39, rue de Berne

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39, rue de Berne, Zoé, 2013

Dipita Rappard, le narrateur, partage quelques similitudes avec l'auteur, Max Lobe : son origine camerounaise, sa connaissance du milieu des Pâquis, son homosexualité.
Les circonstances de son arrivée en Suisse sont pourtant bien différentes de celles de Mbila, la mère de Dipita. Max Lobe est venu de Douala à 18 ans pour y étudier le journalisme puis politique et administration publique.


Cette distance qui se creuse avec le Cameroun lui permet d'interroger sa société d'origine et le régime politique qui le préside depuis maintenant plus de 36 ans. Quel sens donner à la liesse qui s'empare du peuple lorsque le Président Biya séjourne au pays ?
Dans son roman, il décrit comment son oncle Démoney, vend sa propre sœur Mbila à un réseau de prostitution tenu par les «Philanthropes–Bienfaiteurs». Cette réalité rappelle que pour les familles africaines, toute voie est bonne pour accéder aux mirages occidentaux. Pourtant Lobe observe la même disparité sociale à Genève qu'à Douala.
Lorsque Mbila a rend compte qu'elle ne sera pas danseuse en Europe, qu'elle a été trahie par son frère/père et qu'on attend d'elle un retour sur investissement, quel choix lui reste-t-il ?
Son peu de goût pour l'étude en faisait la risée des élèves de son école. Mais elle est sait être déterminée et trouve les ressources pour accepter sa situation.
Mbila vit en marge de la société, dans une maison aux murs aussi insonorisés que s'ils étaient de carton. Ses consœurs sont une ressource. Mariage blanc, maternité : Dipita devient sa fierté, sa motivation de ne rien céder.
Il est homosexuel, et alors ? Il lui importe peu que Dipita soit considéré comme déviant par sa famille camerounaise ou pourrait être moqué par ses pairs en Suisse.

Sinon les Philanthropes–Bienfaiteurs ressemblaient à ces fonctionnaires arrivistes et corrompus qu'on trouvait ici et là dans l'administration pervertie du pays. Ils ressemblaient à ces fonctionnaires aux cumuls de mangeoires que mon oncle n'avait jamais cessé de critiquer; ils ressemblaient à ces fonctionnaires cyniques qui commencent leurs journées de travail à 11 heures le matin et les finissent vers 15 heures, avec deux heures de pause bien méritées pour se gaver l'estomac de bière et de poissons-poulets-braisés. Ces fonctionnaires qui ne font pas grand-chose pour gagner leur vie; ils vivent essentiellement de pots-de-vin, des tchoko. Ces fonctionnaires qui prennent facilement de l'embonpoint pendant que les caisses de l'Etat sont au régime. Bref, les Philanthropes–Bienfaiteurs ressemblaient à tout ce que mon oncle n'avait jamais aimé.

p. 68

Démoney n'avait plus de rêve “Aujourd'hui […], on est condamné à vivre dans sa pauvreté quotidienne et à l'accepter, à l'intégrer, à la garder dans son ventre comme une pilule difficile à avaler.” (p. 13)
Comme pour lui faire écho, Dipita se morfond en prison. C'est à Champ–Dollon qu'il se remémore le parcours de Mbila. Grâce aux apports du CamfrancAnglais ( A–N et O–Z), il met de la légèreté dans sa transcription. Pour échapper au désespoir, il fréquente l'atelier de menuiserie. Il essaie de s'y convaincre qu'il aura une deuxième chance, lui qui n'a pas su saisir la première. Les sacrifices de Mbila, la bienveillance de ses consœurs qui sont des mères pour lui, n'ont pas suffi à le préserver de la prison. S'est-il égaré sur le chemin du trafic de drogue ? A-t-il été rattrapé par Oqouo Bivoudo, son géniteur, qui exploite sa mère depuis des années ?

Un auteur, un mentor – Max Lobe: «Un seul nom m’est venu à l’esprit, Charles Ferdinand Ramuz»
Critique de Lisbeth Koutchoumoff pour Le Temps
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