Croiver
20 07 24 Essai
Dieguez Sebastian. Croiver : pourquoi les croyances ne sont pas ce que l’on croit. Eliott, 2022
Présenté comme neuroscientifique, Sebastian Dieguez est chercheur en sciences cognitives et travaille sur la formation des croyances, en particulier l’adhésion aux théories du complot. Un sujet traité sous l'angle politique et sociologique par Antoine Bristielle.
Présenté comme neuroscientifique, Sebastian Dieguez est chercheur en sciences cognitives et travaille sur la formation des croyances, en particulier l’adhésion aux théories du complot. Un sujet traité sous l'angle politique et sociologique par Antoine Bristielle.
Les formes conjuguées de croire sont si particulières que certains en inventent qui semblent dériver de croiver. Non sans ironie, l'auteur s'empare de cette erreur pour distinguer deux sens du mot croire. Croire quelque chose, c'est le tenir pour vrai, mais croire (ou « croiver ») c'est accepter des vérités certaines comme vérité par adhésion de l'esprit, mais également par acte de volonté. Selon Dieguez, la religion ou les théories du complot nécessitent un engagement de leurs adeptes; un engagement que l'auteur ne juge pas sous l'angle moral.lorsque nous croyons quelque chose, alors nous considérons qu'il y a dans le monde un élément qui rend cette chose vraie. La croyance est donc naturellement orientée et tendue vers le monde : je ne peux pas croire une chose tout en considérant que rien ne la rend vraie, que rien dans le monde ne correspond à son contenu.
p. 35
De nombreux philosophes ont tenté de clarifier les différents statuts de la croyance, vérité qui s'impose ou acte de foi. En approfondissant cette distinction, l'auteur met en évidence que les théories du complot ne sont pas refus de l'évidence, mais l'agencement d'un rapport au monde. La forte implication personnelle qu'elle exige de ses adeptes rend toutefois l'ajustement à la réalité complexe. D'autant plus difficile que les affiliés, comme le relève également Bristielle, adhèrent davantage à la posture du soupçon qu'à la véracité de leurs informations.
La clarification de Dieguez aide à saisir l'implication des adeptes des théories du complot. Toutefois, son argumentation repose essentiellement sur des notions philosophiques, concepts qui eux-mêmes relèvent, à mon sens, de la « croivance ». Les sociétés humaines ne se constituent-elles pas précisément par l'adhésion à des croyances, plus ou moins vérifiables ? Comme le note l'auteur, ces “croyances accessoires, contingentes, des sortes d'ajouts superfétatoires à notre carte du monde, mais qui sont ce qui nous distingue à partir d'une base commune de croyances [réalités] humaines.” (p. 155) Or, il se trouve, précise-t-il, que ce sont souvent à ces croyances les plus intimes que nous tenons le plus.
Philippe Simon pour Le Temps
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