L'autre moitié du soleil
Placé sous l'emblème du drapeau biafrais, ce roman de Chimamanda Ngozi Achidie remonte à l'indépendance du Nigeria en 1960 et aux convulsions qui s'en suivirent.
"Good afternoon, sah! This is the child," Ugwu's aunty said.
Master looked up. His complexion was very dark, like old bark, and the hair that covered his chest and legs was a lustrous, darker shade. He pulled off his glasses. "The child?"
"The houseboy, sah."
"Oh, yes, you have brought the houseboy. I kpotago ya." Master's Igbo felt feathery in Ugwu's ears. It was Igbo colored by the sliding sounds of English, the Igbo of one who spoke English often.
"He will work hard," his aunty said. "He is a very good boy. Just tell him what he should do. Thank, sah!"
Master grunted in response, watching Ugwu and his aunty with a faintly distracted expression, as if their presence made it difficult for him to remember something important. Ugwu's aunty patted Ugwu's shoulder, whispered that he should do well, and turned to the door. After she left, Master put his glasses back on and faced his book, relaxing further into a slanting position, legs stretched out. Even when he turned the pages he did so with his eyes on the book.
Dans les milieux intellectuels, c'est l'effervescence. Diverses opinions concernant la manière de faire rayonner le Nigeria, voire l'Afrique noire s'affrontent. C'est oublier que, concrètement, les frontières du nouvel état ne tiennent pas compte des différents ethniques et culturels. Les tensions préexistantes, sur lesquelles les Britanniques avaient fondé leur mainmise, ne tardent pas à dégénérer.
Suite à un coup d'état destituant un leader fédéral igbo, la région Sud-Est, fief de ce peuple, fait sécession sous le nom de République du Biafra. Ce soulèvement conduit à une Guerre civile impitoyable.ce que je veux dire, c'est que la seule véritable identité authentique, pour l'Africain, c’est la tribu, dit Master. Je suis nigérian parce que l'homme blanc a créé le Nigeria et m’a donné cette identité. Je suis noir parce que l’homme blanc a construit la notion de noir pour la rendre la plus différente possible de son blanc à lui. Mais j'étais ibo avant l'arrivée de l'homme blanc.
p. 42
L’avenir glorieux attendu, symbolisé par le demi-soleil jaune du drapeau, s'est mué en catastrophe humanitaire puisque de 600’000 à un million de personnes seraient mortes de famine.

Biafra, près du village d'Ihiala. Avion cargo participant à l'action de secours du CICR s'est écrasé le 6 mai 1969 à 22h30 – Archives CICR
Adichie construit son roman sur des oppositions. L'espoir lumineux promis par l'indépendance et la Sécession du Biafra se heurtent à la réalité, l'autre moitié du soleil. L'aspiration de Kainene à développer l'entreprise familiale se démarque de celle d’Olanna portée sur les préoccupations sociales, notamment féministes. Les espérances “révolutionnaires” d'Odenigbo contrastent avec l'intérêt du conjoint britannique de Kainene pour l'art igbo.La guerre dans laquelle les troupes fédérales nigérianes soutenues par la Grande-Bretagne, l'URSS et les États-Unis affrontent des Biafrais mal équipés mais déterminés s'enlise. La vie des populations civiles est bouleversée. La peur du lendemain, les privations affectent chacun. Les différences entre les principaux protagonistes s'estompent. Leur souci d'être approvisionnés et de (se) sauver révèle leurs capacité et les renforce.Odenigbo grimpa sur le podium en agitant son drapeau du Biafra : des bandes de rouge, de noir et de vert et, au milieu, lumineux, un demi-soleil jaune. « Le Biafra est né ! Nous allons guider l’Afrique noire ! Nous allons vivre en sécurité ! Personne ne nous attaquera plus jamais ! Plus jamais ! »
p. 256-257
En se plaçant du côté des Biafrais qui attendent de l’aide, l’auteure ne détaille pas les raisons du blocus qui a causé la disette. Elle évoque seulement par une brève allusion à la rapidité avec laquelle les marchés ont été alimentés suite à la reddition, le caractère délibéré de la famine. Adichie n'est pas polémique sur la molle réaction de la communauté internationale, même si elle relève son cynisme : les enfants déformés par le kwashiorkor ont "favorisé la carrière des photographes" (p. 367)
L'histoire familiale de l'écrivaine est imprégnée de ce conflit ; ses deux grands-pères y laissèrent leur vie. En intégrant dans son récit les thématiques du racisme et du sexisme, Chimamanda Ngozi Adichie montre cependant une volonté de dépasser ce traumatisme. Les fortes tensions interethniques qui subsistent au Nigeria laissent supposer que ces problématiques y sont toujours actuelles.L'action de la France gaulliste dans la guerre du Biafra mérite sans conteste une mention spéciale parmi les épisodes les plus hideux au cours desquels une puissance occidentale cherche à accaparer le pétrole d'un pays pauvre.
Ugwu, le boy au service d'Odenigbo, qui d'enfant inexpérimenté et maladroit devient un adulte curieux et socialement habile, sert peut-être de métaphore à l'indépendance du Nigeria. Ugwu n'en reste pas moins humain ; ses faiblesses en font un observateur crédible des événements, les yeux d’Adichie.
Comme le souligne la traductrice, l’écrivaine est très sensible aux niveaux de langue, du pidgin à la langue standard de la BBC. Cette variété stylistique, transposée dans la version française, n’est pas le moindre des attraits de ce roman.
Le site de l'autrice
Site consacré à l’autrice à l'Université de Liège
Le site de Gallimard, pour la version française
Isabelle Rüf pour Le Temps
Le site (désuet) de l’autrice relatif au roman
Le Biafra, l’opération taboue du CICR – Stéphane Bussard