Fille de samouraï

Portrait de l'autrice - wikimedia
Est‑ce une vie romancière ? «Sont-ce de véritables mémoires ? Rien en tout cas n’est plus vivant que cette biographie d’une petite japonaise, élevée dans la tradition de son pays, convertie au christianisme et qui a pu confondre la vie américaine et la vie japonaise. La vieille culture du Japon est ici représentée avec une intensité frappante et l’on a l’impression d’une analyse sincère, profonde, par les faits seuls, de ces âmes si différentes des nôtres.
Gustave Michaut
Revue internationale de l'enseignement
1931, n°85, p. 238

Utagawa Yoshifuji, Valiant guerrier de l'Echigo et du Kai – wikimedia
Le récit autobiographique de Etsu Inagaki Sugimoto, née dans une famille de samouraï dans les premières années de l'ère Meiji illustre les déchirements de la Restauration du pouvoir à l'Empereur en 1868. Sous la pression des nations industrialisées, l'abandon du shogunat bouleverse une societé aux conventions figées, dans laquelle la loyauté aux anciens prédomine.
Le clan Inagaki, en perdant ses privilèges ancestraux, hésite entre résistance et projection dans le monde nouveau. Etsu est promise par sa famille à un compatriote émigré aux Etats-Unis. Sans échapper à sa condition de femme, en devant contribuer à l'honneur de son mari, elle reçoit une éducation spécifique pour se préparer à une vie américaine. Elle est scolarisée dans une école missionnaire de Tokyo éloignée de sa famille restée dans l'Echigo, alors isolé.La Restauration ne fut pas un événement subit. Pendant plusieurs années, le Japon fut divisé en deux fractions : l'une estimait que le pouvoir impérial doit comporter des devoirs à la fois sacrés et séculiers, l'autre soutenait que le shogun, chef militaire doit débarrasser l'Empereur sacré du poids des fardeaux nationaux.
p. 91
Fortement imprégnée des devoirs qui pèsent sur les familles samouraï, Etsu se convertit pourtant au Christianisme, avant de traverser le Pacifique pour rencontrer celui qui lui est destiné. Elle se retrouve isolée avec deux jeunes enfants. Ambivalente, elle retourne à Tokyo pour donner une éducation japonaise à ses filles, avant de la poursuivre aux États-Unis, en 1916.À mon départ de la maison, Mère m'avait remis un objet d'un caractère particulièrement sacré; c'était un papier sur lequel mon vénéré prêtre avait écrit le nom mortuaire de mon père. Quand je devins interne, j'eus le sentiment qu'il serait à la fois déloyal envers un nom sacré et discourtois à l'égard de l'école, de conserver ce souvenir dans la maison; il me paraissait incorrect d'apporter quelque chose des anciens dans une atmosphère exclusivement réservée aux manifestations de l'esprit nouveau. Je sentais qu'il m'était impossible de conserver ce souvenir et cependant je ne pouvais me résoudre à m'en séparer; quel embarras cruel !
p. 133
Ce récit, publié en 1925, met en lumière des conceptions très divergentes de l'existence et leur influence sur la vie en société. Bien que parfois didactique, l'autrice se caractérise par son sens de la mesure : elle cherche à mettre en évidence le meilleur de deux mondes. Ce regard est aussi un témoignage de respect à la loyauté de ses ancêtres au prix de quelques écarts avec la réalité (elle serait rentrée au Japon avec ses filles suite à la faillite de son mari, et non pas de son décès). Cette biographie qui se veut un pont entre les cultures nippones et étasunienne, rappelle les caractères des dames de Kimoto imaginées par Ariyoshi Sawako.Ma mère, qui avait appris de père la tolérance, n'avait aucun préjugé contre la religion nouvelle, mais elle estimait que le plus important devoir des fils et des filles est d'observer strictement les rites de l'adoration des ancêtres et les cérémonies pour les morts.
p. 155
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