Cher connard

Despentes Virginie. Cher connard, Bernard Grasset, 2022.

Le ton familier de ce roman épistolaire éclate dès la couverture aux couleurs criardes. Le style adopté par Virginie Despentes s'apparente étrangement davantage à l'oral pour cet échange entre un romancier à succès et une actrice sur le déclin : deux « victimes » de leur image sur les réseaux sociaux – évidemment dans des postures différentes.

C'est juste – la reconnaissance fonctionne sur moi et en moi comme la drogue. C'est la même évidence, à la première prise – la première fois que j'ai réalisé qu'un roman allait devenir un succès – faire exister un autre moi, permettre quelque chose de moi que je suis incapable de projeter à sec – c'était une révélation joyeuse. Peut-être un peu plus inquiète que l'alcool – l'alcool venait avec l'idée de « il suffira de boire » et je grandissais dans un pays dans lequel l'alcool était partout, alors que la reconnaissance il allait falloir aller la chercher, la trouver, l'entretenir – c'était une flamme plus compliquée mais ça avait levé en moi aussitôt une armée résolue. J'allais le faire. En tout cas je voulais m'en convaincre – et je n'étais pas ce jeune bourgeois qui pense que tout lui est dû, qu'il n'a aucun effort à faire aucun prix à payer. Dans la mesure de mes moyens, j'ai mené cette guerre. Et pendant des décennies, la machine à se droguer produisait de bons résultats et la machine à accumuler la notoriété fonctionnait elle aussi. Puis ça s'est mis à tourner à vide. Ça n'était jamais assez – écrire pour plaire écrire pour être reconnu pour inventer une version de moi plus intense désinhibée plus masculine – moins pathétique.

p. 212


Un roman marqué par le temps présent – entre #MeToo et le confinement – sur fond de dépendances. La langue directe de Despentes, en accord avec son image vindicative, cache une volonté de créer des ponts entre Rebecca et Oscar. L'une et l'autre ont leurs fragilités auxquelles ils tentent de faire face. En faisant se reconnaître les correspondants dans une complexité qui les entraîne vers l'addiction, l'autrice milite pour un changement politique qui permette à l'individu d'être soi. Elle montre notamment que certains comportements considérés comme anodins dès lors qu'ils se font au détriment de personnes déterminées, seraient sévèrement réprouvés dans d'autres contextes. Les références à la désintoxication sonnent comme un appel à se désaccoutumer de la domination.

Site de l'éditeur
Interview de Salomé Kiner pour Le Temps
Les Temps qui courent – Radio-France
Lucile Commeaux pour Affaire critique – Radio France