Les territoires que nous traversons ont de longue date une importance stratégique : l'Artois a été disputé. Thérouanne en particulier a un riche passé : capitale des Morins, Gaules de Belgique, implantation romaine, puis siège d'un diocèse dès le VIe s. La ville suscite les convoitises entre Flandre et Artois, entre Bourgogne et Habsbourg d'Espagne. Puis Charles-Quint, en 1553, scelle son sort en rasant la ville. Les localités de cette région conservent la trace de cet antagonisme avec une correspondance flamande de leur nom.
Un nouveau village s'implante à proximité des traces de la ville dès la fin du XIXe s. Contrairement aux communes alentour, quelques commerces sont toujours présents à Thérouanne. Après en avoir fait le tour, en cette journée qui débute sous le brouillard, nous nous arrêtons au Bar Tabac, ici Le Moriny. Ce point de rencontre, le plus fréquent avec l’école, a une clientèle souvent hétéroclite. Il y a les piliers de bistrot, marqués par l’alcool, il y a ceux qui tentent d’accéder à la fortune par l’intermédiaire de la Française des Jeux, il y une jeunesse qui s’y retrouve, en particulier à l’heure des apéritifs, temps pendant lequel une personne s’emploie à la gestion des loteries et paris.
Jusqu'à Arras, nous suivrons plus ou moins le tracé d'une Chaussée Brunehaut, la D 341, ancienne voie romaine qui reliait Boulogne à Arras. Le relief est (encore) moins marqué et les cultures plus étendues. Au lieu-dit le Buisson à l'Argent, commune d'Amettes, le champ ne mesure pas moins de 500 m. et chevauche les parcelles de plusieurs propriétaires. Ainsi que le relève Axel Kahn, l’agriculture, bien qu’ayant subi de profondes mutations, maintient le territoire en vie. Le travail est évidemment mécanisé, mais les machines ne paraissent pas à la pointe du progrès. L’ampleur des champs met en évidence la nature solitaire du travail des paysans qui les cultivent… et l’atteinte à la biodiversité de ce type d’exploitation du sol.
auchy bois


Auchy-au-Bois

Certains tronçons de la Via Francigena paraissent suivre d'anciens tracés de chemin de fer, au vu de leur régularité et de leur aménagement en déblai ou en remblai. Par leur revêtement souple, ces passages ombragés sont très propices à une progression rapide.
Le détachement des contingences terrestres est un exercice difficile. Se laisser imprégner du décor, dans sa relative monotonie, se contenter du brouillard ou accepter la chaleur soudaine se fait aisément. S'assurer du gîte et du couvert est plus difficile... et, sans planification, m'obligerait à charger davantage le sac ! Aussi quand Mme Brigitte nous annonce qu'elle n'a pas de réservation à notre nom un soupçon d'inquiétude nous traverse. Quand la friterie qu'elle nous promet est fermée pour cause de vacances une vague de découragement arrive. C'est sans compter sur l'accueil légendaire des gens du Nord. Le Bar Brunehaut ne sert pas à manger le soir. Ni son concurrent du Dragon vert, de l'autre côté du carrefour. Qu'à cela ne tienne, le jeune patron Maxence engage un brainstorming.
– À Lillers, vous trouverez quelque chose.
– C'est à 6 km, ils sont à pied !
– Mais il y a la nouvelle pizzeria, ils livrent peut-être.
– Je les appelle ! Oui, ils font des livraisons. Voici leur carte...
“Nono” qui a pris les choses en main veille à ce que le délai de livraison soit respecté. Maxence met à disposition des couverts. Les autres clients observent notre pizza avec d’autant plus d’intérêt que certains soupçonnent le nouvel établissement d’être injustement commenté sur les réseaux en raison de l'origine des tenanciers. La clientèle du Brunehaut ne diffère pas particulièrement de celui des autres bars-tabac. Maxence se montre cependant très attentif au climat et souligne le caractère inapproprié d’une remarque sexiste.

L'été, [Germain Nouveau] prend le chemin de Rome, à pied, sur les traces de saint Benoît Joseph Labre. Il mendie devant les églises jusqu'au jour où, arrêté par la police, il est expulsé d'Italie. De plus en plus, il se persuade de suivre la voie de Labre: devenir vagabond, traverser les sentiers d'Europe, visiter les sanctuaires et les hauts lieux du pèlerinage. Vivre de la mendicité, se faire l'ombre des ombres.

Frédéric Pajak
J'irai dans les sentiers – p. 223*

La première partie de l’étape du dimanche nous mène d’Auchy-au-Bois à Amettes. Si dans le premier village, l’église est construite dans une combe, dans le second elle est édifiée sur un promontoire qui la rend visible de loin. Elle n’a pourtant pas besoin de cette position pour assurer sa renommée puisque les reliques de saint Benoît Joseph Labre, né dans la commune, y sont déposées. Un homme qui a trouvé sa vocation dans une vie de mendiant et de pèlerin. Alors que la marguillière prépare l’édifice pour la messe, les habitants rangent les stands dressés pour la fête à Saint-Benoît qui a eu lieu la veille, raison pour laquelle nous nous sommes arrêtés à Auchy.
Burbure


Burbure – Église Saints-Gervais-et-Protais

La diversité des hôtes est aussi une richesse... Comme randonneurs sur la Via Francigena nous nous sentons le plus souvent accueillis avec bienveillance. Et les divers lieux d'accueil inscrivent ces rencontres dans un patrimoine. Une ferme de la première moitié du XIXe s. ou une chambre aménagée dans un carin, petit appentis où l'on élève des lapins ou de la volaille ou qui sert de toilettes, dans la plus ancienne cité minière locale.
Les traces de l'histoire minière ne se résument pas au mémorial du mineur, juché sur un château d'eau, en périphérie. La réhabilitation de la Cité des électriciens de Bruay-La-Buissière met en valeur une ancienne cité minière du milieu du XIXe s. La conservation en son sein de logements à vocation sociale rappelle la dimension sociale et non seulement normative des corons. Les diverses cités que nous traversons montrent une évolution qualitative du logement, en parallèle aux conditions de travail. La multiplication à l'identique des maisons ouvrières indique en revanche que la force de travail primait sur l'individu.
L’entretien de ce patrimoine met aussi en évidence la complexité de la reconversion d’une économie. La reconstruction d’un tissu économique est un exercice délicat ; plusieurs industries implantées à la fermeture des mines n’ont pas été aussi stables que souhaité.
electriciens bruay


Bruay – Cité des électriciens, un carin

Divers symboles, dont la présence du drapeau polonais devant la mairie de Marles-les-Mines, rappellent l'appel spécifique aux mineurs de ce pays pour répondre aux besoins économiques à la suite de la Grande guerre. L'essor démographique lié à cette migration contraste avec les polémiques autour du « plombier polonais » à l'ouverture de l'espace Schengen. La mémoire est parfois courte.
Le maintien d’un potentiel économique est lié aux infrastructures. Depuis Burbure nous observons une volonté de développer un réseau de transports publics qui se concrétise par la circulation de quelques bus hors des trajets scolaires. Le réseau TADAO concerne 150 communes des agglomérations de Lens-Liévin, Hénin-Carvin et Béthune-Bruay-Artois-Lys-Romane avec des offres diversifiées, mais inégalement réparties sur le territoire (bus réguliers, cars scolaires accessibles au public, bus à la demande, vélos électriques). Concrètement, quand nous visiterons le Louvre-Lens, un pôle culturel pensé pour promouvoir les Hauts-de-France, nous remarquerons le potentiel d’amélioration. Entre Arras (env. 40'000 hab) et Lens (env. 30'000 hab) distantes d’env. 20 km les trains régionaux, les 25 relations visent un public de lycéens.

Ils passaient tous le permis de conduire dès la majorité atteinte, pensant qu'il les libérerait de l'espace confiné du village, qu'ils pourraient ainsi faire des voyages (qu'ils n'ont jamais faits), des sorties (jamais plus loin que les discothèques aux alentours ou la mer à quelques kilomètres). Souvent ils travaillaient un été entier à l'usine quand ils n'y étaient pas déjà embauchés pour pouvoir s'offrir le précieux petit papier rose. Ils ne voyaient pas que ce permis de conduire faisait partie, au contraire, avec d'autres choses, des facteurs qui les maintenaient ici.

Édouard Louis
En finir avec Eddy Bellegueule
Seuil, 2014 – p. 175

Lorsque les terrils s'arborisent leur silhouette conique se fond dans le paysage comme au Bois Saint-Pierre d'Auchel. La constitution de cette aire de loisirs témoigne d'une volonté des collectivités publiques d'améliorer le cadre de vie. Le Parc départemental d'Olhain, qui relève des mêmes intentions, illustre aussi l'usage multifonctionnel de la forêt. Zone de loisirs encadrés, ce domaine offre des hébergements de groupes ; une occasion pour les élèves de tous âges de sortir du cadre de la salle de classe. En bordure de site, un golf complète ce centre de loisirs. L'essentiel de la surface est réservé cependant à l'exploitation forestière et à la chasse.

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