Les contes défaits

Lalo Oscar, Les contes défaits. Paris, Belfond, Petits pointillés 2020.

J’enquête sur un crime sans preuves. Je suis le seul à le savoir. Je dois prouver sans indices ni symptômes. Je suis le patient et le médecin. Le médecin le plus patient qui soit. Ces preuves-là ne se cherchent pas. Elles viennent toutes seules se coucher par écrit. Elles s’effeuillent. Et nous fanent. Elles ne bourgeonnent jamais. Sauf parfois en hiver.

p. 12, version 2016

Lalo, par le choix de son titre, montre son goût pour le cisèlement du langage, voire son allègement. Ce premier roman n'a rien d'un conte de fées même s'il concerne l'enfance, un temps que l'on associe volontiers au monde onirique !
Les fréquents séjours du narrateur dans un home tiennent du cauchemar. Il ne ressent pas seulement une forme d'abandon de sa mère; il est à la merci d'un couple douteux, dont il ne peut que compter les méfaits.

Aussi surprenant que cela paraisse, compte tenu de ses règles strictes, il ne s'agissait pourtant pas là d'un centre de redressement pour enfants ou adolescents. Non, ça se vendait comme un havre chic pour familles aisées, d'où l'appellation de « home d'enfants ».

p. 47

Enfant, il ne peut mettre les mots sur ce que lui et les autres pensionnaires subissent. Il n'a que la seule perception de l'inadéquation de cette emprise. Le coût élevé des séjours transforme même les jours pluvieux en temps de rêve; cette extravagance contribue à le réduire au silence.

J'étais devenu sans m'en apercevoir celui qui ne dit plus jamais non à rien. À la fois acteur principal d'un film de figurants et spectateur de ma propre impuissance, je charriais des flots de violence contre moi. Ainsi, mon problème n'est-il pas de n'avoir rien construit dans ma vie mais d'avoir systématiquement tout détruit. C'est cette graine-là qui fut plantée au home d'enfants.

p. 113

L'auteur évoque le syndrome de Stockholm pour comprendre l'acceptation de l'intolérable. Un musèlement de la parole qui maintient le narrateur dans l'immaturité, le contraint à rester dans la naïveté enfantine jusqu'à ce que les mots puissent jaillir. Cette explosion transforme alors les mots de douleur en un joyeux éclat de la naissance à soi. Les avoir retenus si longtemps a permis qu'ils surgissent dans une infinie précision, non dénuée de poésie.
Ce chatoiement de la langue pour exprimer la difficulté de se constituer une identité malgré une enfance meurtrie se retrouve dans le second opus de Lalo, La race des orphelins.

Quand je me retrouve au seuil de la bonté que je suis incapable d'accueillir, je réalise que réparer mon monde, ce n'est ni plus ni moins qu'apprendre à vivre. Savoir vivre n'a rien à voir avec le savoir-vivre. Savoir vivre, c'est suivre simplement l'inspiration du moment et cesser d'avoir peur de dire ce qui est.

p. 144



Site de l'auteur
Site de l'éditeur – la version de 2016 comporte un incipit qui précise le statut de ce livre, roman et non récit, accessible dans l'extrait
Entretien avec Linn Levy pour RTS versus-lire