mesure avec ce qu'ils possèdent et servent trop souvent à masquer leurs manquements au devoir fiscal. L'auteur relève particulièrement que cette générosité est pernicieuse puisqu'elle est volatile dans le temps. Si les programmes ayant une durée limitée (bourses de recherche, par exemple) ne souffrent pas trop de cette irrégularité, la discontinuité des dons à des distributions de nourriture ou des établissements privés de soin ou de formation peut avoir des conséquences importantes.

Un constat s'impose. L'idéal charitable diffère très largement de celui de la solidarité, l'un s'accommodant fort bien des inégalités quand l'autre les combat.

p. 16

L'influence sur la politique à long terme est aussi dommageable : les interventions privées peuvent contourner les orientations politiques. Les conséquences de la généreuse part de la Fondation Bill & Melinda Gates dans le financement de l'OMS était déjà discuté avant la survenue de la pandémie actuelle (> Les généreux donateurs de l'OMS orientent-ils sa politique ? RTS 30.05.2017) La disproportion de ces dons nuit à la crédibilité de l'organisation et encourage les insinuations conspirationnistes. Paradoxalement pourtant, les porteurs de ces thèses ne revendiquent pas une meilleure équité fiscale, mais le désengagement de l'État auquel ils ne font plus confiance.
Ayant travaillé dans le cadre de Admical qui se présente comme “entrepreneur du mécénat”, Vincent Edin a pu observer que si les intentions de nombreux mécènes sont honorables, quelques (très) grandes entreprises pervertissent le sytème au mépris du bien commun. Son essai critique avec vigueur cette évolution qui favorise la captation de biens et affaiblit la société dans son ensemble.


S'acheter une bonne conscience – Entretien avec Thomas Rozec, Programme B
À propos de la philanthropie aux États-Unis – Stéphane Benoit-Godet pour Le Temps
Doit-on divulguer les impôts des milliardaires? Deux opinions opposées
Bernard Arnault et les politiques, la puissance d’un groupe au cœur de la République – Le Monde (Le Temps, 2023)