China Dream

Ma Jian. China Dream. Flammarion, 2019.


Le roman de Ma Jian sonne telle une charge contre la Présidence de Xi Jinping. Aussi grinçante qu'un post de Feng Li sur Instagram…

« Le Rêve Chinois devient mondial » est la campagne la plus importante qu'il ait supervisée depuis son arrivée à son nouveau poste.
Le chef Ding s’apprête à lire le Document Numéro Neuf, envoyé par le Comité central du Parti communiste chinois, mais il préfère préciser qu'il s'agit d'un document interne confidentiel uniquement destiné aux membres du Parti, et que personne ne doit l’enregistrer ni prendre de notes. Le document interdit - à la télévision, dans la presse et sur les médias en ligne – toute mention des valeurs universelles, de la société civile, des droits civiques et de l’indépendance judiciaire. [...] ces concepts occidentaux subversifs sont des armes utilisées par les étrangers pour saper notre système socialiste.

p. 32-33

Le directeur Ma est à la tête d'un Bureau qui revêt une grande importance mais dont l'existence paraît dérisoire dans la constellation des offices qui planifient le bonheur de la population. Ma Daode dirige le tout nouveau Bureau du Rêve chinois dont l'ambition est de créer un implant qui annihilerait tous les souvenirs.
Bien établi dans la hiérarchie du Parti, il a lui-même vécu divers épisodes du redressement de la pensée. Son intervention à Yaobang lui rappelle précisément le zèle avec lequel il a participé à la Révolution culturelle. Son enthousiasme d'alors lui laisse un goût amer. En effet dans la fougue de la jeunesse, il n'avait pas hésité à sacrifier ses parents. La restructuration de la zone industrielle de cette Commune réveille des souvenirs très précis des affrontements des militants les plus fervents à cette époque.
Pour alléger ses tourments, il profite de sa position pour s'accorder du bon temps avec ses maîtresses. Mais le soulagement est éphémère car "tout à coup, Ma Daode se rend compte que, lorsqu'il s'insérera l'Implant du Rêve Chinois dans son cerveau, tous ces souvenirs qui ne cessent de refaire surface sans prévenir seront directement envoyés au Ministère de la Supervision." (p. 46)

Et puis, il y a ce 4 juin. Il y a trente ans, le parti envoyait ses tanks sur la place Tiananmen donner le coup de grâce aux plus importantes manifestations démocratiques de l’histoire du pays. […]
Depuis trente ans, le PCC a réussi à effacer de la mémoire collective des Chinois cet épisode traumatique. En trente ans, Pékin est parvenu à imposer à l’étranger l’idée que cet «incident» a été nécessaire pour sauver ses réformes et que les Chinois s’en portent d’autant mieux aujourd’hui. Alors pourquoi n’avoir pas «tiré un trait depuis longtemps sur cette affaire», comme le disait le ministre de la Défense Ueli Maurer en visitant une division blindée à Pékin en 2016 ?

Frédéric Koller
Le Temps, 31.05.2019

Bien que faisant partie de l'élite, le directeur Ma est extrêmement vulnérable. L'emprise du système est telle que personne ne se sent à l'abri. Comme Ma Jian l'écrit malicieusement, indiquer dans sa biographie le moindre élément vécu par le Président est une source d'ennuis.
Ma Daode est tiraillé entre le besoin d'oublier son passé dont l'évocation est douloureuse et le désir de vivre qui ne peut se faire sans une dimension temporelle. Plus précisément, il aimerait se débarrasser des événements subis.
L'écriture allusive de Ma Jian dépeint avec subtilité les impasses d'une pensée uniforme sous les traits d'un personnage principal qui pourrait paraître grotesque.

« Dites-moi, à partir de quel âge souhaiteriez-vous tout oublier ?
– À partir de mes quinze ans, quand j'ai rejoint les Gardes Rouges. Non, seize ans, au début des périodes de violence. Attendez... mes parents sont morts cette année-là, et j'aimerais garder quelques souvenirs d'eux, c'est possible ? » L'idée de perdre toute réminiscence de ses parents de façon permanente l'étourdit tout à coup.

p. 149



Lisbeth Koutchoumoff pour Le Temps
Le site de Flammarion