Ressenti qu'il n'a jamais éprouvé dans les multiples lieux où il a vécu en Allemagne, au gré des engagements de sa mère cheffe d'orchestre. L'expression de ce bien-être marque peut-être le clivage entre une population capable de s'intégrer dans la diversité cosmopolite et un peuple englué dans les territoires périphériques.
L'auteur se montre particulièrement virulent avec la politique allemande, qu'il accuse de systématiquement nier l'horreur nazie alors que les lieux de mémoire font partie des parcours obligés de la scolarité – une obligation contre laquelle s'érige d'ailleurs l'AfD, Alternative für Deutschland.

A l’Ouest, le réveil mémoriel véritable a été tardif. On ne peut pas comprendre le long Mai 68 allemand, qui a duré dix ans, sans voir que, dans toutes les biographies de meneurs de ce mouvement ou de gens qui ont basculé dans le terrorisme, il y a ce moment où on découvre que papa était un criminel de guerre. C’est celui de la révélation. Auparavant, les alliés avaient voulu imposer ce devoir de mémoire, avant tout par le procès de Nuremberg, qui a été largement rejeté par la population, et la droite fondatrice de la RFA allemande a commencé par favoriser l’amnésie et l’amnistie. Aujourd’hui, l’importance du devoir de mémoire fait consensus. Les élèves allemands abordent la période nazie trois fois dans leur cursus. Elle peut y être parfois enseignée de manière moralisante, ce qui n’est pas forcément la meilleure façon de faire de l’histoire et de l’éducation historique. L’extrême droite fustige d’ailleurs aujourd’hui ce qu’elle appelle «la massue morale d’Auschwitz».

Johann Chapoutot
Le Temps, le 08.03.2025

L'auteur relève une certaine analogie entre sa situation de Juif en Allemagne et celle des Afro-descendants aux Etats-Unis : la coexistence sur un même territoire des opprimés et de leurs persécuteurs est un défi. Comment donner sa juste place aux uns et aux autres ? Il distingue cependant la situation étasunienne dont les répercussions sociales sont encore évidentes de celles des Juifs européens de statut semblable à celui de leurs concitoyens. Si Mounk a vécu aussi douloureusement le manque de reconnaissance des atrocités subies par ses coreligionnaires ou l'excès de commisération, c'est peut-être qu'il n'était pas perçu comme membre de la classe moyenne. La discrimination en Allemagne, remarque-t-il, est encore plus importante pour la population immigrée, turque en particulier.

Germans can deny the past, for which I will call them cowardly. They can obsess about it, for which I will call them misguided. Or they can try to move on from it, for which I will call them delusional. How can anybody safely navigate this minefield ? What more do I want ? If I am so discontented, what solution do I have to offer ?

Yascha Mounk

La perception européenne, centrée sur la nation – et sa répercussion sur le droit de la citoyenneté – implique une ségrégation entre nationaux et étrangers. Une discrimination exacerbée en temps de crise et exploitée par les manipulateurs. La fragmentation de la société favorisant le chaos, le repli identitaire que Mounk dénonce représente en effet un danger. Cependant c'est bien une posture identitaire qu'il utilise dans sa critique de l'Allemagne. Une posture qu'il reconnaît paradoxale en tant que Juif détaché des pratiques religieuses; son identité juive étant essentiellement un acte de loyauté familiale en lien avec sa douloureuse histoire sous les régimes nazi et communiste en Europe de l'Est.

Visages de l'actu : Alice Weidel, la nouvelle extrême droite allemande
Le regard de Mounk sur les élections 2025 en Allemagne
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