Moderne sans être occidental

Souyri Pierre-François. Moderne sans être occidental : aux origines du Japon d’aujourd’hui. Gallimard, 2016

Une part de la fascination pour le Japon est due au décalage entre un mode consumériste familier et un formalisme extrême. Cette distance que ressent le gaijin, l'étranger, est une constance historique de la civilisation nippone. Elle préserve sa spécificité plutôt qu'elle ne rejette la marche du monde; une politique nationale qui n'est pas exempte de dérives.
La révolution/restauration/rénovation Meiji a été un tel bouleversement que ses répercussions ont dépassé les frontières du Japon. Le manga de Sekikawa et Taniguchi documente visuellement cette onde de choc, alors qu'en analysant cette période, Pierre François Souyri, spécialiste du Japon médiéval, met en évidence les champs de tensions qui se créent après 1868 et qui amèneront au désastre de 1945.

[C]eux qui s'étaient emparés du pouvoir en 1868 le conservèrent durant toute l'ère Meiji. Le Japon bénéficia alors d'une formidable stabilité entre les mains d'un groupe tout-puissant, celui des bureaucrates à la fois modernistes et conservateurs, dont beaucoup avaient appartenu aux anciens fiefs de Chôshû et de Satsuma. Car c'est là que git l'apparente contradiction: ceux qui, parfois malgré eux, allaient mettre en place l'État-nation moderne furent souvent issus des factions les plus conservatrices de l'appareil d'État.

p. 171


blogEntryTopper Lire la suite...

Braconnages

Kaiser-Mühlecker Reinhard. Braconnages. Gallimard, 2024.

Kaiser-Mühlecker, après avoir exposé les réalités d'une paysannerie autrichienne influencée par l'histoire autrichienne, au travers de plusieurs générations des Goldbacher du Rosenberg, s'intéresse à leurs voisins, les Fischer.

Le métier tel qu'il l'exerçait avait beau ne pas correspondre, la plupart du temps, à la conception - un brin surannée, il est vrai - qu'il se faisait du métier d'agriculteur, et de sa propre personne, cela valait encore mille fois mieux que d'aller travailler quarante heures par semaine ou davantage pour autrui, comme il avait été contraint de le faire dans le passé. Certes, il arrivait que la confiance et la foi l'abandonnent.

p. 37-38

blogEntryTopper Lire la suite...

Faire paysan

Hofmann Blaise. Faire paysan. Zoé, 2023

[C]e livre n'est pas un manuel de politique agricole. Je n'ai évidemment pas la prétention de proposer des solutions. Je n'en ai pas l'envie, et encore moins les compétences. Je souhaite simplement transcrire un maximum de points de vue, ouvrir le débat, apporter de la nuance et partager des informations.

p. 75

Derrière ce titre, une certaine ambiguïté :
Faire paysan, c'est assurément dépréciatif, le péquenot fruste et inculte dont les cultures sont paradoxalement nécessaires à tant de vies villageoises et citadines.
Faire paysan, c'est envisager un métier exigeant dans un contexte économique particulièrement instable pour la profession, atteindre un idéal de relation à la terre. Lire la suite...

Le carton de mon père

Cartons bananes à Paris – wikimedia commons et flickr

Bärfuss Lukas. Le carton de mon père : réflexions sur l’héritage. Zoé, 2024

Lors d'un déménagement, il n'est pas exceptionnel qu'un carton à bananes reste stocké en attendant un regain d'énergie ou qu’un déplacement suivant règle rapidement son sort. Le carton de la Del Monte Company de Lukas Bärfuss avait déjà transité par de nombreuses adresses sans avoir été déballé. Ce paquet contenait le solde de l'héritage, par ailleurs répudié, de son père.

Les morts ne paient pas leurs dettes. Ils lèguent des coûts que quelqu'un doit prendre en charge.
C'était aussi pour cette raison que l'économie libérale faisait parler d'elle. Sa bonne réputation était endommagée. Trop de morts laissaient à leurs héritiers des coûts trop élevés, d'une ampleur tout autre que les dettes de mon père. Dès les débuts, il y avait eu des critiques à l'égard du marché mais désormais, il ne s'agissait pas seulement de le soumettre, lui et ses mécanismes, à un débat politique ou juridique. Notre existence était en jeu. La biosphère de notre planète était détériorée.

p. 42


blogEntryTopper Lire la suite...

La filière

Sands Philippe. La filière. Le Livre de poche, 2022


L'élimination des Juifs du territoire polonais a été particulièrement meurtrier. Hans Frank, gouverneur général, a été condamné à mort pour sa participation à ces meurtres. Philippe Sands, dans Retour à Lemberg, analyse sous l'angle du droit international la qualification de ce crime et le procès de Nuremberg. Son enquête l'a amené à faire la connaissance de Niklas Frank, le fils du «bourreau» qui l'a mis en relation avec Horst Wächter dont le père Otto a été épargné lors de ce procès. «La filière» retrace l'enquête à rebondissement de Sands pour percer le destin de la famille von Wächter.
Lire la suite...

Le Mage du Kremlin

Da Empoli Giuliano. Le mage du Kremlin. Roman. Gallimard, 2022.

Avec le personnage de Vadim Baranov, Giuliano da Empoli campe une figure qui ne lui est pas complètement étrangère. Autrefois conseiller politique du Président du Conseil Matteo Renzi, l'auteur a une formation en droit et en science politique. Dans ce roman, terminé dans les premiers jours de 2022, le narrateur reçoit les confidences du spin doctor du Tsar Vladimir Poutine. Ses propos donnent des clés de compréhension particulièrement pertinentes sur la situation qui prévaut en Russie et sur le ressentiment de Poutine à l'égard de l'Occident et de l'Ukraine.

[…] la première moitié du vingtième siècle n'aura au fond été rien d'autre que cela un affrontement titanesque entre artistes. Staline, Hitler, Churchill. Puis sont arrivés les bureaucrates, car le monde avait besoin de se reposer. Mais aujourd'hui les artistes sont de retour. Regardez autour de vous. De quelque côté que vous vous tourniez, il n'y a que des artistes d'avant-garde qui prétendent non pas décrire la réalité mais la créer.

p. 32-33


Selon l'écrivain lui-même, le personnage de Baranov est inspiré de Vladislav Sourkov (), directeur adjoint de l'administration présidentielle de la fédération de Russie. Cette position en fait un commentateur crédible des arcanes du pouvoir russe. La posture du Tsar est parfaitement vraisemblable, en regard des communiqués de ses porte-parole : une attitude glaçante de détermination. Pourtant l'auteur ne cède pas au manichéisme et se refuse à absoudre des Occidentaux qui n'ont pas saisi le traumatisme des années Eltsine. Une meurtrissure qui installe le pouvoir de Poutine dans la durée. Lire la suite...