Au cœur du Yamato
Mitsuba, Zakuro, Tonbo, Tsukushi et Yamabuki
Je repense à cette légende de l'empereur Jinmu. Yamato est le cœur de l'histoire du Japon. Sa cour impériale se tenait dans la cuvette de Nara. Je me répète: «Nara, Yamato, Akizu-shima, Akitsu, Tonbo, Japon...» Ma fille a choisi le mot tonbo [libellule] pour mon juku [cours privé]. Elle n'avait que trois ans. Elle ne savait évidemment pas que ce mot avait des ramifications aussi profondes, plongeant jusqu'à cette époque mythique.
Tonbo – p. 65
Aki Shimazaki affectionne les pentalogies. Par de brefs romans, elle aborde un aspect sociétal par différents angles. Alors que Le poids des secrets était élaboré sur les ruines de Hiroshima et de Nagasaki, le lien avec les Etats-Unis parcourt Au cœur du Yamato. En se référant au nom de la première dynastie, établie dans la région de Nara, l'autrice ancre son récit dans la tradition et accentue les effets ambigus de l'influence américaine sur l'Archipel.

Cache de Grenelle
Du microcosme de cette adresse parisienne, Christophe Boltanski déploie une histoire du XXe s. Lionel Baier situe ses personnages en Mai 1968, le romancier superpose les époques comme le réalisateur accumule les objets dans la reconstitution du cocon familial.Ils habitaient un de ces hôtels qui portent généralement des noms de marquis ou de vicomte, au milieu de la rue de Grenelle. Étrangers à la noblesse et à tout ce qui s'y rapporte, ils ne faisaient pas pour autant partie du faubourg Saint-Germain qui, depuis Balzac, désigne moins un quartier qu'un groupe social, des manières, un air, un parler.
p. 17

Source de chaleur

Bronisław Piłsudski en 1903
Le conflit opposant l'Empire russe et le Japon pour le possession de Sakhaline, dès le XIXe s., a profondément modifié les relations que les populations autochtones entretenaient avec leurs voisins. En s'appuyant notamment sur l'etude de ses populations par Bronisław Piłsudski, Kawagoe Sōichi restitue les Aïnous dans leur humanité.Yankemoshir, « la grande terre ». C'est ainsi qu'autrefois s'appelait l'île d'où ils étaient originaires. Maintenant, ils vivaient à Hokkaidō, dans le village de Tsuishikari. D'ailleurs, plus personne n'appelait « la grande terre » par son nom ancien. Les Russes, toujours plus nombreux, l'appelaient « Sakhaline ». Les Japonais qui s'y rendaient pour la pêche l'appelaient « Karafuto ». […] Une terre couverte par la taïga, bloquée par la neige et les glaces la moitié de l'année. Sur cette terre vivaient des Oroks, qui eux-mêmes s'appelaient Uilta, éleveurs de rennes, des Gilyaks ou Nivkhes, fiers conducteurs de traîneaux à chiens, des Russes, des Japonais. Et des Aïnous. Tous ces peuples vivaient sur l'île, ou en vivaient.
p. 25
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Sa préférée
L'écriture sensible et pudique de Sarah Jollien-Fardel donne relief à l'indicible : la vulgarité et la brutalité à laquelle un homme blessé soumet sa femme et ses filles. Rusticité d'une vallée valaisanne qui attire par une authenticité prétendument préservée. Façade qui masque un repli sur soi de manière moins ostensible que les SDF urbains.
Lorsque Villeneuve apparaît, je le vois pour la première fois. Le lac. Hypnotique. Fascinant. Lorsque le train le longe, que je l'aperçois derrière la vitre, je ferme mon livre. N'importe quel livre. Même un Paul Auster, dont je viens d'avaler La Trilogie new-yorkaise et pour qui j'éprouve une dévotion béate depuis, ne tient pas le choc face aux bleus, aux gris qui s'unissent, certains jours, avec le ciel.
p. 38

La Colombe et l'Épervier
La naissance de jumeaux au XIIe s. portait préjudice à la mère que l'on accusait d'avoir été fécondée par deux hommes. Lorsque Aélis de Cambremont donne naissance à deux enfants, la fille lui est retirée pour cacher ce malheur. Sous la plume de Lise Favre, elle devient Marie de France femme écrivaine, peut-être la première, proche d'Aliénor d'Aquitaine.
Cet angle permet à Lise Favre d'écrire un roman où les femmes sont au centre et de décrire un monde dans lequel les élites sont déjà mobiles et connectées.
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Portrait de l'autrice par Christian Lecomte
Convoi pour Samarcande
Deïev ne savait pas pourquoi les choses allaient ainsi. Pourquoi il y avait toujours tant de mort et de souffrance, et si peu de vie.
Quand il y réfléchissait, il s'imaginait une immense balance - comme celles qui sont sur les ports, pour peser la marchandise - et il répartissait mentalement ses souvenirs sur les énormes plateaux : sur l'un, les souvenirs tristes et douloureux, sur l'autre, les images pleines de lumière.p. 76

Lire plus…À la gare, Blanche passa à la direction pour annoncer à Moscou qu'elle était arrivée. Le téléphone était pris : un jeune homme à l'air épuisé énonçait - à Tcheboksary, ou dans un autre centre - des chiffres interminables. Il ânonnait d'une voix fluette, suivant avec des doigts de myope sur une feuille froissée, et répétant patiemment la même chose plusieurs fois - la ligne devait être mauvaise, et on lui demandait constamment de répéter. Blanche ne comprit pas immédiatement de quoi il parlait.
– ... Cent huit. Oui, oui, dans le district Tarkhanovski, cent huit. Non, cent sept, c'est à Mouratovski. Donc, à Tarkhanovski, cent huit morts.p. 146
Jacaranda
Le hasard de mes découvertes fait se suivre trois traces qui s'inspirent de la constitution de l'identité multiple des métis. Lorsque Gaël Faye écrit Petit pays, plus tard adapté au cinéma, on revit la tragédie rwandaise avec les yeux de celui qui, au sortir de l'enfance, se trouve subitement immergé en France.— Tu sais, l'indicible ce n'est pas la violence du génocide, c'est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout.
La nuit était douce, elle s'enroulait autour de nous comme un boa de plumes.p. 135

Mamie Luger
Berthe se sent trahie, elle qui avait décidé de se livrer en toute confiance, confondant psychanalyse et garde à vue.
– Je prends votre déposition, et ce que vous m'avouez depuis quelques heures, non, je ne le cautionne pas.p. 184
Une centenaire de caractère qui a affronté, à sa manière, le siècle se retrouve au poste.
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Silence
Les thématiques de la religion et de l'identité culturelle sont récurrentes dans l'œuvre de Shūsaku Endō. En tant que chrétien japonais, il sait combien l'histoire du christianisme dans l'Archipel est tragique. Sa conversion, à l'instigation de sa tante, alors qu'il n'était qu'un enfant et ses années d'étude à Lyon le rendent particulièrement sensible à l'interculturalité.
— Si l'on impose à des êtres ce dont ils ne veulent pas, ils ont tendance à dire merci sans raison. Ici, il en va ainsi de la doctrine chrétienne. Nous avons notre propre religion, nous en refusons une qui est étrangère et nouvelle. À moi-même, elle a été enseignée au séminaire et je la juge déplacée au Japon.
p. 136

La fin des temps

Les romanciers transfèrent leur [conscience] dans des romans.
p. 349
Tony Oursler, Hypnoflowers – 2020
Lire plus…L'enfant phœnix
Comment se perpétue la mémoire ? Alors que. l'usage dévastateur du feu nucléaire sur le Japon en août 1945 a fait entrer les noms de Hiroshima et de Nagasaki dans l'histoire universelle, les bombardements intensifs sur Tokyo restent souvent ignorés. Pourtant, par le nombre de victimes immédiates, ils ont été bien plus meurtriers.
Pour Ishida, le grand bombardement du 10 mars 1945, est aussi marqué du poids des secrets, pour reprendre le nom du recueil d'Aki Shimazaki. Sa mère a vécu cette nuit-là lorsqu'elle était lycéenne; elle ne le lui a mentionné qu'une fois alors que lui-même était adolescent. C'est le témoin qu'il désire transmettre pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise.C'était la première scène de guerre qu'il voyait de ses propres yeux. Jusqu'alors, la guerre, ce n'était rien que les entraînements militaires au collège, le travail volontaire à l'usine, les slogans d'une bravoure déprimante, la police militaire et la garde civile d'une sévérité terrifiante, les biens et victuailles qui disparaissaient comme de l'eau jetée dans le sable, la pauvreté et la faim.
Mais la vraie guerre, ce n'était rien de tout cela. Les aiguilles noires qui tombaient dans un bruit d'averse, la myriade de piliers ardents s'élevant au cœur de son propre quartier : la voilà, la guerre. La guerre s'immisçait dans votre ville, dans votre maison, et jusque dans vos draps.p. 277

La déchéance d'un homme
Le rôle de la pression sociale est parfois facteur d'intégration ; elle peut aussi causer d'intenses douleurs. Dans un roman à fortes connotations autobiographiques Dazai Osame exprime un profond désarroi de ne pas être en mesure de répondre aux attentes de sa famille et de sa classe.
Dans les conversations que j'avais avec mes proches, pas une seule fois je n'obtenais de réplique. Je voyais là un léger reproche qui me frappait comme la foudre et m'exaspérait. […] j'étais obsédé par l'idée que je n'étais peut-être pas fait pour vivre avec les autres !
p. 18
Maison de prostitution, photographie de Beato Felice, 1884 BNF-Gallica

Germania
Tout était rationné dans le pays, mais les exemplaires de Mein Kampf abondaient. On pouvait se procurer le sinistre traité politique par dizaines.
p. 51
Un polar inspiré de journaux tenus par des habitant·e·s de Berlin pendant le printemps 1944.
Les habitants du quartier s'étaient rassemblés devant l'église. Dans quelques instants débuterait l'office des laudes. Vogler perçut les regards en coin qu'on lui jetait. Des passants firent le salut hitlérien en le voyant. Il avait le sentiment qu'un fossé le séparait de ces gens. Après toutes les horreurs qu'il avait vues, il ne se sentait plus à sa place au milieu de ce semblant de normalité. L'image idyllique de sa patrie qu'il avait cultivée au fond de son esprit pendant ces années de guerre à l'étranger ne correspondait pas à la réalité. Ses compatriotes n'étaient pas aussi héroïques qu'il avait voulu le croire. Il ne voyait ici que des créatures ignares qui ne se préoccupaient que de leur misérable vie. Avait-il vraiment combattu pour eux ? Pour ces vieillards aux joues creusées, pour ces femmes aux hanches trop maigres qui flottaient dans leurs jupes trop larges ? Un malaise l'envahit. Qu'est-ce qui distinguait au juste la fière race germanique des pauvres hères qu'il avait vus en Pologne et en Russie ? On lui avait injecté une trop grosse dose de réalité ces derniers mois. Il savait qu'il ne supporterait pas longtemps de rester ici.
p. 101
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Le samouraï Hasekura
L'Ambassade de Hasekura Rokuemon Tsunenaga à Rome en 1615 – Wikimedia Commons
En utilisant une trame historique ignorée de l'Occident, Endō met en lumière ses propres interrogations sur sa singularité de chrétien japonais. Le ressenti de Hasekura lorsqu'il découvre le vaisseau qui doit l'emmener sur le Pacifique nous paraît irrationnel, sa soumission diffère-t-elle pourtant du lien que l'interprète Velasco entretient à Dieu ?« Sa Seigneurerie a construit un beau navire ! » Étant simple brigadier, le samouraï n'avait aperçu Sa Seigneurerie, qui habitait le donjon du château, que de rares fois et de loin. Sa Seigneurerie avait toujours été lointaine et inaccessible. Mais, dès le moment où il posa les yeux sur le grand navire, le mot : « devoir » s'imposa nettement à son esprit. Pour le samouraï, le navire était Sa Seigneurerie et l'autorité de Sa Seigneurerie. Le samouraï obéissant fut empli de la joie de servir Sa Seigneurerie.
p. 75

L'intérêt de l'enfant

Lire plus…[Le] Children Act le rappelait clairement : sa priorité absolue devait être l'intérêt d'Adam. Combien de pages, dans combien de jugements, avait-elle consacrées à ce terme ? L'intérêt d'un enfant, son bien-être, tenait au lien social. Aucun adolescent n'est une île. Elle croyait que ses responsabilités s'arrêtaient aux murs de la salle d'audience. Mais comment auraient-elles pu s'arrêter là ?
p. 234
Mille petits riens
La complexité du racisme est telle que les hommes de loi des juridictions américaines essaieraient de l'éviter dans leurs plaidoiries. Lorsque Ruth Jefferson, sage-femme expérimentée, comparait dans une affaire de mort d'un nouveau-né, tous les éléments convergent pourtant vers une affaire où la race est déterminante : les parents sont des suprémacistes blancs qui méprisent ouvertement le soignante noire.
Lire plus…Il existe une hiérarchie de la haine et elle diffère selon les individus.
p. 61
Fille de samouraï

Portrait de l'autrice - wikimedia
Lire plus…Est‑ce une vie romancière ? «Sont-ce de véritables mémoires ? Rien en tout cas n’est plus vivant que cette biographie d’une petite japonaise, élevée dans la tradition de son pays, convertie au christianisme et qui a pu confondre la vie américaine et la vie japonaise. La vieille culture du Japon est ici représentée avec une intensité frappante et l’on a l’impression d’une analyse sincère, profonde, par les faits seuls, de ces âmes si différentes des nôtres.
Gustave Michaut
Revue internationale de l'enseignement
1931, n°85, p. 238
Oreiller d'herbes

Sōseki en 1906, l'année de publication de ce roman wikimedia commons
Poète et peintre, le narrateur échappe à la ville pour tenter de trouver le sens de la beauté. Cette échappée au cœur du Japon rural du XXe siècle naissant mêle les sources de l'inspiration littéraire nippone et occidentale.Mon crayon, qui était sans vie, s'est mis à bouger graduellement et, profitant de ce mouvement, j'ai réussi, au bout de vingt ou trente minutes, à composer […] six vers.
p. 108
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La Fenêtre russe
Le courant d'air qui circule par cette fenêtre russe stimule l'imagination de Velikić. Une idée chassant l'autre, ses phrases, parfois improbables, sont construites par associations.Seul l'air frais continuait à passer à travers la petite ouverture rectangulaire dans le bas de la fenêtre qu'on appelle fortochka en Russie.
p. 87

Foudre
Le Jura, sa morphologie et sa position à la frontière franco-suisse, est un élément essentiel en toile des romans de Pierric Bailly. Terre des confins dont les plis offrent protection et les crêtes permettent des échappées sur le Léman. Julien, dit John, est l'emblème des contradictions de ce territoire en mutation, sous l'influence de l'attractivité économique helvétique : tantôt berger taiseux, tantôt acteur d'un tourisme familial un brin suranné ou encore salarié frontalier.
Le fait que je me penche sur le sujet, plus qu'un signe d'ouverture, témoigne surtout d'un besoin de remplir, de colmater, de recouvrir des pensées dont je préférerais me défaire. Je calfeutre, je badigeonne, j'enduis, je maquille, je me maquille, je me poudre, en espérant me réveiller un jour en collant à l'image que les autres se font de moi. Un personnage de fiction avec ses quelques traits bien définis. Un mec ouvert, un mec tranquille, un mec cool, pas compliqué, qui profite de la vie.
p. 297

Les démons de Berlin
Les circonstances troubles dans lesquelles le Reichstag a été incendié la nuit du 27 au 28 février 1933 laissent une grande marge d'imagination à l'auteur pour son roman dans le Berlin des années brunes. Si vaste, que la trame y perd en crédibilité… Moins anecdotique que l'affaire Geli Raubal, cet embrasement, qui préfigure celui de l'Allemagne, est ainsi réduit à un fait divers.
La mémoire des hommes est un témoin trompeur, qui manipule et réécrit sans cesse le passé, l'adaptant au présent, le faisant ployer en fonction du désir du moment. Les faits trop douloureux, trop décevants ou inconvenants sont poncés dans le souvenir jusqu'à ce qu'ils atteignent la perfection : suffisamment lisses pour cesser de blesser, modelés sur l'histoire qu'on se raconte à soi-même. Mais ceux qui imaginent que la vérité disparaît font erreur.
p. 328
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Les dames de Kimoto
Kinokawa, Wakayama – Takato Marui, Wikimedia Commons
Ariyoshi Sawako. Les dames de Kimoto. Folio. Mercure de France, 1959 / 2016.Lorsque la procession nuptiale emmène Hana sur le Ki vers la maison Matani, le Japon vit une période de profondes mutations. Ce mariage qu'elle vit comme un accomplissement appartient déjà au passé.
Même s'il n'y avait pas eu la guerre et si j'avais vécu chichement, il ne serait rien resté pour la génération de Seiichirō. Cette famille que tu as fuie n'est plus qu'un souvenir dans les livres d'histoire. […] Fumio, tu as si souvent répété que tu ne pouvais supporter de voir une femme dépendre si complètement de son mari et de son fils aîné ! Tu as dit aussi que se soumettre était ridicule. Mais je n'ai jamais eu l'impression de me soumettre à eux. Simplement, je me suis donné autant de mal que je pouvais pour eux.
p. 303

L'enclave
Correspondant du Monde à Moscou, Benoît Vitkine, est habitué à contextualiser les événements russes. Cette marque de professionnalisme se ressent dans quelques tournures didactiques du roman qu'il situe dans les environs de Kaliningrad.
Le retour du Gris, adolescent querelleur qui sort de prison, coïncide avec la chute de l'URSS.
Sa situation rappelle celle de Kaliningrad / Koenigsberg. La grande ville de Prusse Orientale vidée de sa population allemande, a été repeuplée d'habitants de diverses origines. Après 1991, soudainement, l'oblast se retrouve isolé de la Russie, entre la Lituanie et la Pologne devenues européennes. Vitkine, en rappelant le contexte historique – et la géopolitique actuelle – mêle symboliquement l'apprentissage de la liberté du Gris et la difficile émancipation de la Russie du “confort“ de la Guerre froide.
Tu crois que le vieux Brejnev, avec sa voix chevrotante, pouvait faire croire à un quelconque avenir radieux ? Il n'y a plus d'avenir communiste. Cela fait des décennies que l'on ne parle plus de progrès... Ça aurait dû vous mettre la puce à l'oreille, quand on a commencé, dans les années 1970, à vendre la victoire dans la Grande Guerre patriotique comme notre plus grande réalisation. Plutôt que l'avenir radieux, le passé glorieux ! L'essentiel était de maintenir les choses en l'état, d'éviter les troubles, les questions dangereuses. Nous avons dû composer, tous... Votre génération ne peut pas nous juger.
p. 153
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Ienisseï

Le récit de voyage de Garcin relate sa descente du Ienisseï de Krasnoïarsk à Norilsk. Climat hostile à l'homme, dans ces terres dont le Goulag a facilité l'exploitation. Les réprouvés ont permis l'accès aux ressources forestières, hydrauliques et minières, mais les bénéficiaires ne montrent pas davantage de respect pour les travailleurs que pour l'environnement. Les conséquences de cette négligence pour un milieu si fragile se répercuteront inévitablement sur ces habitants de seconde zone.
Autoportrait de Christian Garcin, dans un train, en Inde, 2014
Lire plus…Le problème, évidemment, est que la Russie n'est pas l’Occident. Sans être un adepte fervent du relativisme, je sais bien qu'il est aussi vain que présomptueux de lire l'exercice du pouvoir, dans des pays récemment, et sauvagement, ouverts à l'économie de marché comme la Chine ou la Russie, en chaussant nos lunettes de démocraties libérales à l'occidentale. Il m'a toujours semblé que si la forme du pouvoir pouvait changer, sa nature, elle, ne changeait pas. Elle est la même dans la Chine des Ming, des Tsing, celle de Mao et celle des capitalo-mafieux actuels, la même dans la Russie des tsars, des bolchéviques ou de l'oligarchie poutinienne.
p. 28
La double nuit du lac
Mère
Lire plus…Il ne peut pas travailler ils nous donnent juste le droit d'envoyer les enfants dans les écoles / C'est pour ça on ne peut pas s'éterniser quoi qu'il arrive il faudra qu'on rentre au Liban / Espérons ma sœur / On court après le retour / Comme une épice sur laquelle on n'arrive pas à mettre la main et sans laquelle tout devient fade
p. 35
Le crépuscule de Shigezo
La promotion d'un roman est un art étrange. Bandeau et quatrième de couverture sont là pour inciter à l'achat mais peuvent vanter des spécificités de l'œuvre opposées. Lire Sawako Ariyoshi comme la Simone de Beauvoir du Japon empêchera d'accéder au « roman qui nous réconcilie avec la nature humaine…»Les jeunes avaient peut-être un autre point de vue sur la situation de la femme, mais les hommes de la génération de Nobutoshi tenaient à leurs vieux clichés féodaux. Ils ne voulaient pas reconnaître l'apport financier du travail d'une femme dans les revenus de la famille. À leurs yeux, elle se faisait plaisir en travaillant au-dehors et c'était eux qui supportaient avec patience et indulgence le laisser-aller du ménage.
p. 119
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Soldat-tortue

je griffonne, je gribouille avec mon crayon, je pose ma tête sur la table, je continue à griffonner, je me mords les lèvres pour que rien, vraiment rien ne les franchisse, pas un cri, pas un chant, rien, mais tout est au fond de moi, sans aucun doute, pour toujours.
p. 57
Zoltán – Zoli – est embarqué dans une guerre qui n'est pas la sienne, lui dont l'enfance a déjà été chahutée. Anna, sa cousine, vit le conflit à bonne distance de l'imbroglio balkanique; elle est établie en Suisse.
L'un et l'autre éprouvent les conséquences de ce conflit, les comportements abjects qui ont libres cours dans ce temps d'exceptions.
Zoli, massacrer, détruire, tuer, on met tout ça dans notre berceau, on le plante dans notre cerveau avant même que nous sachions penser, voilà ce que nous dit Crnjanski – oh Jenö, oui, d'un seul coup nous n'étions plus rien, chacun rien que sa propre peau, dans l'uniforme, la nuit, le ciel et sa parure étaient éteints, Jenó n'a pas cessé de citer Crnjanski, entre-temps il comptait les années nous séparant du moment où nous serions mûrs pour la bataille
p. 101
L'absurdité de la guerre transparaît dans une certaine confusion de la langue : la logorrée de Zoltán, apparemment sans filtre, et l'expression de douleur de Anna, plus structurée, et pourtant altérée par le tourment psychique. Un rythme de nature archaïque pour manifester la répétition des drames et l'injonction à la violence.
Site de l'éditeur
Isabelle Rüf pour Le Temps
Notice viceversa littérature
Coureur de fond
Lorsque Murakami choisit de s'exposer en passionné de course de fond, pratiquant régulier du marathon, il évoque aussi l'effort que représente l'écriture romanesque comme exercice de contrôle de soi. Cette approche lui permet de distinguer la part de talent de la persévérance et de l'imagination nécessaires à atteindre ses objectifs.Devenir vieux représente pour moi - et pour n'importe qui, du reste - une expérience nouvelle, et les émotions qui m'habitent sont nouvelles également. Si c'était quelque chose que j'avais expérimenté auparavant, je serais en mesure de le comprendre plus clairement, mais comme c'est la première fois, je ne peux pas. Maintenant, j'ai tout juste le pouvoir de remettre à plus tard un jugement précis et de vivre en acceptant les choses telles qu'elles sont. Juste comme j'accepte le ciel, les nuages et la rivière.
p. 30
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Heidelberg, en été
Photo de Joshua Rondeau – Unsplash
À Heidelberg vingt ans après y avoir étudié, Emma est à la recherche de repères : dans quel immeuble logeait-elle ? Cette quête l'empêche d'assister au colloque qui l'a fait revenir. Accablée de chaleur estivale la narratrice éprouve à nouveau cette impression d'oppression qu'elle éprouvait à l'écoute de sa logeuse et de sa fille Magdalena, le récit répétitif de l'abandon de Koenigsberg devant les forces soviétiques dans les derniers mois de guerre.La violence et la haine qu'évoquait ma logeuse m'étaient donc insupportables. Je ne voulais rien entendre. Je n'étais pas venue pour ça. Je ne supportais pas ses récits. Je me rétractais, me roulais en boule pour me protéger. Sourde. Absente. Chacun de ses mots me rongeait le corps, me tordait le ventre. Je me défendais. Je ne voulais pas subir ces drames, ils me donnaient envie de crier. J'aurais préféré éteindre la radio ou fermer le livre. Mais je ne le faisais pas. Je restais assise sur mon lit ou dans un fauteuil, incapable de me lever et de prendre la fuite. Paralysée, pétrifiée, j'écoutais malgré moi.
p. 33

Une heure de ferveur
Après nous avoir fait découvrir le Japon par les yeux de Rose, Muriel Barbery remonte dans le passé pour nous immerger dans l'univers de Haru-San, marchand d'art à Kyōto.
Lire plus…Dans la pâle brume hivernale – c'était le 18 janvier –, les toriis prenaient des allures d’arcs-en-ciel monochromes. À côté, la forêt vierge de Tadasu donnait aux lieux leur caractère primitif et sacré.
p. 157
La nuit au pas
La journaliste, ancienne correspondante à Moscou de la RTS, radio télévision suisse, évoque une certaine nostalgie de la capitale russe. Une écriture poétique, parfois elliptique, qui suggère, davantage qu'elle n'affirme, la difficulté de rendre compte de la situation d'un pays en guerre. Un combat qui ne vise pas que l'Ukraine, mais toute forme de contradiction au pouvoir.
L'autrice brosse à l'aide de brèves vignettes la difficulté d'appréhender toute la complexité de la vie réelle des Russes. Ce procédé n'est pas simplement une économie de mots, il aide à percevoir le poids, sur chaque individu, d'un silence imposé.La mue de la capitale a été interprétée, par certains, comme un acte politique. À défaut d'offrir à la jeunesse urbaine une démocratisation du pays, qu'elle réclamait à la fin du mandat de Dmitri Medvedev, on lui a offert une occidentalisation de l'espace urbain, les attributs d'un monde globalisé, comme si cela suffisait à masquer les traces d'un style autoritaire. En espérant ainsi la satisfaire, ou l'endormir.
p. 61
Site de l'éditeur
Sarah Clément pour RTS Culture – QWERTZ
Lisbeth Koutchoumoff Arman pour Le Temps
La vie funambule
Quand le mystère de la vie devient incompréhensible, chacun·e mobilise ses ressources pour essayer de retrouver un sens à l'existence. La théologienne Muller-Collard adresse une lettre à la petite enfant qui, au jour de son baptême, ignore que sa mère est condamnée par la médecine. Que nous dit de la vulnérabilité humaine cette coïncidence ?Dieu est un enfant. Non pas parce qu'un bébé est innocent, pur et parfait. Mais parce qu'il est poreux. Et l'art du Christ sera de le rester
p. 50
L'auteure, en réponse à celui d'Absolument la vie, place la vie de chaque individu dans une perspective cosmique.
Gabrielle Desarzens pour RTS Religion« C'est comme ça », c'est le mantra du réel, le répéter c'est aller main dans la main avec lui. Savoir qu'il n'y a pas à se battre, savoir faire alliance avec tout.
p. 64
Site de Labor et Fides
Le pèlerin désorienté
A Sense of Direction. Pilgrimage for the Restless and the Hopeful
Déconcertant, le titre français de ce récit de voyage : l'auteur relate son pèlerinage à Compostelle, mais jamais il ne semble égaré à Kyoto ! Sa difficulté de résister à la vitalité de Berlin l'incite à chercher une direction à sa vie de jeune adulte. Après une expérience du Chemin de Saint-Jacques, il poursuivra par le pèlerinage des 88 Temples à Shikoku et complètera son expérience par le rassemblement juif d'Ouman en Ukraine.
Donner un sens à sa vie, c'est conjuguer le confort de l'obéissance à la dignité de l'indépendance. Ne plus être ni servile ni inquiet parce qu'on ne sait pas ce qu'on veut ni combien on est prêt à payer pour l'obtenir. La question est donc la suivante : comment trouver une structure qui nous permette de comprendre ce que nous voulons, sans pour autant nous forcer à suivre les fluctuations de nos désirs éternellement conflictuels ?
p. 57
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Stupeur et tremblements
Imprégnée de ses quelques années d'enfance passées au Japon en tant que fille de diplomate, Amélie Nothomb y retourne, en tant que jeune adulte, travailler dans une grande entreprise. D'une plume mordante, elle décrit l'univers de l'entreprise Yumimoto, où les apparences et les conventions broient ceux qui ne les respectent pas.
Les compétences de la narratrice comptent moins que sa capacité à se soumettre à une autorité qui se renforce à chaque échelon hiérarchique.
Lire plus…Et ne jouis pas de l'instant : laisse cette erreur de calcul aux Occidentaux. L'instant n'est rien, ta vie n'est rien. Aucune durée ne compte qui soit inférieure à dix mille ans.
p. 99
Kafka sur le rivage
La luxuriance des forêts de Shikoku répond à l'imagination débordante de Murakami qui nous y emmène dans un voyage initiatique. le sentiment de permanence qui s'en dégage brouille les repères temporels. Un décor rêvé pour évoquer la manière complexe dont se constitue une personnalité humaine.
Moi je n'ai qu'un seul problème à surmonter : vivre chaque jour dans ce corps, cette enveloppe défectueuse. Dit comme ça, ça paraît simple, mais en fait, c'est compliqué. De toute façon, ce n'est pas parce que j'y arriverai que j'aurai accompli quelque chose d'important. Je ne m'attends pas vraiment à recevoir une ovation.
p. 362
Lire plus…
L'ange de Munich
Angela Raubal, nièce de Hitler, se serait suicidée dans l'appartement de son oncle le 18 septembre 1931. Sur ce fait et plusieurs sources, Massimi construit une intrigue policière qui reflète les incertitudes de la période.
Lire plus…
Le poids des secrets
Pentalogie constituée de Tsubaki, Hamaguri, Tsubame, Wasurenagusa et Hotaru
Les cinq brefs volumes de Aki Shimazaki racontent au fond la même histoire sous l'angle de différents narrateurs. Quels sont ces secrets si lourds qu'ils influencent durablement la vie de Yukio Takahashi et de Yukiko Horibe et de leurs descendants ? Portant le patronyme de familles tokyotes honorables, leurs parents se retrouvent dans une maison mitoyenne de la banlieue de Nagasaki à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le hasard ou alors le destin leur permettra d'échapper à la bombe larguée précisément sur la Vallée d'Uragami le 9 août 1945. Lire plus…
Mèmed le Mince
La saga de Mèmed le Mince évoque une Turquie immémoriale. Ce personnage d'apparence insignifiant capable de déjouer les tentatives d'usurpation de l'agha devient, malgré lui, le protecteur des petites gens des plaines de Cilicie.
Lire plus…Certains jours, il se déchaînait, comme s'il était ivre. Enfourchant son jeune cheval roux, qu'il avait élevé et soigné lui-même, il partait au galop, à travers les montagnes embaumées d'odeurs de pin, de thym et de menthe. On aurait dit un vent qui soufflait depuis le passé des Turkmènes.
Il aimait évoquer l'émigration, l'exil, le grand combat avec l'Ottoman. Il décrivait la beauté des fusils de l'époque, parlait des tambourins décorés, qu'on battait sous les tentes aux couleurs vives. Il racontait comment la plaine se remplissait d'une symphonie rouge et verte. Un tintamarre de couleurs descendait sur la plaine de la Çukurova.p. 285
Le vide et le plein
Les notes de Bouvier prises lors de ses séjours au Japon révèlent un homme épris de liberté qui contient ses observations dans une langue des plus précises. Cette économie des mots contraste avec une certaine exubérance.
Lire plus…Le langage : plus embarrassé à mesure que la catégorie sociale s'élève, parce que les échos, contrecoups, ramifications et conséquences d'une erreur si bénigne soit-elle sont en raison directe de l'importance que leur auteur s'accorde, ou possède réellement. Si vous ne parvenez pas à vous faire entendre d'une vendeuse à l'étalage, aucun espoir d'y parvenir avec le chef de rayon qui sait un peu d'anglais et a suivi un cours spécial pour pouvoir affronter l'étranger. Elle était simplement dépassée; il vous opposera une incompréhension hiérarchiquement renforcée. Il n'a en tout cas pas à s'aventurer dans des improvisations qui pourraient tourner à sa déconfiture. Ni comprendre cette phrase japonaise que vous lui adressez, pourtant claire, mais qui contient trois fautes. Un garçon de course, une paysanne un peu éméchée ou le livreur-cycliste d'un restaurant comprendra par contre aussitôt : le temps qui presse, la situation modeste qu'il occupe, bref ! cette forme de stupidité n'est pas dans ses moyens. Au besoin, il crayonne sur un demi-billet de cinéma un plan qui est la clarté même et file où son vélo l'appelle. « Hinsureba tsuzuru» (la pauvreté rend ingénieux).
p. 20-21
L'avenir de l'eau
Membre de l'Académie française, après avoir été proche de la Présidence Mitterand, Orsenna développe une approche littéraire de la situation économique mondiale. À l'aide de quelques vignettes qui se réfèrent à ses rencontres avec des personnes influentes, l'écrivain montre diverses facettes de la mondialisation, un système complexe.
Un point de vue global ne raconte rien d'utile. Pour servir à quelque chose, toute analyse doit se référer à des réalités locales. D'un bout à l'autre de la planète, les saisons, par exemple, ne se ressemblent pas. Les seules généralités qui pourraient être avancées sont celles-ci : une augmentation globale du nombre de jours secs et, dans les deux hémisphères, une dérive vers les pôles des zones arides.
p. 256
L'eau à Vienne – Isaure Hiace
Site de l'auteur
Le dernier homme blanc
La vie d'Anders est profondément bouleversée lorsqu'il observe sa peau irrémédiablement s'assombrir et ses phénotypes en faire un étranger à lui-même. Il éprouve alors l'importance de l'apparence dans la constitution de son identité. Toute la population blanche de sa ville subissant cette métamorphose, la vie sociale en est bouleversée.
Le regard de Moshin Hamid, né au Pakistan puis ayant vécu ensuite à Londres, à New York et en Californie avant de s'établir à Lahore, est sensibilisé à l'altérité. Sans l'éveil de sentiments envers autrui, un regard reste vide; ces émotions se répondent jusqu'à ce que s'ajuste la posture. Son écriture est révélatrice de la capacité de l'auteur à manifester de l'empathie, à moins qu'il ne s'agisse d'un art de la nuance. Procédant par petits ajustements, il élabore de longues phrases en précisant ses observations comme autant de retouches.Oona sentait sur son visage la fraîcheur qui réveillait sa peau, et ils marchaient, et alors Anders dit qu'il n'était pas sûr d'être la même personne, il avait d'abord eu l'impression que c'était toujours lui sous la surface, qui d'autre cela pouvait-il être, mais ce n'était pas si simple, et la façon dont les gens se comportent autour de toi, cela change ce que tu es, qui tu es.
p. 64
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Les terres promises
Le club des incorrigibles optimistes, un groupe d'exilés russes que la passion des échecs a réuni à Paris restitue l'atmosphère des années 1960. L'idéalisme des personnages de Guenassia les rend si imprévisibles que leurs revirements en viennent à être attendus.
L'intention derrière la répétition des motifs – ruptures familiales puis retrouvailles miraculeuses, délivrances inattendues, engagements mystiques – demeure mystérieuse. L’auteur cherche-t-il à montrer l'impasse d'un modèle basé sur la collectivisation, que ce soit celle de l'expérience soviétique ou de la vie des kibboutzim israéliens, ou souligne-t-il l’aspiration de l'homme à une ascèse ?J'ai mesuré à quel point c'était difficile de rendre compte de la réalité, on croit l'approcher, on voudrait que les mots s'ajustent à ce qu'on a vécu, on veut améliorer le portrait, mais plus on insiste, plus on fabrique un conte cubiste, avec l'impression désagréable d'avoir trahi la vérité et d'être impuissant à restituer le passé.
p- 73
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La Tentation de l'Orient
Sous l'impulsion de Bertil Galland, la publication en 1970 de la correspondance entre Maurice Chappaz et Jean-Marc Lovay est révélatrice tant des constances que des spécificités des aspirations humaines.
[…] ils ont bouffé le Valais, l'Europe. Moi j'ai redit à des beats que j'avais vraiment compris l'œuvre d'un poète de mes montagnes, ici au Népal. Parce qu'ici j'ai trouvé ce qu'il ne sera plus possible de trouver en Valais, dans l'Occident même. Je ne dirai pas ce qu'est cette chose impossible. On la sent. On la sent, on fout le camp ou on crève...
Jean-Marc Lovay, Valais, juin 1969
p. 84-85
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Lilas noir
La malédiction apportée dans la famille Goldberger par la participation au régime national-socialiste de Ferdinand le vieux s'est-elle éteinte avec le XXe siècle ? Contrainte de quitter la Haute-Autriche pour Rosental, elle avait lutté pour s'y intégrer bien que la floraison du lilas rouge ravivait la mélancolie des origines.
Après avoir renoncé – pour une génération – à la transmission familiale par le nom, c'est un jeune Ferdinand promis à une belle carrière au Ministère de l'Agriculture et de l' Environnement qui porte le patronyme. Ecarté de la gestion du domaine par son oncle, il a trouvé dans l'agronomie un champ d'études à même de le relier à son passé terrien. Une manière pour l'auteur Reinhard Kaiser Mühlecker, agronome lui-même, d'évoquer les défis sociaux et économiques de l'agriculture contemporaine.Très rares avaient été dans sa vie les occurrences où le monde extérieur ne lui était pas apparu, ne fût-ce que confusément, sous la forme d'une contrainte pesant sur lui. Ce jour, peut-être, où il avait découvert à l'âge de seize ans le pays de son père, la ferme Goldberger, à Rosental, et où il avait décidé de s'y établir à demeure.
p. 122

Trois secrets, trois guerres, un papa
Jusqu'alors la vie du père n'était qu'un grand point interrogation. C'est désormais une constellation d'interrogations qui s'impose à moi; celles nouvellement apparues en entraînant d'autres. Il faut creuser plus profond.
p. 100
Des dessins un peu naïfs pour illustrer cette tentative de découverte d'un père tôt disparu. Orphelin de ses deux parents à 18 ans. le réalisateur Alex Mayenfisch n'a eu que des contacts distendus avec son père, qui a dispersé beaucoup de secrets : aujourd'hui encore l'auteur ne sait pas quelle a été son activité professionnelle qui nécessitait de longues absences. Lire plus…
Petites boîtes
L'étrangeté du roman de Yōko Ogawa incite à le ranger pareillement dans une petite boite que l'on oublierait, elle !
La narratrice, qui loge dans une ancienne école maternelle. assure le maintien de ce bâtiment désaffecté dans ce lieu en déliquescence. Toutes les constructions officielles disparaissent et la seule motivation des habitants qui errent semble d'entretenir le souvenir de leur enfant mort. Ils se succèdent dans l'auditorium de l'école pour disposer dans des boites-vitrines à la mémoire des défunts de quoi mener une vie factice. Une fois l'an ces parents endeuillés se réunissent pour des concerts de soi à soi où des amulettes font résonner les disparus.
La narratrice côtoie M. Baryton qui l'aide à récupérer des boites pour les nouveaux décès. De son côté, elle lui déchiffre les lettres que sa partenaire lui envoie de l'hôpital dans lequel sa vie s'achève. Une écriture qui s'amenuise au fil des jours. puis devient confuse avant de n'être que silence.Pour aller au musée d'histoire locale, il fallait prendre la première rue vers le nord après l'école maternelle, puis traverser le pont et passer devant le parc municipal où ma cousine vend ses boîtes-repas. C'était un bâtiment solide, en béton armé, avec deux étages en surface et trois en sous-sol, qui faisait autrefois la fierté de la ville car il abritait des dizaines de milliers d'objets. Mais à partir d'un certain moment que je ne saurais définir, les gens ont peu à peu perdu le désir de conserver le passé et ont cessé de s'intéresser au musée. Il n'a pas été déplace le long d'une nouvelle route, comme la bibliothèque, ni détruit à l'explosif comme la maternité, mais a fini par fermer un jour, après avoir été abandonné à son sort. Peut-être n'a-t-on pas trouvé d'autre méthode pour laisser à nouveau le passé au passé.
p. 96
La mort, on la sait inéluctable, mais telle que la représente Yōko Ogawa elle n'induit qu'enfermement et rétrécissement de la pensée. Morbide !
Le site de l'éditeur
Au prochain arrêt

Voyager en train avec la compagnie Hankyū incite à la nostalgie. En suivant des passagers dans leur voyage aller, et quelques mois plus tard au retour, l'écrivaine Hiro Arikawa nous présente un Japon en mutation. Au pays des convenances, ces personnages bousculent les usages et refusent de se soumettre à une passivité de bon ton. Le trajet et les attentes entre les huit gares de la ligne Imazu sont l'occasion de rencontres qui incitent les protagonistes à entreprendre un changement. Cette émulation se communique d'une personne à l'autre, à chaque tronçon.– Il m’a dit qu’il ne savait pas lire le caractère. C'est incroyable, non ? Pourtant il a fait des études et travaille dans une grande société.
p. 70
– Après, je lui ai dit qu'il ferait mieux de se remettre à étudier les caractères. Parce que même si aujourd'hui on écrit tout sur clavier, son ignorance le mettra tôt ou tard dans l'embarras. J'en revenais pas de lui recommander ça ! Mais il m'a tout de suite dit que c'était une bonne idée et qu'il allait s'acheter un cahier d'exercices. J'ai envie de l'inscrire à un examen de caractères, pour être sûr qu'il travaille.
La sévérité de la lycéenne amusa Misa qui se demandait quel adulte laisserait une lycéenne lui parler ainsi.p. 72
Le site de l'éditeur
La patience des traces
Oshima – Photo de Ryo Yoshitake sur Unsplash
Au terme de sa pratique professionnelle de psychanalyste, Simon Lhomme se retire pour un temps dans une île japonaise. Ce séjour le révélera à lui-même, lui permettant d'aborder cette nouvelle étape de vie sous une nouvelle perspective.Il a été lui aussi un havre pour les émotions insoutenables des autres. Il a su être ce havre. Toutes les tempêtes se calment. Il faut juste pouvoir attendre.
p. 124

Un livre de martyrs américains
La prolifique romancière américaine Oates ne craint pas de thématiser les problématiques sociales qui déchirent les États-Unis. Comme dans Sacrifice, elle essaie de dépasser les clivages qui ne peuvent que légitimer les violences.

Le martyr de William Tyndale – wikimedia
Lire plus…À l'école pastorale de Toledo, à la bibliothèque, j'avais lu ou tenté de lire le Livre des martyrs de l'Anglais John Foxe. C'était un très vieux livre des années 1500 (un temps si éloigné que je n'arrivais pas à m'imaginer quelle sorte de gens vivaient alors) qui avait été « actualisé » pour le lecteur moderne. Malgré cela, la lecture n'était pas facile. J'avais du mal à lire plus de quelques minutes d'affilée ces descriptions des supplices et des martyrs endurés par des chrétiens protestants opposés à la « papauté romaine ». […] Mais à présent il était clair que Dieu m'avait guidé. […] Je serais transporté de fierté, pensais-je, si devant un vaste auditoire l'éminent professeur Wohlman projetai un jour une photo de Luther Dunphy sur un écran et s'il parlait de moi avec admiration comme d'un martyr de la cause.
p. 125-126
Tortues
Le vécu affleure dans les premiers romans de Pellegrino. Les récits de ce recueil, dans leur dimension intime, nous dévoilent l'articulation entre l'expérience vécue et la création littéraire. Une certaine fascination pour les temps révolus ne l'empêche pas de les aborder avec les outils du présent.
Mais j'ai beau faire, ce que je trouve, ce que j'en dis, ne parlera jamais que de moi.
p. 84
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Un médecin contre la tyrannie
Avec son premier roman historique, au cœur du XIVe s. valaisan, Philippe Favre rappelle un contexte complexe où le jeu des alliances n'a rien à envier aux compromissions géopolitiques contemporaines. En faisant de Guillaume Perronet, physicus de Loèche – le médecin – son personnage principal, l'auteur cible la tension entre science et croyances populaires qui favorisent le contrôle des populations.
Pour les personnes que je soignerai ici, tous mes gestes, quels qu'ils soient, seront attribués à l'art médical. La seule source de méfiance proviendra du clergé, très sourcilleux sur tout ce qui touche à la guérison sans faire appel à l'intercession d'un saint ou de la Vierge; le risque d'être accusé de pratiques magiques est à prendre au sérieux.
p. 59
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Stern 111
Certains événements dont nous sommes témoins infléchissent le cours de l'histoire ; leur véritable impact ne se révèle pourtant que longtemps après leur survenue.Ce qui intéressait Carl, c'était la réussite du prochain vers, c'était ce vers et sa sonorité, non le naufrage du pays sous ses fenêtres. Si le poème était un échec, la vie était un échec.
p. 291
Stern 111, paru 30 ans après la Chute du Mur, traduit parfaitement l'instabilité induite par die Wende. Lutz Seiler, en documentant avec précision l'environnement de l'Oranienburger Strasse 20 à la fin des années 1980, montre le passage de la grisaille à la lumière du quartier Mitte–Prenzlauer Berg devenu emblématique de Berlin.
Il regardait fixement la chaussée. À droite et à gauche, les collines de la Thuringe. Les parents quittaient la maison familiale - en cet instant, une telle phrase était aussi triste qu'étrange. Autrefois, pensa Carl, partir était réservé aux enfants. C'était eux qui partaient découvrir le monde, pas les parents. Après quoi, les parents se faisaient du souci pour leurs enfants, et ainsi de suite.
p. 31

La nuit des pères
La présence de la montagne est obsédante. Sa masse imposante écrasante. Quand Isabelle revient dans la vallée où elle est née, après plusieurs années d'absence, c'est avec appréhension.
Cet environnement est celui dans lequel le père a excellé comme guide de montagne. Un refuge qui lui a évité de se confronter aux autres et même à sa fille. Si elle renoue, c'est davantage par solidarité pour Olivier, le frère, qui accompagne l'homme vieillissant en train de perdre ses repères. Lire plus…Du jour où j'ai découvert l'eau, l'apesanteur du corps, même dans l'effort, j'ai su que j'étais dans mon élément. Je me suis toujours méfiée de ta montagne, enfant, une terreur obscure, que cette masse nous anéantisse, nous perde ou nous détruise. Qu'elle se réveille.
p. 75
Il n'y a pas de Ajar
Le monologue de Delphine Horvilleur est une charge contre les excès de l'identarisme, certains diraient wokisme. Ce seul en scène traite avec humour et dérision de questions qui contaminent le débat politique en abusant des iniquités de notre société. Comment aborder les questions du genre, de la race, de la religion, bref des identités sans réduire l'autre – et soi-même – à une unique composante de sa personne ?
Lire plus…Autour de nous – tendez l'oreille – hurlent de toute part des voix qui affirment que pour être authentiques, il faudrait être entièrement définis par notre naissance, notre sexe, notre couleur de peau ou notre religion.
p. 15
La combe aux Aspics
Les contradictions de la société croate ne se sont pas estompées avec l'entrée, en 2013, du pays dans l'Union européenne. La comédie jouissive de Tomić pourrait illustrer cet écartèlement entre des hameaux de montagne retirés et les zones touristiques bordant l'Adriatique.
Le clan des Aspics se complait dans un univers de masculinité caricaturale, exhibant armes et véhicules grondants. Sans femme cependant ce monde aurait été voué à disparaître si Krešimir n'avait quitté son vallon en quête de l'être miraculeux. Un retour à la civilisation qui lui rappelle un passé déjà lointain avec lequel il renoue en moults rebondissements.
Cette équipée évoque avec dérision l'évolution des sociétés contemporaines et leurs contradictions.
Centrés l'un sur l'autre, Brane et Zone vivaient en une sorte d'autarcie : ils n'avaient besoin de qui que ce soit. Personne n'avait réellement pénétré leur fusionnement biologique, nulle relation humaine ne pouvait se comparer à l'intimité qu'ils ressentaient l'un envers l'autre. Même lors de leurs querelles et de leurs bagarres – et ils se querellaient et se bagarraient souvent –, un attachement sans faille régnait entre eux, excluant le reste du monde.
p. 111
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Samuel Brussell pour Le Temps
Donbass

Correspondant du Monde à Moscou, l'auteur est familier du Donbass. Le roman policier lui permet de décrire la situation qui y règne depuis 2014, entre insurrection séparatiste et guerre larvée avec le voisin russe. L'opération spéciale en remettant l'Ukraine sur le devant de la scène médiatique a contribué à cliver l'information, tant la réthorique propagandiste est excessive.
Le Donbass de Vitkine, dont l'action se déroule en 2018, met en évidence les fortes dépendances réciproques entre la Russie et l'Ukraine consécutives à l'ère soviétique. Le remplacement des statues de Lénine par celles du poète ukrainien Chevtchenko ne suffit pas à lui seul à renverser les réalités économiques. En donnant l'espoir de sortir de la pratique généralisée de la corruption, les partisans d'un ancrage à l'Occident exploitent la lassitude de la population. Cet attrait fragilise l'hégémonie russe sur les ressources et les équipements des oblasts orientaux.
L'intrigue, sordide, accroît le sentiment d'abandon qui parcourt tout le livre. Cependant, l'auteur présente l'existence de liens qui dépassent les relations familiales entre les deux camps. Même si la frontière semble un aboutissement pour certains, leur force pourrait façonner l'avenir.
C'était d'autant plus difficile de se repérer que le nouveau pouvoir avait jugé bon, jusque dans ce paysage de désolation, de mener à bien sa grande œuvre, la « décommunisation» de l'espace public. Le pays entier était pris d'une frénésie toponymique: par dizaines, on rebaptisait les rues et les villes d'Ukraine. La rue Lénine d'Avditvka, qui filait tout au sud de la ville et s'enfonçait en territoire séparatiste, était devenue la rue de la Cathédrale; la rue de l'Armée Rouge, celle des Abricots. Tout le monde continuait évidemment d'employer les anciens noms, seul le GPS d'Henrik faisait preuve d'un zèle tout maïdanesque.
p. 109
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Paroles d'histoire – Ukraine et révolution
Le lait de l'oranger
Le récit autobiographique de l'avocate Gisèle Halimi fait écho aux polémiques de notre ère postcoloniale.Je n'aimais pas le lait et je détestais la contrainte. Mais je croyais juste de l'imposer à l'[oranger] qui m'était si cher.
La vie entre les gens, l'histoire entre les peuples sont faites de ces contradictions. Se font à travers ces contradictions.p. 95
Naître en Tunisie en 1927, femme séfarade prédestine à une vie dans l'ombre. Une éducation française crée le paradoxe. Les valeurs sur lesquelles se fondent la République sont en contradiction avec le contrôle de la population maghrébine.
Lire plus…
Cher connard
Le ton familier de ce roman épistolaire éclate dès la couverture aux couleurs criardes. Le style adopté par Virginie Despentes s'apparente étrangement davantage à l'oral pour cet échange entre un romancier à succès et une actrice sur le déclin : deux « victimes » de leur image sur les réseaux sociaux – évidemment dans des postures différentes. Lire plus…
Les yeux de Zouleikha
Dans un récit qui puise dans les particularités du Tatarstan, l'écrivaine Iakhina Gouzel ouvre les yeux de ses lecteurs sur certains éléments constitutifs de l'Union soviétique. Si les conditions pour exacerber les conflits entre nationalités datent du temps des tsars, elles ont été amplifiées par les mouvements de populations du XXe s.
L'histoire de Zouleikha offre divers points de vue sur l'expansion de la doctrine soviétique et, partant, la compréhension de la Russie actuelle.
Lire plus…Mourtaza est assis par terre, la bouche pleine. Entre ses deux jambes écartées, il y a un caillou, enveloppé dans un épais papier blanc. Continuant à mâcher d'un air ébahi, Mourtaza déplie le papier. C'est une affiche : un immense tracteur noir écrase de ses grosses roues dentues des petits hommes à l'aspect repoussant qui partent dans toutes les directions, comme des cafards. L'un d'eux, qui ressemble beaucoup à Mourtaza, est debout, l'air effrayé, essayant de piquer l'engin d'acier avec une fourche en bois toute tordue. De lourdes lettres carrées tombent du ciel : « Liquidons les koulaks en tant que classe ! » Zouleikha ne sait pas lire, et d'autant moins le russe. Mais elle comprend que le tracteur noir s'apprête à écraser le minuscule Mourtaza avec sa fourche ridicule.
p. 71
Le jeune homme
Lire plus…J'avais de nouveau dix, quinze ans, et j'étais à table avec ma famille, mes cousins, dont il avait la peau blanche, les pommettes rouges des Normands. Il était le passé incorporé.
Avec lui je parcourais tous les âges de la vie, ma vie.p. 21
Grande couronne
Ma mère s’est accrochée à ma vocation d’avocate comme un gondolier à sa rame. Elle envoyait des lettres à tour de bras, elle connaissait une famille bosniaque qui avait eu recours à des services de défense pour faire valoir ses droits de rester sur le territoire français. Je l’ai tout de suite prévenue : hors de question que je me mette au service des pauvres, j’en avais eu ma claque à la maison.
– Mais on n’est pas pauvres… m’a-t-elle répondu en retirant le poignard que je venais de lui planter dans la poitrine.
– Alors pourquoi on vit comme des pauvres ? Pourquoi t’achètes que de la bouffe de merde ? Pourquoi on porte jamais de la marque ? Pourquoi on va pas au Club Med ?p. 179
Une adolescence en banlieue. La narratrice rêve d'exhiber les signes extérieurs de réussite promus par l'envahissante société de consommation. Prête à tout pour arborer l'accessoire qu'elle juge indispensable, elle nous entraine dans un univers glauque, au tournant de ce siècle. Tennessy se laisse entrainer dans un réseau improvisé et tarife ses faveurs aux garçons. Une manière d'exacerber les inégalités de genre.
L'univers dépeint par Salomé Kiner colle à l'adolescence : ses excès, ses obsessions, son besoin d'identification. L'autrice amène – de façon trop marginale, à mon sens – les questions de la précarité due aux accidents de la vie ou aux inégalités sociales.
Le milieu dans lequel évolue l'héroïne est plus instable que démuni. Tennessy assume clairement des responsabilités d'adultes pour sa mère et la fratrie. Cette parentalisation tranche avec le déficit d'empathie auquel fait croire le manque d'épaisseur des protagonistes.
Grande couronne se réfère-t-il alors à la banlieue parisienne ou à l'ego de la narratrice ? L'autrice en décide autrement par une pirouette finale toute de légèreté !
Isabelle Rüf pour Le Temps
QWERTS – Isabelle Carceles pour RTS-culture
Site de l'éditeur
L'homme des bois
Dans ce texte émouvant Pierric Bailly confirme son profond attachement au Jura. Au-delà de la toponymie qui définit les limites géographiques, l'auteur sait mettre en évidence le tissu économique et la diversité sociale de ce département frontalier. En cassant les clichés, il donne un cadre à la dimension de son père mort tragiquement.
Lire plus…
Un voyage infiltré
Lorsque Matthieu Aikins, correspondant pour divers journaux et magazines, décide de quitter l'Afghanistan en 2016, Omar, son chauffeur et interprète pendant huit années, envisage déjà l'exil. Le jeune Afghan n'a pas pu réunir les documents qui lui permettraient d'obtenir un visa officiel eu égard aux services rendus aux Occidentaux. Il ne lui reste alors que la voie de migration “ordinaire”« celle qui l'expose aux abus. Matthieu Atkins se détermine alors à accompagner celui qui est devenu un ami sur le même chemin.
À quel moment un migrant devient-il un réfugié ? Comme ses frères, Haniya voulait rejoindre l'Ouest dans l'espoir d'une vie meilleure. Elle avait perdu tout espoir pour son propre pays où la guerre s'intensifiait à mesure que les talibans multipliaient les offensives contre le gouvernement […] Les femmes afghanes étaient confrontées à des violences supplémentaires […] Une Afghane célibataire comme Haniya avait de bonnes chances d'obtenir l'asile si elle le demandait en Europe ou au Canada. Mais elle n’avait aucun moyen légal de rejoindre ces pays. Un véritable cordon constitué de visas et de restrictions sur les vols visait à l’exclure, elle et les autres réfugiés. Cette situation délibérément kafkaïenne pour les réfugiés […] est l'héritière des mesures prises pour refouler les Juifs qui fuyaient l'Allemagne nazie, et elle fait en sorte que plus une personne est susceptible de demander l'asile en Occident, moins elle aura de chances de pouvoir embarquer sur un vol qui l'y mènera.
p. 59-60
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Une chambre en exil
Arrivé en France il y a dix ans, âgé alors de vingt-cinq ans, Omar Youssef Souleimane a acquis une belle maîtrise d'une langue qu'il n'a pas dans sa poche. La migration est un déchirement et le parcours en vue d'acquérir son indépendance est semé d'embûches. Des obstacles qui renvoient l'étranger à son statut et qui l'engluent dans les marges de la société.Se plaindre fait partie de la culture française. Un étranger venu du Moyen-Orient remarque cette façon de réagir. Pour lui, ce penchant pour le malheur n'a pas de sens, simplement parce qu'il a connu une autre vie, celle d'un pays sans Sécurité sociale, sans liberté d'expression, sans démocratie. En effet, pour savoir à quel point on vit bien en France, il suffit de vivre ailleurs.
p. 57-58
Lire plus…Suis-je en état de comprendre leurs vies normales de gens normaux ?
Je suis comme eux, on parle la même langue, on respire le même air, et je suis prêt à lutter pour l'avenir de ce pays. Rien ne me sépare de ces citoyens nés en France, à part une épine dans le cœur, qui s'appelle : réfugié.p. 110
Aux frontières de l'Europe
Les textes de Paolo Rumiz sont imprégnés de l'atmosphère des confins, de lieux souvent retirés qui permettent l'accès à l'ailleurs. La rupture résultant de décisions historico-politiques contraste avec les continuités environnementales. En évitant le recours à l'automobile, l'auteur s'assigne une contrainte qui lui permet de mieux s'imprégner de l'atmosphère des lieux... et s'offre le plaisir du voyage ferroviaire. Lire plus…J'ai voyagé pendant plus d'un mois sur une ligne sismique qui ne dort qu'en apparence. J'ai franchi des douanes, des barbelés, des barrières avec des miradors et des réflecteurs. J'ai vécu des confiscations de marchandises, des attentes interminables, des arrestations, des contrôles de visa extrêmement durs. En passant d'un côté à l'autre des limites de l'Union européenne, j'ai éprouvé plus d'une fois un certain frisson, mais sans jamais penser à la guerre froide.
[…] Il a peut-être raison, Maxim, la frontière retourne vers le froid.p. 322-323
Le pain perdu
Dans ce récit autobiographique Edith Bruck rappelle la difficulté à échapper aux injonctions de la société. En tant que rescapée des camps d'extermination nazi, s'intégrer dans le monde hérité de la Seconde Guerre mondiale n'est pas une évidence.
Elle a survécu à ce cataclysme contrairement à la société hongroise dans laquelle elle a grandi. Il s'agit alors de se reconnecter à un monde dont on a perdu les repères, en comptant sur ses propres forces. Un processus laborieux qui commence par de longues attentes dans les camps de transit. Puis vient le rapport ambigu à la famille et à Israël : des repères qui enferment celle qui ne rêve que de la liberté d'exprimer sa personnalité.Judit et moi échangions des propos muets, comme pour exprimer qu'entre nous et ceux qui n'avaient pas vécu nos expériences s'était ouvert un abîme, que nous étions différentes, d'une autre espèce. Que se passait-il ? Notre restant de vie n'était plus qu'un poids, alors que nous avions espéré un monde qui nous aurait attendues, qui se serait agenouillé devant nous. Ce qui nous troublait était-il réel ou imaginaire ?
p. 87-88
Reconnaissante de l'accueil que l'Italie lui a réservé, Edith Bruck est néanmoins troublée de voir le «vent pollué par de nouveaux fascismes, racismes, nationalismes, antisémitismes» (p. 156) reprendre de l'ampleur. Ses écrits, récompensés par de nombreux prix et son témoignage ont-ils été vains ?
Lisbeth Koutchoumoff Arman pour Le Temps
Interview du traducteur, René de Ceccatty par David Berger, RTS
Site de l'éditeur
Roches tendres
Pierre emblématique de nos contrées, abondamment utilisée dans les édifices officiels au tournant des XIXe et XXe s., la molasse se révèle fragile.
Dans ce texte poétique, Julien Burri illustre l'intimité des liens que nous façonnons dans les lieux que nous habitons. Métaphore de nos mémoires, fragiles par essence, la pierre même s'incruste de nos traces.Les maisons dans lesquelles nous avons vécu continuent de nous habiter. La hauteur de leurs plafonds, leurs portes ouvertes ou fermées, leur accueil ou la solitude de leurs couloirs continuent de donner forme à nos pensées, nos désirs et nos rêves.
p. 29
Habilement, se jouant des temporalités l'auteur nous réserve une surprise.
Site de l'éditeur
Anne Laure Gannac pour la RTS
viceversalittérature.ch
Isabelle Rüf pour Le Temps
Nous, l'Europe
La déclamation de Laurent Grandi en faveur de l'Europe inscrit la politique communautaire dans l'histoire chahutée de notre continent. L'Europe des nations et celle des idéologies on conduit aux affrontements, à la domination et à l'accaparement des ressources dans un contexte de concurrence. Cette prédation contraste avec un foisonnement intellectuel et des idéaux ambitieux.
Plantez des croix sur ces champs immenses.
Plus,
Toujours plus.
Plantez des croix,
Posez des plaques,
Erigez des statues :
Morts pour la France au champ d'honneur, gloire de la patrie et tout cela...
Plantez,
Plantez,
Il en faudra beaucoup
Car elle va être mondiale, celle qui vient…
On va venir de loin pour mourir jusqu'ici.
Polissez des cercueils,
Creusez des fosses,
Il en faudra plus que ce que vous pouvez imaginer.
Côte à côte,
Coude à coude.
Gravez sur le marbre des noms,
Encore des noms,
Des listes infinies de noms.
Il en faudra des statues,
Des monuments,
Des minutes de silence,
Pour rendre hommage à ceux qu'on a sacrifiés.
Il en faudra des pelletées
Pour enterrer tous les corps que le siècle va manger.p. 61-62
Lire plus…
La valise
La valise est la métaphore que choisit le journaliste et écrivain soviétique pour décrire ce qu'il emmène dans son exil. Si les divers chapitres nomment des pièces d'habillement, leur contenu se réfère davantage à des expériences qui en se succédant donnent l'impression d'un dévêtement. Les revers de l'auteur sont pourtant constitutifs de l'armure d'impassibilité dont il se recouvre.Je ne saurais dire ce qui me prit. Était-ce mon esprit dissident refoulé qui se réveillait ? Ou la part criminelle de mon être qui réagissait ? Ou encore l'influence de mystérieuses forces destructrices qui me poussaient à agir ? Chacun de nous fait l'expérience de ce genre de chose une fois dans sa vie.
p. 39
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Céline
Roman inclassable, Céline nous emmène dans les paysages de l'Ouest américain. Avec son conjoint, Pete, elle y recherche Lamont, un reporter du National Geographic disparu. Heller montre beaucoup de talent à peindre les paysages côtiers de la Nouvelle-Angleterre et l'atmosphère des Parcs américains du Nord-Ouest, à l'exemple du célèbre magazine.
En plus de cette capacité à enchanter les lieux, il laisse transparaître une réelle affection dans la description de son personnage. À 68 ans, Céline est un être complexe, entre élégance bourgeoise et passions viriles pour le tir et les moteurs puissants. Malgré une santé défaillante, elle s'engage encore une fois comme détective privée pour mettre en lien une fille et son père disparu. Cette quête – une tâche pour laquelle sa réputation est excellente – ravive des souvenirs douloureux de sa jeunesse.
Le roman alterne introspection et action policière, lui conférant ce climat tout particulier.
[…] l'incident l'avait revigorée. Lui avait rendu force et rapidité. Il avait vu à quelle vitesse elle avait réagi, s'était levée au lieu de se recroqueviller, scrutant et cherchant, repérant les angles de tir protégés. Il remarqua aussi que sa respiration était plus calme, plus ample. Il était bien obligé d'en conclure que ce genre d'instant critique la rendait heureuse. De quoi être émerveillé. Enfin, peut-être.
p. 367
Le site de l'éditeur
Richard Werly pour Le Temps
Les enfants de la Volga
La Volga dans l'Oblast de Saratov – wikimedia
Plus grand fleuve européen, la Volga occupe dans l'imaginaire russe une place à la mesure de son importance économique. Dans le roman de Gouzen lakhina, entre le conte et le récit fantastique, elle fait le lien entre un univers intemporel et les aléas de l’histoire. Au cœur du roman, la communauté allemande qui a colonisé la région de Saratov à l'invitation de Catherine II, à partir de 1763, et son destin pendant l'entre-deux guerres. Lire plus…Au début, le guide des peuples n'avait pas compris toute la gravité de cette aide humanitaire. Les choses allaient plutôt bien sur la Volga – la vitrine du socialisme soigneusement installée pour l'opinion publique internationale brillait de tous ses succès et de toutes ces réalisations: c’est en République soviétique allemande que le pays avait accompli sa première collectivisation totale; c'est là que le premier tracteur d'URSS avait été produit en série (il est vrai que le « Nain » avait été retiré de la production, mais cela ne l'avait pas empêché d'entrer dans l'Histoire).
p. 417
La plus secrète mémoire des hommes
Un grand roman épique qui interroge la place que les lettres françaises fait à la littérature africaine, tel est le défi relevé par Mohamed Mbougar Sarr, jeune auteur sénégalais.
Le narrateur Diégane Latyr Faye, lui-même écrivain en devenir, retrouve à Paris, après plusieurs tentatives la trace d'un roman ensorcelant Le labyrinthe de l'inhumain d'un auteur rapidement perdu de vue. Une notice dans un Précis des littératures nègres auquel est souvent réduite la littérature ultramarine avait déjà attiré son attention de lycéen sur ce mystérieux T. C. Elimane.
Il se voit même confier un précieux exemplaire par une écrivaine soixantenaire, Siga D., l'Araignée-mère qui l'a devancé dans cette quête.
Lire plus…Ce Musimbwa, disais-je, n'est qu'une mode, et à force d'être dans l'air du temps il finira enrhumé, comme tant d'autres que l'époque avait fini par moucher après l'encensement sacramentel. Je n'avais évidemment pas encore lu une seule phrase de lui à ce moment-là. Il m'avait suffi de le faire pour passer de la jalousie à l'envie, puis de l'envie à l'admiration, et l'admiration muait parfois en désespoir absolu devant la certitude que je n'aurais jamais son talent. Je le tiens sans conteste pour notre primus inter pares, le meilleur de notre génération.
p. 51-52
Hiver à Sokcho
Daepo Port, Sokcho – wikimedia commons
Dusapin Elisa Shua. Hiver à Sokcho. Gallimard, Folio, 2018.C'est bientôt seolall, le nouvel-an lunaire coréen, dans la station balnéaire de Sokcho. Un Français semble égaré dans cette villégiature proche de la frontière nord-coréenne. Il loge dans la modeste pension du vieux Park dans laquelle la narratrice assume diverses tâches. Leurs chambres contiguës ne sont séparées que par une fine paroi de papier.
Ce rapprochement n'est pas anodin; la narratrice est d'origine franco-coréenne. Elle a appris le français pour conserver un lien avec le père absent. Élisa Shua Dusapin partage cette double ascendance avec son personnage et cultive sa part asiatique dans son environnement francophone.– Ce qui sculpte une image, c'est la lumière. En regardant bien, je me suis rendu compte qu'au lieu de l'encre, je ne voyais que l'espace blanc entre deux traits, l'espace de la lumière absorbée par le papier, et la neige éclatait, réelle presque. Comme un idéogramme.
p. 88

Le Roman de Jim
L'ancrage du roman de Bailly dans un territoire, celui du Haut-Jura, en est un élément fondamental. Ces villages reculés dans lesquels les liens se distendent ou se resserrent sont essentiels à ses protagonistes. Les constellations familiales sont sujettes aux mêmes mouvements, en particulier dans une société en évolution rapide.
Lire plus…Cela faisait plus de quatre ans qu'on était ensemble, et pourtant j'avais toujours du mal à y croire. Je ne doutais pas d'elle, je doutais de moi. Ça me fait chier de le dire mais c'était aussi bête que ça : pur et simple manque de confiance en soi. Manque d'aplomb, manque d'assurance. Je ne croyais pas assez à mon personnage. Je n'étais pas assez investi dans mon rôle. Comme si je n'avais pas les épaules pour l'incarner pleinement. Comme si je n'étais pas tout à fait la tout bonne personne, ou pas tout à fait à la bonne place.
p. 76
et tournera la roue
Après ses premières nouvelles de prison, L'aurore, Demirtaş poursuit sa carrière d'écrivain avec ce recueil à l'ironie plus mordante encore. Ces traits nous épargnent cependant de la tonalité désespérante de ces nouvelles.
La mort était devenue monnaie courante, si bien que les destructions et les massacres faisaient partie de la vie quotidienne. Au cours de ces événements, ce qui était encore pire que la mort, c'était le silence assourdissant du reste du pays, et celui du monde entier.
p. 151
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L'ombre d'un père
Dans un langage simple, celui du témoignage oral, Christoph Hein nous fait revivre son expérience de la République démocratique allemande. Konstantin Boggosch vient de prendre sa retraite d'enseignant lorsqu'il reçoit un nouveau rappel de sa filiation. Un père qu'il n'a jamais connu, mort avant même sa naissance, détermine son parcours de vie. Malgré ses tentatives de les ignorer, et une forme d'acceptation de cette réalité, ce poids pèse irrémédiablement.Mon père a a tellement d'êtres humains sur la conscience. Et maintenant en plus il m'assassine, moi.
p. 355
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Soupçon de liberté
En se concentrant sur trois périodes déterminées de l'histoire récente de la Nouvelle-Orléans, Margaret Sexton nous propose une clé de compréhension des inégalités raciales dans le Sud étasunien. Trois générations en recherche d'une liberté si difficile à obtenir que les galères semblent inéluctables. Le contexte qui empêche de s'élever contraint-il au déclin ou des choix personnels pertinents permettraient-ils de vaincre cette fatalité ?
Aux inégalités préexistantes, viennent s'ajouter des circonstances aggravantes. En choisissant 1944, 1986 et 2010, Sexton indique les marqueurs que constituent la Seconde Guerre, la politique néolibérale de Reagan et l'ouragan Katrina en Louisiane. Lire plus…
Tout ce qui est beau
Comment traduire la beauté des œuvres de Mozart au travers des mots ? Pour conclure sa trilogie consacrée à la création artistique, poésie, peinture et composition, Matthieu Mégevand communique un enthousiasme pour Wolfgang Gottlieb Mozart.
Lire plus…Il faut dire que, par-dessus tout, ce que Mozart apprécie, c'est d'être écouté. Non pas entendu de loin par une foule ornée, ceux qui payent, qui ordonnent, qui décident ; non, écouté par des auditeurs – un, deux seulement, peu importe qui apprivoisent, saisissent son langage et s'en émeuvent.
Alors, sentant bien qu'il y a là, enfin, un public pour le comprendre, Mozart joue : envoûté, il s'agite, s'enflamme, son corps sursaute, sa tête brinquebale, son buste bascule, c'est comme un volcan qui se réveillerait ; mais c'est d'une éruption de joie qu'il s'agit, d'un formidable éclaboussement de bonheur, celui de savoir – à l'attention des auditeurs, à leur silence – que toute cette lave qui bout dans ses tréfonds ne jaillit pas en vain, et qu'il n'est pas seul à se sentir consumé.p. 80-81
J'irai dans les sentiers
Le dernier tome du Manifeste incertain à peine refermé, Frédéric Pajak nous livre un nouveau volume de textes et dessins consacrés à trois poètes français majeurs des années 1870.
Lire plus…J'ai le goût du lendemain, même si, ou surtout si, ce lendemain me reconduit à des sensations anciennes et qui perdurent, preuve que le temps s'est fortifié en moi, et qu'il me fait vivant, et gai, et désespéré – jamais amer.
p. 290
Peindre les âmes
Le dernier roman de Metin Arditi nous emmène au Proche-Orient, il y a près d'un millénaire. Saisi par la beauté d’une icône du monastère de Mar Saba, à l’est de Bethléem, il écrit un conte pour en décrire la genèse.
Lire plus…Au contraire des icônes qui montraient des saints dans le propos de renvoyer le spectateur à son devoir de vénération, ses peintures – puisqu'il s'agissait de cela – étaient le miroir embellissant de son âme.
p. 231-232
Madame Hayat
Le dernier roman d'Ahmet Altan n'est pas encore paru en Turquie, faute d'éditeur. Le risque économique encouru serait probablement trop grand tant le contenu métaphorique de cette oeuvre écrite en prison dénonce la politique coercitive de la Turquie.
– Un jour, tu oublieras tout ça, tout ce que nous sommes en train de vivre maintenant.
Elle se tut, respira longuement.
– La seule chose que je te demande, c'est de choisir un moment, un unique moment... Et de ne pas oublier ce moment... Si tu essaies de te souvenir de tout, tu oublieras tout... Mais si tu choisis un moment parmi tous ceux que nous avons partagés, alors il t'appartiendra pour toujours, tu ne l'oublieras jamais... Et moi je serai heureuse, heureuse de savoir que j'existe encore pour toi, à jamais gravée dans un coin de ton esprit comme le souvenir d'un moment que nous avons vécu ensemble.p. 75-76
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Le silence d'Isra
Américaine d'origine palestinienne, Etaf Rum, connait la situation des femmes musulmanes de New York. Son roman, autour de trois générations de établies à Brooklyn, offre une perspective qui tranche avec la tendance française à se focaliser sur la religion islamique. Il souligne ainsi la richesse que représente les différents points de vue pour la compréhension des phénomènes sociétaux.
Lire plus…« Ce n'est pas parce que tu es née ici que tu es américaine. Tant que tu vivras au sein de cette famille, tu ne seras jamais américaine. »
p. 316
Le cœur de l'Angleterre
Jonathan Coe fait partie des narrateurs engagés qui dépeignent une réalité sociale britannique avec dérision.
Le titre original, Middle England, polysémique, se réfère tant au sujet, la classe moyenne, qu'au lieu. Birmingham, seconde agglomération britannique moquée pour son supposé provincialisme. Le titre français renvoie au lien affectif à la patrie, un ressort qui a été abondamment utilisé par les partisans du Brexit. Un argument très porteur au cœur de l'Angleterre, le poumon industriel du pays mis à mal par le libéralisme. Lire plus…
L'aurore
Avec son recueil de nouvelles, Selahattin Demirtaş nous convie à des journées sombres. L'auteur les a écrites de prison.
Lire plus…Ils construisaient leur nouvelle vie pas-à-pas, patiemment, en sachant les difficultés immenses qu'il y aurait à faire disparaître toute trace de l'ancienne
p. 117
Afropéens
Johny Pitts nous emmène dans un voyage thématique à travers l'Europe. Son approche tournée vers les communautés noires suscite probablement l’ire des pourfendeurs du séparatisme et de la culture "woke". Ils oublient pourtant que dans nos sociétés métissées de nombreux citoyens se sentent écartés des processus politiques et que même si une démocratie doit mettre en œuvre les décisions de la majorité, sa stabilité n'est assurée que si elle sait prendre en compte le bien-être des minorités.
Il me semblait évident que la communauté noire de France, d'un point de vue administratif, avait été rendue invisible parce que les institutions avaient refusé d'intégrer la notion de race alors que, dans les relations triviales de la rue, les Noirs étaient bien trop visibles, et soumis à la même discrimination que n'importe où.
p. 121
Le voyage de Pitts au cœur de l'Europe noire à la recherche de son identité prend davantage la couleur d'un récit de formation que d'un manifeste politique. Un texte caméléon tant il superpose les genres. En effet, au-delà du carnet personnel, il tient aussi de l'enquête journalistique et de la chronique musicale. Lire plus…
Apeirogon
Apeirogon : une forme possédant un nombre dénombrablement infini de côtés.
Du grec apeiron : être sans limite, être sans fin. Lié à la racine indo-européenne per : essayer, risquer.p. 581
La lecture de l'Apeirogon de Colum McCann m'évoque davantage une boule à facettes qu'une figure plane proche du cercle. D'une part ces 1001 chapitres, quelques fois une brève phrase ou une image, éclairent divers aspects du conflit israélo-palestinien; d'autre part en prenant de la distance, le roman a un vrai relief.
Ça ne s'arrêtera pas tant que nous ne discuterons pas.
p. 55
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L'homme qui meurt
Leo Proudhammer est terrassé par une crise cardiaque alors qu'il est sur scène. Cet accident l'oblige à se mettre au repos et l'incite à faire le point sur sa singularité d'homme noir et homosexuel dans le milieu théâtral. Ce dispositif narratif permet à Baldwin de traiter ses thèmes de prédilection de manière moins polémique que dans ses essais... mais moins convaincante aussi !
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Le silence même n’est plus à toi
L'engagement politique de l'autrice turque Aslı Erdoğan l'a menée en prison suite au «coup d'état» de 2016. Libérée après quelques mois, elle vit désormais en Allemagne. Les textes qui constituent cette chronique sont parus dans Ozgür Gündem, un journal pro-kurde. Ce sont ces écrits qui ont contribué à son incarcération.
Lire plus…Je ne veux pas être complice de l'assassinat des hommes, ni de celui des mots, c'est-à-dire de la vérité.
p. 38
Je ne reverrai plus le monde
En une vingtaine de courts textes, le journaliste et écrivain turc Ahmet Altan esquisse la vie en captivité. Tout en suggérant la situation politique de son pays. ces écrits révèlent la capacité de résilience de leur auteur.L'unique fenêtre de la pièce, elle aussi munie de barreaux, donnait sur une minuscule cour de pierre.
[…]
La vie soudainement s'était figée. Elle ne bougeait plus.
Froide, inanimée.
La vie était morte.
Morte tout d'un coup.
J'étais vivant et la vie était morte.
Alors que je croyais mourir et que la vie continuerait, elle était morte et je lui survivais.p. 98
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Les Passeurs de livres
Le récit de la journaliste franco-iranienne est un hommage à des hommes qui refusent avec détermination l'asservissement à la pensée unique.
En résistant au régime des Assad, les habitantes et les habitants de Daraya ont tenté de réaliser le rêve des Printemps arabes : une société plus libérale, voire même démocratique. Lire plus…
Les contes défaits
Lalo, par le choix de son titre, montre son goût pour le cisèlement du langage, voire son allègement. Ce premier roman n'a rien d'un conte de fées même s'il concerne l'enfance, un temps que l'on associe volontiers au monde onirique !J’enquête sur un crime sans preuves. Je suis le seul à le savoir. Je dois prouver sans indices ni symptômes. Je suis le patient et le médecin. Le médecin le plus patient qui soit. Ces preuves-là ne se cherchent pas. Elles viennent toutes seules se coucher par écrit. Elles s’effeuillent. Et nous fanent. Elles ne bourgeonnent jamais. Sauf parfois en hiver.
p. 12, version 2016
Les fréquents séjours du narrateur dans un home tiennent du cauchemar. Il ne ressent pas seulement une forme d'abandon de sa mère; il est à la merci d'un couple douteux, dont il ne peut que compter les méfaits.
Lire plus…Aussi surprenant que cela paraisse, compte tenu de ses règles strictes, il ne s'agissait pourtant pas là d'un centre de redressement pour enfants ou adolescents. Non, ça se vendait comme un havre chic pour familles aisées, d'où l'appellation de « home d'enfants ».
p. 47
L'ami arménien
Une belle langue soignée, un brin désuète, pour évoquer une amitié adolescente qui détourne le narrateur de sa propre marginalité.
Lire plus…Adolescent, je concevais ainsi la chronique des malheurs et des espoirs arméniens – les journaux ne disant rien sur cette révolte matée – mais son dénouement carcéral ne me paraissait pas surprenant : le pays claironnait l'unité indéfectible de toutes les ethnies qui le composaient et les velléités centrifuges déclenchaient toujours un vigoureux rappel à l'ordre. Et, très logiquement, un châtiment sévère : quelques Arméniens (maris, fils, frères), coupables de dissension, avaient donc été arrêtés et transférés à cinq mille kilomètres du Caucase, ce qui permettait de prévenir l'indulgence qu'aurait pu manifester la justice de leur terre d'origine.
p. 32-33
Un si beau diplôme !
Récit d'exils, Un si beau diplôme ! trace le parcours migratoire de Scholastique Mukasonga. « T U T S I » figurant sur leurs papiers d'identité, sa famille subit les conséquences d'une politique coloniale qui avait clivé la société sur des bases ethniques : exode intérieur dans les années 1960, fuite au Burundi en 1973, massacre en 1994.
Lire plus…La lente cuisson des aliments sur les braises du charbon de bois donnait le temps aux chants et aux danses. Sans perdre des yeux leurs marmites, les femmes s'installaient le plus confortablement qu'elles le pouvaient sur les cartons qui remplaçaient les nattes traditionnelles. C'était le moment attendu qui transportait les exilés au pays perdu : au fond de l'impasse, les cases miséreuses semblaient s'effacer pour laisser place, comme pour un décor de théâtre, aux collines chéries du Rwanda. Tel était le pouvoir du chant et de la danse qui, seuls, pouvaient ménager dans les tourments de l'exil une trêve d'insouciance.
p. 73
Arabe en France
Fatma Bouvet de la Maisonneuve se qualifie de bavarde. Son écrit, proche de l'oral, s'en ressent et atténue la portée de son propos. Psychiatre, arrivée en France pour sa spécialisation en addictologie, cette Tunisienne découvre une société plus complexe qu'escompté. Mariée à un Français, elle fait part de ses observations pour essayer de réduire les fractures qui s'instaurent entre «communautés». Lire plus…
Margaret Mitchell
Parue il y a trente ans en français, la biographie de l'auteur d'Autant en emporte le vent donne une idée de l'évolution des mentalités... et des pesanteurs de la société. Alors que le roman parait dans une nouvelle traduction française, le film est retiré du catalogue de le plateforme de streaming HBO Max pour ne pas exacerber les violences raciales.
Lire plus…Peggy s'était attachée à restituer la richesse du dialecte des Noirs, sans pousser le mimétisme jusqu'à présenter au lecteur un jargon incompréhensible. Le langage adopté se voulait donc un compromis délicat entre l'« authentique petit nègre » et quelque chose qui d'un point de vue pratique ne serait pas trop indigeste pour les presses à imprimer.
p. 183
Métamorphoses d'une femme
Les romans d'Edouard Louis, incisifs, ont une forte composante autobiographiques. Cette mise en valeur de soi, le lien entre homosexualité et ascension sociale font de l'auteur une personnalité d'autant plus clivante qu'il se positionne politiquement. En affichant son plaisir à fréquenter des établissements luxueux, celui qui est né Eddy Bellegueule transgresse les codes sociaux. Cette revanche sur l'ordre établi irrite.
Et Édouard Louis ne boude pas son plaisir en devançant ses détracteurs : son roman n'est pas de la littérature puisqu'il en viole les codes.Une autre question est-ce que je peux comprendre sa vie si cette vie a été spécifiquement marquée par sa condition de femme ?
Si je suis construit, perçu et défini par le monde qui m'entoure comme un homme ?p. 39
Combats et métamorphoses d'une femme est espiègle. Il y ressert la même thématique d'une adolescence douloureuse, mais en mettant plus de nuances il rend le propos moins tranchant, moins egocentré. Ce ton moins polémique rend le roman d'autant plus percutant. Lire plus…
Des phrases courtes
Après l'hommage au père de Ernaux, la relation ambiguë à la mère de Fleutiaux. Pour les deux autrices, le choix des mots pour traiter du lien à leur parent, une interdépendance à grande charge émotionnelle, s'avère particulièrement important.
Lire plus…Sept ans pour accompagner l'entrée dans la vie de mon enfant, sept ans pour accompagner la sortie de la vie de ma mère.
Cela m'est assez étrange de dire "je", "mon enfant", "ma mère". J'ai détesté mon enfant (pas lui, bien sûr, l'enfant simplement) de me tenir si près de mon "je", si collée, j'ai détesté ma mère pour cette même raison. Mais elle plus violemment, furieusement, une rage à la mesure de notre attachement. L'enfant était sur la trajectoire de l'éloignement, mais ma mère était sur celle des pitons, hameçons, harpons lancés à tout va, de l'étreinte totale avant le grand plouf et au-delà. Au-delà.p. 13
La place
Dans ce roman Annie Ernaux rend hommage à son père. Récit d'un déplacement social, le texte raconte la mutation profonde de la société, ici française, au cours du XXe s. L'ascenseur social qui permettait aux jeunes générations de s'affranchir des contraintes de l'existence atténuait la conscience d'inégalités intrinsèques. Lire plus…
Anatomie d'une décision
Les premiers traits d'Anna Szücs dépeignent la routine à Zalaegerszeg, ville de province hongroise. La juxtaposition des mots donne une coloration naïve à ce décor. Les échos qui proviennent de Budapest en cet automne 1956 vont en s'amplifiant. La quiétude devient rapidement tension.

Rue Kossuth Lajos, Budapest 1956
Lire plus…Sous le ciel des hommes
En évoluant sous le ciel hivernal d'un petit pays, synthèse de Suisse et de Luxembourg, des femmes et des hommes en tissent la complexité.
Lire plus…Oui, je pensais d'une part à cette obsolescence de l'homme, à la monstruosité et à la bizarrerie, au fond, d'un modèle de société humaine où l'humain est de trop sauf en tant que consommateur
p. 305
Rachel et les siens
C'est dans un conte qu'Arditi nous fait entrer. Un parcours dans le XXe s. dont la toile de fond est la Palestine. L'héroïne, Rachel, est née dans une famille séfarade de Jaffa qui, de longue date, partage le même destin que les Khalifa, leurs voisins chrétiens arabes. Anglais et Français convoitent les territoires de l'Empire ottoman en dislocation. Les Britanniques y voient une opportunité de résoudre le problème juif en Europe. L'établissement d'un foyer national juif en Palestine promis dans la Déclaration Balfour donne un espoir à des femmes et des hommes discriminés de retrouver une dignité. C'est cette nouvelle vie pour Rachel et ses voisins, que l'écrivain nous fait partager.
Lire plus…Le nouveau Royaume ! Une ville aussi juive que pouvait l'être une ville, juive comme l'était Jérusalem deux mille ans plus tôt, à l'époque du Temple... Une ville qui incarnait l'avenir, la liberté, l'honneur du peuple juif... Alors, au moment de la prière, il ne prononçait pas le rappel de Jérusalem mais disait, pour lui-même, ces mots impardonnables : « L'an prochain à Tel-Aviv. » Jusqu'au jour où, pris par l'enthousiasme d'avoir vu une rue entière de Tel-Aviv se construire en quelques semaines, il s'oublia, cria presque la phrase litigieuse à la table du seder et fut convoqué par le Conseil de sa synagogue…
p. 162
L'anomalie
Le jury du Goncourt a retenu un roman aussi addictif que troublant pour son édition 2020. En situant les événements dans un proche avenir, Le Tellier peut considérer notre présent avec des notes espiègles.
Tous les vols sereins se ressemblent. Chaque vol turbulent l'est à sa façon. Il est 16h13 quand le vol AF006 Paris–New York, au sud de la Nouvelle-Écosse, voit se dresser devant lui la barrière ouatée d'un immense cumulonimbus.
Le front nuageux se lève, et vraiment vite. Il est encore à un quart d'heure de navigation, mais il s'étend au nord comme au sud sur des centaines de kilomètres, en arc de cercle, et plafonne déjà à près de 45 000 pieds. Le Boeing 787, qui vole à 39 000 et allait amorcer sa descente vers New York, ne saurait y échapper et le cockpit connaît une brusque agitation. Le copilote compare les cartes et le radar météo. Le large front froid nuageux n'était pas signalé, et Gid Favereaux n'est plus seulement surpris, il est franchement inquiet.p. 49

La vie joue avec moi
Goli Otok – wikimedia commons
Grossman David, La vie joue avec moi. Seuil, 2020.L'image occupe une place centrale dans ce nouveau roman de David Grossman. L'image, et non l'imaginaire, qui est capable de figer l'intensité des sentiments et de les ancrer dans la mémoire. C'est parce que les violences subies par Véra n'ont pas pu être posées qu'une fatalité semble planer sur la famille, en particulier sur les femmes Nina et Guili, sa fille et sa petite-fille.
Le film qu'elles préparent avec Raphaël, le beau-fils de Véra, ouvre une autre perspective. Les rushes produits lors de son tournage devront être élagués pour rendre l'histoire compréhensible. Ce sont pourtant les scènes rejetées celles qui entrainent un changement de focale et la révision du scénario qui sont les plus prometteuses.

Histoire de l'amour
Il y a le génocide des Juifs en Europe et ses conséquences incalculables dans la vie de chaque survivant. Cette violence a pulvérisé les relations familiales et sociales de millions d'individus. Comme celles des protagonistes du roman de Nicole Krauss qui, de Slonim, entre Pologne et Biélorussie, se sont retrouvés en Israël, au Chili ou à New York.
Alma est la petite-fille de l'un de ces rescapés. Elle et Bird, son frère, font face à un autre traumatisme, la mort du père dans leur petite enfance. Les tentatives d'Alma de trouver un amoureux à sa mère font écho aux luttes des autres personnages pour que la vie soit davantage que de la survie.
L'écriture est le support de leur résilience : les mots d'enfants d'Alma et de Bird, les traductions de leur mère et ces feuillets qui s'accumulent dans d'épaisses enveloppes. Ces divers textes s'insèrent dans le roman de Krauss en dévoilant les fragilités des personnages. Les diverses références à “L'histoire de l'amour” nous indiquent que les liens entre eux sont beaucoup plus resserrés que les seules origines juive et polonaise communes.
Ce livre aborde la problématique du deuil en la différenciant de celle de la transmission des traumatismes liés aux tragédies humaines collectives. Dans une intention que je ne décode pas, l'autrice parsème son texte de scories, ponctuations légères ou informations sévères, qui détournent la tension du texte vers le mélodrame.Le fait qu’elle reste toute la journée à la maison en pyjama à traduire des livres de gens pour la plupart morts ne risquait pas de beaucoup arranger les choses. Il lui arrivait parfois de s'arrêter sur une phrase particulière pendant des heures et de parcourir la maison comme un chien avec un os jusqu'à ce qu’elle glapisse : « ÇA Y EST, JE L’Al !» et elle se précipitait dans son bureau pour creuser un trou et l’enterrer.
p. 95-96
Une mouche atterrit sur son pénis ratatiné. Il marmonna quelques mots. Et comme ça lui faisait du bien de marmonner, il marmonna un peu plus.
p. 302
Site de l'éditeur
André Clavel pour Le Temps
Trailer du film dérivé
Johannisnacht
Wie kommen Sie darauf?
Na ja, die Frisur.
Hab ich mir heute schneiden lassen. Ich wollte was über die Kartoffel recherchieren, habe inzwischen viele merkwürdige Geschichten erlebt. Man fängt mit der Kartoffel an und landet ganz woanders und ist dabei selbst auch ein anderer geworden, sieht man ja am Kopf.
Er lachte. Gute Geschichten sind wie Labyrinthe.p. 197

Karl-Marx-Allee Berlin
Le narrateur. écrivain de Münich, en manque d'inspiration n'arrive pas à initier son prochain roman. Il accepte de produire un texte sur la pomme de terre. Ce curieux mandat le mène sur les traces de chercheurs de Berlin qui ont investigué notamment sur les qualités gustatives de ces tubercules.
«Eine turbulente Berlin-Komödie» qui permet à l'auteur hambourgeois un texte plein d'ironie. Timm s'y moquant à la fois de la crédulité du Munichois et des clivages entre Ossis et Wessis qui subsistent dans la capitale fédérale. En exagérant les caractères des protagonistes, il peut se permettre de cibler les excès de la réunification de l'Allemagne.
L'auteur situe l'action à la Saint-Jean 1995 alors que la foule se presse pour contempler le Reichstag emballé par Christo et Jeanne-Claude, une œuvre qui contraste avec les descriptifs terre-à-terre des caractéristiques agronomiques des patates. À la recherche de la «Roter Baum», le narrateur fait des rencontres hasardeuses qui mettent en valeur l'attraction qu'exerce Berlin et les personnages hétéroclites qu'on y rencontre.Und da dachte ich, ich müsse in [Berlin] zurückkommen, aus der ich vor zwanzig Jahren weggegangen war, ich müsse dieses Requiem schreiben, das auch eines über diese Stadt sein sollte.
p. 194
En trouvant le sens des ultimes paroles de son oncle, un amateur de pomme de terre, le narrateur tient la trame de son prochain roman, déjanté, celui que nous terminons.
Le site de l'éditeur – dtv

Underground Railroad
Eastman Johnson, A Ride for Liberty – The Fugitive Slaves, Brooklyn Museum – wikipedia (en)

Lire plus…Les Blancs étaient venus sur cette terre pour prendre un nouveau départ et échapper à la tyrannie de leurs maîtres, tout comme les Noirs libres avaient fui les leurs. Mais ces idéaux qu’ils revendiquaient pour eux-mêmes, ils les refusaient aux autres. Cora avait entendu maintes fois Michael réciter la Déclaration d'indépendance à la plantation Randall, sa voix flottant dans le village comme un spectre furieux.
Elle n’en comprenait pas les mots, la plupart en tout cas, mais «naissent égaux en droits» ne lui avait pas échappé. Les Blancs qui avaient écrit ça ne devaient pas tout comprendre non plus, si «tous les hommes» ne voulait pas vraiment dire tous les hommes. Pas s’ils confisquaient ce qui appartenait à autrui, qu'on puisse tenir ce bien dans sa main — comme la terre – ou non – comme la liberté.p. 160
Fantaisie allemande
Nouvelles ou roman ? Le livre de Philippe Claudel joue avec les codes et déconcerte par son polymorphisme. Son titre même, précise l'auteur, se rapporte davantage à la forme libre qu'à un contenu imaginaire, encore moins qu'à un texte surtout plaisant.
Dans une adresse à son public, l'écrivain précise que les cinq volets ont été composés indépendamment et que les liens entre eux l'ont incité à les reprendre pour en créer un roman qui implique le lecteur. Cette vision kaléidoscopique du XXe s. allemand s'articule autour de Viktor, dont on est amené à chercher la toile qui le lie aux autres personnages. Ce réseau met en évidence la pluralité des identités qui se manifestent dans l'Histoire et la construction, puis la désintégration, d'une mémoire.Il avait traversé les récentes années sans se poser de questions. À la faveur de l’avénement du nouvel ordre, il avait obtenu un statut et un respect qui lui avaient été auparavant toujours refusés. En peu de temps, on l’avait extrait de son effacement, de la masse des autres hommes. On lui avait assigné une fonction et un rang. On l'avait usiné. On en avait fait un outil efficace. Des ordres lui étaient donnés. II les exécutait. Il n’avait pas senti venir le chaos.
p. 24-25
Lorrain, Claudel est en première ligne pour s'interroger sur les caractéristiques qui différencient l'âme allemande de la narration française. Ce roman, qui montre l'homme sous sa face sombre, devrait nous pousser à nous abstraire des stéréotypes et des généralités.
C'est là sans doute la part la plus diabolique de leur action, et on n’a pas fini d’en découvrir les conséquences : [les nazis] ont exterminé des millions d’êtres humains, mais ils ont œuvré aussi à l’extermination de la mémoire.
p. 115
Site de l'éditeur
Les livres ont la parole (RTL)

Mendelssohn sur le toit
Comment rendre compte de la furie antijuive des Nazis ?
Tous résistaient à la mort du mieux qu'ils pouvaient, chacun à sa manière. La mort était le fief des envahisseurs. Ils la célébraient dans leurs chants et leurs marches. Elle était leur meilleure amie. Mais les habitants du pays conquis voulaient vivre.
p. 272
Prague, Rudolfinum – wikimedia
C'est la question que l'auteur tchèque Jiří Weil a mis de longues années à mûrir avant d'achever ce roman composé d'une vingtaine de tableaux disparates. Tous ces textes ramènent à l'occupation de la Bohême-Moravie et à la politique d'extermination systématisée des Juifs qui y est menée. Ces tableaux se distinguent par la grande disparité de ton. L'ironie y est fréquente, peut-être pour mieux éluder la violence de l'envahisseur.
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Une rose seule
Muriel Barbery nous emmène à la découverte du Japon avec Rose. Dans un roman qui aborde le thème de l'abandon paternel comme Mizubayashi dans son Âme brisée. Ce choix permet à ces deux auteurs, qui se sont immergés dans une autre culture, de tisser des liens entre ces univers distincts. Ces approches communes incitent à les comparer.
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Peter usw
Opus décalé d'Alexandre Lecoultre sur un rythme très poétique. Les protagonistes, au premier rang desquels Peter, sont des marginaux évoluant dans le microcosme helvétique, autour d'un point de chute, le café du Nord.
Lire plus…Peter lit avec la difficulté, alors plutôt que de déchiffrer le journal, c’est comme ça qu’il se renseigne sur la pluie et le beau temps, en venant écouter les dames parler aux arrêts de tram. Lorsque le temps est incertain, ce qui est souvent le cas, il parcourt plusieurs arrêts, voire des lignes différentes, pour comparer et deviner l’évolution dans la journée.
p. 18
Âme brisée
En jetant des passerelles entre des mondes disjoints Akira Mizubayashi affirme son attachement à des valeurs universelles et intemporelles. La communication entre ces univers distants se fait sur divers modes.
Pour l'auteur japonais, résidant à Tokyo, et écrivain francophone la musique classique serait un élément résonnant par delà les cultures puisque la mélancolie profonde d'un quatuor de Schubert fait non seulement vibrer les étudiants qui le répètent, mais imprègne profondément les protagonistes du roman.
Le thème que je vais jouer est d’après moi l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond avec l'enfance peut-être, un monde en tout cas paisible et serein, plus harmonieux que celui d’aujourd’hui dans sa laideur et sa violence. En revanche, j’entends le motif présenté par l’alto et le violoncelle «tâ... takatakata……, tâ.…. takatakata..…… » comme la présence obstinée de la menace prête à envahir la vie apparemment sans trouble. La mélodie introduite par Kang-san traduit l’angoissante tristesse qui gît au fond de notre cœur...
p. 34
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Des vies à découvert
Barbara Kingsolver situe ce roman à Vineland, New Jersey. Ses références aux origines de cette communauté rappellent des invariants de la politique américaine, une certaine «mythologie» étasunienne.
[Les paysans] refusent de croire qu'on les a abusés en les poussant à amasser leur richesse pour les maîtres de cette ville.
– Aucun homme ne veut entendre qu'il a été un imbécile.
– Mais ils entendent, et ils persistent. Landis leur vend son contrat, ce Vineland égalitaire où tous les hommes ont la même chance, et ils lapent ça comme des chats le lait à leur écuelle. Ils sont tous pour le grand capitaine, alors qu'il les ligote et dévore leur âme et leurs biens. D'une certaine façon, il les amène à se ranger contre leur camp.
– Ils préfèrent se penser bientôt riches plutôt qu'irréversiblement pauvres.p. 329

Récits d'Helvétie
Le recueil de nouvelles de l'écrivain helvético-tunisien, professeur de français dans le Canton de Vaud, est un pont entre deux mondes. Rafik Ben Salah décrit sa patrie d'adoption avec un détachement ironique, alors qu'une forme de nostalgie se dégage quand il est question de son pays d'origine.
Son écriture se décline dans un champ large, allant d'un lexique soutenu, voire précieux à des expressions régionales typées. Sensible à la musique de la langue, il joue volontiers avec les accords sonores. Ces jeux de langage masquent cependant un rapport complexe à la migration : malgré son statut social, il est toujours perçu comme étrange(r).
Au sortir de ce repas, j'avais le cœur crevassé. Je dis à ma compagne que je n'envisageais plus de rendre visite à ses parents. Parce que, comprenait-on ou ne comprenait-on pas, j'avais besoin d’un conseil paternel, pas d'un garagiste, moi, hein !
J'ai mis du temps à comprendre que c'était mon affaire et je remercie qu’on ne pas dit: c’est ton problème, comme il se dit trop souvent aujourd’hui. Je crois que j'eusse rompu bruyamment avec mes hôtes dont j’appris à connaître la faste générosité. Dans la société où je suis né, l'identité individuelle est encore en gestation. L'on mettra encore longtemps pour passer du Nous au Je, en dépit du Printemps qualifié d’arabe.p. 23-24
Interview à la RTS du 21.12.2019
Aus den Fugen, en point d'orgue…
Point d'orgue, c'est le titre français que l'auteur aurait aimé pour son roman. Le nom étant déjà utilisé, c'est paradoxalement un intitulé suggérant un ajout qu'il a choisi alors que l'acmé du livre est l'interruption soudaine du récital de Marek Olsberg : Une mesure de trop.

La seule histoire

L'histoire du premier amour de Paul, 19 ans, pour une femme d'âge mûr, l'accompagne pour la vie. Unique par son incongruité, cette alliance enchaîne le narrateur dans une loyauté qu'il lui est difficile d'assumer.
En utilisant pour chacune des sections un pronom différent, Barnes suggère la distanciation de notre perception de nos vies que permet la maturation. Ce procédé, et l'analyse du détachement qu'il entraîne, est sans doute l'aspect le plus attachant de ce roman.
[…] il pensait qu'il ne ferait probablement plus l'amour avant de mourir. Probablement. Possiblement. À moins que. Mais tout bien considéré, non. Pour cela il fallait être deux. Deux personnes, première personne et deuxième personne: je et tu, toi et moi. Mais à présent, la voix tapageuse de la première personne en lui était étouffée. C'était comme s’il regardait, et vivait, sa vie à la troisième personne. Ce qui lui permettait de la jauger plus précisément, pensait-il.
p. 251
Site du Mercure de France
André Clavel pour Le Temps
Le livre des départs
En nous plaçant entre départs et arrivées, l'écrivain francophone d'origine bosniaque nous implique dans la question des identités... et du prix social de l'intégration.
Par cette ouverture, l'auteur se présente en individu fort et solide. C'est masquer une fragilité que le narrateur est prompt à dissoudre dans l'alcool. Čolić est cependant conscient que sa situation est plutôt enviable : rien ne le distingue physiquement du Français qu'il aimerait devenir. Ses difficultés d'intégration provoquent pourtant une mélancolie qui le ferait douter des traumatismes subis à la guerre.Je m'appelle Velibor Čolić, je suis réfugié politique et écrivain. Entre le ciel et la terre, j'occupe un espace de 107 kilos et de 195 centimètres. Je suis polyglotte. J'écris en deux langues, le français et le croate. Mais il me semble que maintenant j’ai un accent, même en écrivant. C’est ainsi. Ma frontière, c’est la langue ; mon exil, c’est mon accent.
J'habite mon accent en France depuis vingt-six ans. Toute une vie, en fait. Et je me sens bien, tellement bien qu’il m’arrive souvent de penser : tiens, je suis français.p. 11
Il découpe son roman en courtes tranches volontiers facétieuses, parfois rustres pour masquer les blessures d'un départ vers une destination si lointaine à atteindre. “Les chapitres sont courts, instables, libres. Des lucioles de [sa] propre autobiographie”.Je suis le chien de la gare. Je passe mon temps dans les couloirs malades, obscurs de la gare de Strasbourg. Je découvre et je savoure cette double tristesse, de ceux qui partent et de ceux qui restent, je me déplace à la lisière de deux mondes. J’aère mon exil. Je le sors comme un chien qui renifle des arbres au parc et aboie sur les étoiles.
p. 50
Site de l'éditeur
Les écrivains face au virus
Olga
Par sa construction, de manière sous-jacente, le roman de Schlink traite la problématique de l'élaboration de la mémoire. C'est par l'ensemble de sa vie qu'Olga devient emblématique d'un pan de l'histoire allemande. Le récit, inscrit dans un espace temporel long, comme Le liseur, se caractérise par trois styles bien différenciés.
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L'autre moitié du soleil
Placé sous l'emblème du drapeau biafrais, ce roman de Chimamanda Ngozi Achidie remonte à l'indépendance du Nigeria en 1960 et aux convulsions qui s'en suivirent.
"Good afternoon, sah! This is the child," Ugwu's aunty said.
Master looked up. His complexion was very dark, like old bark, and the hair that covered his chest and legs was a lustrous, darker shade. He pulled off his glasses. "The child?"
"The houseboy, sah."
"Oh, yes, you have brought the houseboy. I kpotago ya." Master's Igbo felt feathery in Ugwu's ears. It was Igbo colored by the sliding sounds of English, the Igbo of one who spoke English often.
"He will work hard," his aunty said. "He is a very good boy. Just tell him what he should do. Thank, sah!"
Master grunted in response, watching Ugwu and his aunty with a faintly distracted expression, as if their presence made it difficult for him to remember something important. Ugwu's aunty patted Ugwu's shoulder, whispered that he should do well, and turned to the door. After she left, Master put his glasses back on and faced his book, relaxing further into a slanting position, legs stretched out. Even when he turned the pages he did so with his eyes on the book.
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Le chapeau de M. Briggs
En menant à la fois une enquête policière et une réflexion sur le traitement d'une affaire criminelle, Kate Colquhoun tient en haleine ses lecteurs sans utiliser les codes du genre.
L'autrice met en évidence les paradoxes de la société victorienne révélés par cette affaire. L'émotion causée par la mort en 1864 de Mr Briggs est liée à sa survenue dans un train de banlieue. Bien que le réseau de chemin de fer soit déjà très étendu et contribue au développement de la société britannique, ce moyen de locomotion suscite encore des craintes vivaces. Par ailleurs, Mr Briggs ayant pris place dans un compartiment de première classe, il était sensé y être protégé des dangers que pouvaient représenter les classes populaires.
La piste de l'assassin présumé a conduit les enquêteurs jusqu'à New York. Cette poursuite mettant en concurrence plusieurs générations de transatlantiques a permis aux quotidiens de gonfler leurs tirages. Le rôle de la presse, par ses révélations détaillées de l'enquête, a aussi joué un rôle dans la formation de l'opinion, en particulier celle des jurés. A-t-elle contribué à déterminer le verdict ? Celui-ci prononcé, les journaux ont poursuivi leur pression en vue d'une issue morale de l'affaire. Cette tentative de sauver les apparences est révélatrice des tensions parcourant une société divisée dont les strates aisées avaient besoin d'une caution de bonne conduite… qui n'est pas sans rappeler la référence au Law & Order dont se réclame la Présidence américaine – The Washington Post.Le Liverpool Mercury n’était pas le seul à décréter que l’Allemand était coupable. Bien que la règle de la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire fût inscrite dans la loi anglaise, la presse victorienne ne faisait guère cas de l’interdiction d’éveiller des préjugés à l’encontre des suspects ou des détenus en attente de jugement. Cependant, le fait que la moindre rumeur (aussi erronée ou venimeuse fût-elle) pouvait être publiée en vue d’augmenter les tirages suscitait bel et bien un frisson de malaise dans les milieux judiciaires.
p. 147-148
Nicolas Dufour pour Le Temps
Le site de l'éditeur
Jacques et la corvée de bois
Dans une grande économie de mots, le roman de Marie-Aimée Lebreton évoque la Guerre d'Algérie. Par la diversité des impressions visuelles, l'autrice montre que l'indifférence de Jacques n'est qu'apparence.
Lire plus…
Purple Hibiscus
En racontant l'adolescence d'une jeune nigériane dans une famille rigoriste, Chimamanda Ngozi Adichie publie un roman de formation. Le contexte postcolonial d'Enugu lui permet d'aborder différents thèmes politiques et sociaux.
Lire plus…
Moissons funèbres
Le récit autobiographique de Jesmyn Ward donne un éclairage vibrant sur le racisme ordinaire aux États-Unis. En pleine vague provoquée par la mort violente de George Floyd et le flux d'images symboliques qui l'a suivie, ce texte témoigne de l'importance de l'estime de soi. Lire plus…Le privilège de recevoir une bonne éducation et la perspective de grimper un jour l’échelle sociale, je les devais aux mains de ma mère et à son inexorable coup de balai. Tout cela était injuste.
p. 230
Les toupies d'Indigo Street
La filiation de ce premier texte publié de Guillaume Gagnière avec l'œuvre de Nicolas Bouvier est revendiquée. L'auteur nous apprend que l'essence du voyage est plus profonde que la collection d'instantanés qu'il nous offre, soigneusement colorés par une langue savoureuse. Le cisèlement des phrases révèle l'influence de son prédécesseur.

Sur ses pas
D'où vient la clé que Pablo Schötz trouve peu après ses soixante ans ? Quelle porte ouvre-t-elle ? Ses interrogations l'amènent à retourner dans chacun des lieux où il a été domicilié.
On ne se débarrasse pas de l'enfance, on aimerait toujours baigner dans cet horizon immense, ce temps si vaste, mais il se perd dans cette éternité et on ne le retrouve pas en revenant sur ses pas. Schötz marche vers l'adresse où il a passé les dix premières années de son existence. Il foule le sol de ses premiers pas, longe le trottoir sur lequel un petit garçon poussait sur les pédales de son tricycle. Ce petit garçon n'existe plus, c'était lui, Schötz, on ne le verra pas aujourd'hui reprendre ses anciennes chevauchées sur son tricycle, même adapté à sa taille adulte
p. 26
Lire plus…
Love Me Tender
Dans son roman, Constance Debré aborde diverses facettes de l'amour. Contrairement à ce que pourrait laisser attendre le titre ce n'est pas de tendresse dont il est question. "Gender", phonologiquement proche, s'adapterait davantage au contenu, du moins pour celui qui découvre cette autrice.Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et un fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser de s'aimer. Pourquoi on ne pourrait pas rompre. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s'en foutre, une fois pour toutes, de l'amour, de l'amour prétendu, de toutes les formes d'amour, même de celui-là, pourquoi il faudrait absolument qu on s'aime, dans les familles et ailleurs, qu’on se le raconte sans cesse, les uns aux autres ou à soi-même.
p. 9
La fiche Wikipédia situe Mme Debré dans une constellation familiale de notables de la République. Est-ce par loyauté qu'elle est devenue avocate, épouse et mère ? Ces fonctions sont un carcan qu'elle rejette avec vigueur, rompant radicalement avec ce passé pour assumer une autre orientation sexuelle et devenir écrivain.
Love Me Tender développe cette mue, paradoxale et ses conséquences. Aux contraintes de normes sociales et/ou de la loyauté, Constance Debré préfère soumettre son corps à d'autres codes. Le besoin de se forger une nouvelle identité passe par un détachement de soi, allant jusqu'à accepter la précarité matérielle, et la transformation du corps par la pratique soutenue de la natation et son marquage par le tatouage.
Cette démarche n'est pas dénuée d'ambiguïtés. Les références autobiographiques de Love Me Tender ne peuvent que l'exposer aux regards de la société dont elle aimerait se retirer. À mon sens, elle n'est pas dupe de cette équivoque. Sa difficulté à établir une relation sexuelle et amoureuse est une expression de cette fragilité.Qu'est-ce que j'y peux si je ne les aime plus, si je n'ai plus envie d’elles, qu'est-ce que j’y peux et qu'est-ce qu’elles y peuvent ?
p. 133
Plus encore, éprouver ce qu'un grand nombre d'hommes vit dans les divorces conflictuels, à savoir le soupçon de corruption de son enfant, l'incite à une radicalité dans son existence. Ce corps qui évolue vers l'androgynie évoque le fil entre anorexie amoureuse et boulimie sexuelle.
Love Me Tender est une exhortation à la perpétuation des liens de la filiation quoiqu'il advienne. C'est par la relation à son propre père que la narratrice reconstruit le lien à Paul, son fils. C'est pourtant au maintien de ces fils ténus qu'elle attribue sa difficulté à être pleinement soi.
Le site de l'éditeur
Matthieu Mégevand pour Le Temps
Grand National
Une écriture fluide, voire nonchalante, pour traiter de la Suisse contemporaine. Le ton tranche avec l'atmosphère dramatique du Milieu de l'horizon qui, se rapportant à la sécheresse de 1976, marquait la fin d'une époque ou, pour le moins, une césure dans la vie des agriculteurs.
Lire plus…La camionnette était garée sous un gros érable transformé en boule sonore. Des oiseaux piaillaient de concert avec une folle énergie, exactement comme s’ils jouaient à savoir lequel d’entre eux allait mourir le dernier d’épuisement. On aurait dit une clameur d'abandon et de désespoir.
p. 54-55
La première pierre
Ce récit témoigne d'un événement à forte charge émotionnelle vécu par Pierre Jourde en un lieu auquel il est très attaché. Dans un précédent texte, Pays perdu, l'auteur avait raconté le coin d'Auvergne dont il est originaire. La situation isolée de ce hameau en fait-elle le berceau d'une idylle ? Lire plus…
L'homme qui marche
Ce magnifique manga invite à la rêverie et au détachement. Suggéré par un éditeur ouvert à la bande dessinée hors du Japon, ces planches ne correspondent pas à l'idée que l'on se fait du genre. Les dessins de Taniguchi sont tout en retenue; ils suggérent la contemplation, l'intériorisation de l'environnement immédiat. Lire plus…
Suisen
Autrice canadienne francophone née au Japon, Aki Shimazaki a une écriture particulière qui évoque les petits pas pressés d'une femme en kimono. Phrases courtes, sans fioritures dont les seuls mots compliqués sont empruntés à sa langue maternelle.
Malgré la simplicité de sa trame, une sorte de fable, ce roman est attachant à l'inverse de son protagoniste Gorô. Le dirigeant de l'entreprise Kida a la cinquantaine arrogante et prétentieuse.
Il requiert soumission de son épouse et disponibilité de ses maîtresses.– Éduque bien nos enfants, surtout Jun. Ils doivent m'obéir. C'est ta responsabilité de mère !
p. 83
Lorsqu'un chat abandonné, noir de surcroît, croise sa route, Gorô réalise que son ambition de plaire est le moteur de sa vie.
Eléonore Sulser pour Le Temps
Le site de l'éditeur
Élégie pour un Américain
En intégrant dans son roman des extraits des Mémoires de son père à l'usage de ses proches, Siri Hustvedt, lui ajoute une forte composante autobiographique. Cette dimension est confirmée par la Chronique d'hiver de son mari, Paul Auster. Lire plus…
Chronique d'hiver
Dans sa chronique, Paul Auster fait un inventaire de sa vie. Ecrit alors que l'écrivain new-yorkais avait 64 ans, ce texte est une collection des souvenirs qui font un homme et… Lire plus…Tout livre de mémoires comporte des trous, il est évident qu on ne peut raconter certaines histoires sans faire de la peine à d’autres ou à soi même, qu’une autobiographie est sous-tendue par des questions de perspective et de connaissance de soi, des refoulements et de franches illusions.
Élégie pour un Américain
Siri Hustvedt, p. 20
L'homme qui aimait les livres
Ce récit de vie, au travers de la lecture, induit une réflexion sur la construction de la pensée.
Lire plus…Aucun parent, aucun enfant, aucun ami ne nous offrira jamais [cette diversité].
Tout cela bien sûr fonde notre imaginaire, notre savoir, notre sensibilité.
Tout cela nous humanise.
Sans livres, chacun les siens, selon les hasards de l'existence et les nécessités de chacun, nous passerions nos vies dans une infinie solitude.p. 143
Tous, sauf moi
Le patriarche est sénile, il ne se laisse pas rattraper par la mort à laquelle il pense seul pouvoir échapper. Il éructe parfois quelques paroles énigmatiques. Francesca Melandri nous laisse croire qu'elles sont en lien avec ce jeune homme, noir, qui a frappé à la porte d'llaria, la quarantaine militante, et qui prétend être son neveu.
Le roman tisse des liens entre une chronique familiale lacunaire et l'Histoire de l'Italie, en particulier celle de l'Empire d'Abyssinie. Lire plus…
Un voyage au Japon
Le récit d'une quinzaine cycliste d'Antoine Piazza sur l'Ile de Shikoku est une arnaque ! Il est vrai qu'une si brève expérience ne peut qu'être mise en relation avec un référentiel externe, en l'occurrence les autres découvertes cyclotouristes de l'auteur.
Je m'arrêtai subitement et me serrai contre le parapet. La circulation était si dense, dans les deux sens, que, pour traverser la route et rejoindre le motel, je devais attendre de longues minutes que quelqu'un fut assez téméraire pour stopper sa voiture au milieu de la chaussée avant de tourner. Blotti contre la rambarde, je pensai à une situation semblable, au rempart d’acier et de lumière que j’avais essayé de franchir des années plus tôt pendant une nuit pluvieuse avant de me rappeler qu’il ne s’agissait pas de moi mais d'un personnage dans un roman que j'avais écrit, roman dans lequel, loin de reprendre un épisode de ma propre existence, j'avais mis en scène autour d'un héros en fuite une batterie d’éléments en colère et d’avions en chasse.
p. 77
Morenga

Jakobus Morenga (au centre)
Wikimedia Commons
Le cœur découvert
Le roman de Tremblay, écrit en 1986, alors que la pandémie de SIDA fait des ravages dans les communautés homosexuelles, raconte l’histoire d’amour entre Jean-Marc et Mathieu. Le premier, quarante ans, vit son orientation sexuelle de manière assumée. Mathieu, vingt ans, est marié et père d’un garçon. En découvrant son homosexualité, il en a testé les limites et, bien que sûr de ses préférences, reste ambivalent sur son rôle parental.
Lire plus…
L'incolore Tsukuru Tazaki…
Le roman est rythmé par Le Mal du Pays, une des pièces des Années de pèlerinage – La Suisse, de Liszt.
Lire plus…Tsukuru ne possédait personnellement rien dont il aurait pu s'enorgueillir. Aucun signe distinctif qui aurait dénoté un trait saillant de personnalité, Du moins le ressentait-il ainsi. Il était moyen en tout.
En somme, Il manquait de couleur.p. 19
Sur la Chapelle
La toponymie d'un lieu-dit peut aiguiser la curiosité. Lorsque quelques vestiges sont mis à jour, l'intérêt devient plus vif et incite à approfondir les recherches.
C'est ainsi que quelques «Tya-Lo» ont décidé de mettre en valeur les pierres retrouvées sur le site de la "Masure (ruine) de la chapelle". Legs du terrain à la commune, interventions politiques en vue d'installer un mémorial rappelant l'existence de cet édifice dédié à Saint-Légier.
En suscitant l'intérêt d'Adrien Bürki, ces passionnés offrent la possibilité de lire un beau récit. Lire plus…
Eldorado
Comment traiter la problématique de la migration dans un roman ? D'une écriture alerte, fluide, Laurent Gaudé a relevé le défi en 2006.
Nous pourrons toujours nous dire que nous l'avons voulu. Nous aurons toujours en mémoire ce que nous avons laissé derrière nous. Le soleil des jours heureux nous réchauffera le sang et le souvenir de l'horreur écartera de nous les regrets. Mais nos enfants, tu as raison, nos enfants n'auront pas ces armes. Alors oui, il faut espérer que nos petits-enfants seront des lions au regard décidé.
p. 51
Lire plus…
Un autre pays
Le roman de Baldwin Another Country ramène constamment au thème de l'altérité, dont la ségrégation raciale n'est qu'une forme.
Lire plus…Elle avait toujours beaucoup attendu de Rufus, et la couleur de la peau avait pour elle une importance considérable. Elle dirait: « Tu n'aura!s jamais regardé cette fille, Rufus, si elle avait été Noire. Mais tu ramasserais n'importe quelle ordure blanche parce qu'elle est blanche. Que t'arrive-t-il ? Tu as honte d'être un Noir ? »
p. 47
La mendiante de Shigatse
Peintre jugé subversif pendant la campagne contre “la pollution anti- spirituelle”, Ma Jian deviendra écrivain à sa sortie de détention. Ébranlé par ses tracas, il entreprend un long voyage qui le conduira au Tibet. Étant bouddhiste, il espère y trouver un sens à sa vie.
A son retour, il publie ce recueil de récits. Ses impressions de voyage ne sont pas mieux accueillies que ses œuvres graphiques. Lire plus…Partant à l'assaut de ces montagnes qui se dérobaient comme les murs d'une citadelle, écoutant monter en moi les battements furieux de la vie. Cette vie qui travaillait à me vider, à me laver de toute substance, à me réduire à mon enveloppe chamelle malpropre, à cette chose abattue pestant et se grattant.
p. 69
Le fracas du temps

Chostakovitch en 1950 à Leipzig – Deutsche Fotothek
Davantage qu'un roman bibliographique, Barnes propose une réflexion politique qui questionne le totalitarisme.Lire plus…[…] si un compositeur est amer, ou désespéré, ou pessimiste, cela veut quand même dire qu'il croit encore en quelque chose. Qu'est-ce qui pourrait être opposé au fracas du temps ? Seulement cette musique qui est en nous – la musique de notre être – qui est transformée par certains en vraie musique. Laquelle, au fil des ans, si elle est assez forte et vraie et pure pour recouvrir le fracas du temps, devient le murmure de l'Histoire.
C'était sa conviction.p. 172-173
Sacrifice
Une excellente tasse de café qui laisse un arrière-goût amer.
Voilà l'image qui me vient en fermant ce livre.
Lire plus…
China Dream
Le roman de Ma Jian sonne telle une charge contre la Présidence de Xi Jinping. Aussi grinçante qu'un post de Feng Li sur Instagram… Lire plus…
Pardon pour l'Amérique
Livre polymorphe que ce texte posthume de Philippe Rahmy. A 10 ans, il avait découvert Baudelaire grâce à une jeune fille au pair. Gaby l'aidait dans les gestes de la vie quotidienne alors que sa maladie des os de verre l'enfermait. Cette ouverture, plus exaltante que les anticipations d'un Jules Verne, pourrait expliquer la forme poétique des textes de Rahmy.Je cherche ma voix et je la trouve là où ça tremble, grince, gémit.
p. 260
Lire plus…
Les saisons de Giacomo
Le roman de Rigoni Stern complète l'éclairage de Rumiz sur les conséquences du conflit austro-italien après la Première Guerre mondiale. pour la région du Trentin et de Trieste. Les combats ont été intenses, la guerre de position a modelé le terrain. Il a surtout profondément affecté les habitants qui choisissent l'émigration pour survivre.
Lire plus…
Vivre et mentir à Téhéran
City of Lies: Love, Sex, Death and the Search for Truth in Tehran
Le récit de Ramita Navai n'est pas sans rappeler ce que Delphine Minoui nous écrivait de Téhéran.
Elevée entre deux cultures, l'auteure nous rappelle ce que la plupart des émigrés vivent : le besoin de se connecter avec leurs racines. Elle sera correspondante du Times à Téhéran et découvre, dans les quartiers périphériques, une réalité très nuancée de la vie iranienne.
Lire plus…
Le météorologue
Rolin est attiré par le monde russe qu'il découvre à la quarantaine lorsque l'URSS se délite. Les grands espaces qu'il évoque en citant Tchékhov « La mesure humaine ordinaire ne s'applique pas à la taïga. Seuls les oiseaux migrateurs savent où elle s'achève ». Terre d'exploration, terre d'histoire. Au détour d'un voyage qui l'amène dans les îles Solovki (> UNESCO), il découvre le carnet de dessins d'un zek, un prisonnier du goulag, à sa fille. Ils l'amènent à s'intéresser à leur auteur, à son destin brisé par le totalitarisme. Lire plus…il est impossible de ne pas voir sous le pays déprimant d'aujourd'hui l'ancien foyer de cette espérance mondiale [la Révolution] mais surtout la tombe immense où elle fut bientôt enterrée.
p. 172
Mon frère féminin
La réédition de ce texte en prose est l'occasion d'explorer davantage le monde de Tsvetaeva et de son immense poésie. Pajak évoque dans le volume qu'il lui consacre ses errances amoureuses.
Lire plus…On ne peut pas vivre d'amour. La seule chose qui survit à l'amour, c'est l'Enfant.
p. 16
Le pèlerin de Shikoku
En silence, je mets
Mes sandales en paille
D'aujourd'huiTaneda Santoka
cité p.95

Ryōzen-ji, premier temple du pèlerinage de Shikoku – Wikimedia commons
Lire plus…Maurice à la poule
Là d'où il vient, les garçons s'appellent Maurice. C'est lié au conservatisme qu'inspirent les tableaux d'un peintre du lieu, célèbre dans la seconde partie du XIXe s.
La légende voudrait qu'il obtint que le train de Paris à Bene s'arrête dans son village pour qu'il put atteindre, selon son humeur, une capitale ou l'autre. Lire plus…
39, rue de Berne

Dipita Rappard, le narrateur, partage quelques similitudes avec l'auteur, Max Lobe : son origine camerounaise, sa connaissance du milieu des Pâquis, son homosexualité.
Les circonstances de son arrivée en Suisse sont pourtant bien différentes de celles de Mbila, la mère de Dipita. Max Lobe est venu de Douala à 18 ans pour y étudier le journalisme puis politique et administration publique.
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Petit Pays
Lire plus…Petit pays : te faire sourire sera ma rédemption
Je t'offrirai ma vie, à commencer par cette chanson
L'écriture m'a soigné quand je partais en vrille
Seulement laisse-moi pleurer quand arrivera ce maudit mois d'avril
Tu m'as appris le pardon pour que je fasse peau neuve
Petit pays dans l'ombre le diable continue ses manœuvres
Tu veux vivre malgré les cauchemars qui te hantentJe suis semence d'exil d'un résidu d'étoile filanteGaël Faye
Chemins

Finiels – GR44
Homme public, médecin. Axel Kahn n'a pu conduire sa carrière dans le monde universitaire que grâce aux respirations accordées par la marche. Cette approche me plaît, même si mes ambitions sont plus modestes. Lire plus…Pour l'amour de Bethléem
Le livre témoignage de Vera Baboun offre un regard inattendu sur la Palestine. Alors que le Proche-Orient est généralement considéré comme le lieu d'un conflit entre juifs et musulmans, cette femme, qui a dirigé la mairie de Bethléem, affirme avec force sa foi chrétienne. Lire plus…
Sunset Park
Lorsque mis sous pression Miles décide de revenir à New York, il ne se doute pas que son fidèle ami Bing lui propose un logement dans un squat foireux.
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Manquent à l'appel
Dans une note finale, Scianna indique la genèse de son roman : la fascination d'une certaine jeunesse pour Daech. Comment des adolescents, proches culturellement de l'auteur, peuvent-ils être subjugués par ces "hommes en noir"? Angoissé par ce constat, il réalise que ce n'est pas à l'idéologie que ces individus adhèrent. Lire plus…
Le Tonneau magique
Treize nouvelles, chacune consacrée à des gens ordinaires, artisans fraichement immigrés ou installés de plus longue date.
La plupart de ces portraits publiés en 1959 sondent l'âme humaine et pas toujours sa meilleure part.
Lire plus…Le métro le conduisit jusqu'à la 116e rue, et de là, il s'aventura dans un monde obscur et sans repères. Il était vaste, ce monde, et ses lampes n'éclairaient rien du tout. Partout des ombres, souvent mouvantes. Manischevitz claudiquait en s'appuyant sur sa canne, ne sachant où chercher dans ces immeubles de rapport noircis, scrutant en vain à l’intérieur des boutiques à travers la vitrine. Il y voyait des gens, et ces gens étaient tous noirs - il n'en revenait pas.
L'ange Levine – p. 64-65
Erasmus
Les nouvelles de cette jeune auteure, membre de l'AJAR, sont des écrits de formation. La langue d'Elodie Glerum est en phase avec le monde contemporain, connecté, et ses codes,D'un côté, on incitait les gens à être écolos et à se fabriquer des toilettes sèches, d'un autre, on les encourageait à polluer pour leur bien-être : «Va, prends un vol à cinquante balles, c'est bon pour toi, cette escapade à mille kilomètres !»
L’option la plus raisonnable aurait sans doute été d'atterrir à Liverpool, ce qui ne l'aurait en aucun cas dispensé du long trajet en convoi diesel Arriva, tellement le trou était reculé. Les locomotives puaient, grondaient, pas croyable !p. 88

Reportages de l'autre côté du monde
La vingtaine de reportages rassemblés dans cet ouvrage sont clairement engagés. Engagés puisqu'ils sont à contretemps de l'actualité, tout en restant malheureusement actuels. Que ce soit la situation des orpailleurs dans les zones amazoniennes ou la pauvreté en Europe occidentale, les faits traités ici reviennent en une en cas d'accident ou lors de la publication d'une statistique. Lire plus…
Les enfants de Staline
Le livre d'Owen Matthews contient trois récits en lien avec sa famille russe. Des faits bien distincts qui concernent trois générations successives et, donc, des contextes historiques très différents. Lire plus…
Le journal de l'année du désastre
Auteure de Inconnu à cette adresse, Kressmann Taylor s'est mariée en secondes noces à Florence en 1967. Elle y vit déjà en 1966 et est donc aux premières loges pour vivre les crues de l'Arno, le 3 novembre. Lire plus…
Qui a tué mon père ?
Brièveté du texte, efficacité du propos, éclatement de la syntaxe dans un roman qui clame une reconnaissance.
Lire plus…[…] et il dit Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour avoir une famille comme ça, entre l'autre là
– c'est de moi qu'il parle –
entre l'autre, là, en plus d'un alcoolique qui n'est pas foutu de faire autre chose que boire, boire,
boire,
regarde-le,
il pointe du doigt mon frère,
le raté.p. 62
Le dernier mot
Engagé pour relancer la carrière littéraire de Mamoon Azam, Harry Johnson doit écrire sa biographie. Comment doser correctement l'hagiographie et le scandale pour plaire à son commanditaire et à l'écrivain ?
Lire plus…Il était temps [...] que ce travail soit minutieusement relu par l’éditeur afin d’éviter que Harry ne s'égare ou ne mette la littérature en danger parce qu'il irait trop loin dans telle « étrange direction » ou parce qu'il prendrait trop de liberté avec son texte. Mamoon tenait à offrir une image qui lui. ressemble.
p. 271
Nora Webster
En décrivant la conquête, pas-à-pas, de l’indépendance de Nora Webster, Tóibín rappelle que l’expression d'une personnalité n’est jamais aisée.
Lire plus…
Des hommes sans femmes
Lire plus…« C'est étrange tout de même, reprit-elle d'une voix pensive. Alors que le monde s'écroule autour de nous, il y a pourtant des hommes qui se soucient d'une serrure cassée et d'autres qui sont assez consciencieux pour essayer de la réparer... Bizarre, non ? Vous ne trouvez pas ? Mais c'est sans doute la meilleure réponse que nous puissions faire. Peut-être que persévérer à travailler sur de toutes petites choses, honnêtement, consciencieusement, permet de garder toute sa tête tandis que le monde se défait. »
p. 271
Lignes de faille
Par la voix de quatre narrateurs, Nancy Huston, explore l'histoire de la famille du jeune Sol, Californien né dans les derniers soubresauts du XXe s. Astucieusement, elle donne successivement la parole à un enfant de 6 ans représentant chaque génération et commence précisément par Solomon. Lire plus…– Elle a grandi au Canada, c'est vrai, et elle ne parle jamais des premières années de sa vie mais le fait est qu'elle les a passées en Allemagne. C'est vraiment important pour moi d'apprendre tout ce que je peux là-dessus. Je le fais pour toi aussi, tu sais... On ne peut pas construire un avenir ensemble si on ne connaît pas la vérité sur notre passé. N'est-ce pas ?
– Pour l'amour du ciel, Sadie, dit p'pa, le gamin n'a que six ans !p 159
Un monde de mots
En choisissant de titrer son roman historique du même nom que le dictionnaire italien-anglais que John Florio a publié en 1611, Anne Cuneo rend hommage à l'amour des mots de ce passeur de culture.
Lire plus…
Le livre des Baltimore
Marcus Goldman a passé son enfance à envier sa famille de Baltimore. Il a toujours vu une préférence de ses grands-parents pour son oncle, sa tante et son cousin du Maryland dans leur luxueuse maison d’un quartier de privilégiés. Avec ses parents de la middle class, l’existence est certes confortable à Montclair NJ, mais dépourvue de ce panache, de cette audace qui leur permet d’accueillir Woody, enfant rebelle, en son sein.
Marcus, le narrateur, est devenu écrivain. Il a promis ce livre en hommage aux Goldman après le drame qui a frappé la famille.
Le roman de Dicker se laisse lire facilement, sans susciter l’enthousiasme. L’utilisation du Drame comme repère chronologique agit comme un efficace teasing. La structure gigogne de l’ouvrage, Marcus étant à la fois narrateur et écrivain, enfant ébahi devant la grandeur des Goldman-de-Baltimore et adulte survivant du Drame, est intéressante, sans que Dicker ne semble entièrement parti et oser rompre avec une certaine linéarité de son récit.
Critique sur vice-versa littérature
Site de l’éditeur
L'équilibre du monde
C’est ainsi que Dina Dalal, une jeune veuve de la classe moyenne, conçoit l’existence. Elle observe les soubresauts de la mégalopole avec un certain détachement. Ses origines parsies lui permettent de s’abstraire des grands conflits communautaires. Mais son indépendance d’esprit n’est pas bien vue de ses proches. Lire plus…Une vie, cela se fabrique, se disait-elle, comme n'importe quoi d'autre, il faut Ia pétrir, la ciseler, la polir afin d'en tirer le meilleur.
p. 70
L'Alphabet des anges
Lire plus…Nombreuses sont les journées qui passent, anodines, et sitôt vécues laissent place à la suivante; contentes d'être éphémères, sans prétendre à l'extraordinaire, à l'inoubliable, ce sont des journées de quotidien, que certains maudissent mais qu'on regrette toujours quand elles viennent à manquer. Jeune fille, j'avais mol aussi tant de fois formulé le souhait de voir valser le quotidien loin de moi, quitter ma vie. Quand le temps des tilleuls arriva, je me vis exaucée. Je perdis mes jours tranquilles et connus les méandres angoissants d'un fleuve en crue; j'étais débordante, sans rive, naufragée.
p. 41
Délivrances
Dès les premières lignes, le ton est donné. Le roman de Toni Morrisom est âpre, pour ne pas avoir le mauvais goût de dire qu'il est noir, comme le racisme dont il traite. Lire plus…Il n'a pas fallu plus d'une heure après qu'ils l'avaient tirée d'entre mes jambes pour se rendre compte que quelque chose n'allait pas. Vraiment pas. Elle m'a fait peur, tellement elle était noire, Noire comme la nuit, noire comme le Soudan. Moi, je suis claire de peau, avec de beaux cheveux, ce qu'on appelle une mulâtre au teint blond, et le père de Lula Ann aussi. Y a personne dans ma famille qui se rapproche de cette couleur. Ce que je peux imaginer de plus ressemblant, c'est le goudron; pourtant, ses cheveux ne vont pas avec sa peau. Ils sont bizarres : pas crépus, mais bouclés, comme chez ces tribus qui vivent toutes nues en Australie.
p. 13
Expo 58
Thomas Foley, fonctionnaire du Bureau central de l'information, est désigné pour superviser Le Britannia, pub du pavillon britannique à l'Exposition universelle de Bruxelles. Lorsque Jonathan Coe décrit les préparatifs de cette grande manifestation qui cherche à gommer les souvenirs de la Guerre on peut s'imaginer qu'il ironise sur la construction européenne et anticipe les débats à venir sur le Brexit.
Le roman ne suit pas cette trame, mais illustre l'hésitation des Anglais à entrer dans la modernité pendant que Foley découvre le monde en guerre froide…-- L'un des objectifs de cette Foire, selon moi, dit Carter, c'est que les peuples de différents pays vivent côte à côte pendant quelque temps, et que par conséquent ils perçoivent mieux leurs différences et leurs ressemblances pour parvenir, qui sait, à une plus grande compréhension...
p. 77
Site de Gallimard
Critique du Temps
Le testament de Marie
Un roman bref de l'écrivain irlandais Tóibín. Un portrait décalé de l'histoire de Jésus qui me rappelle le Barabbas de Pär Lagerkvist (1950). Le Prix Nobel suédois décrivait la mort du Christ vue par Barrabas, celui à la place de qui il fut crucifié. Tóibín choisit le point de vue de sa mère, Marie. Lire plus…
Nos âmes la nuit
Roman évoquant la solitude de la vieillesse par petites touches parfois tendres, parfois cruelles.
site de l'éditeur
critique d'André Clavel
Illettré
L’auteur, enseignante dans le secondaire et à la Sorbonne nouvelle, s’intéresse aux mots et à leur absence. Quand elle écrit sur Léo, un jeune homme dans la vingtaine qui a déjà perdu l’accès à la lecture, elle aborde les questions de l’humiliation et du mépris qui sont liés à l’analphabétisme. Elle se garde de tout jugement… si ce n’est en dépeignant Mme Mars qui rêve d’enseigner à la Sorbonne nouvelle… Lire plus…
Seul dans Berlin
Ce roman rend hommage à Anna et Otto Hampel qui luttèrent de manière modeste contre le Führer et en moururent. Cet ouvrage raconte la ténacité d’un ouvrier qui décide, avec la complicité de sa femme, de s’indigner contre la barbarie d’un régime qui sacrifie les enfants de la nation. Leurs appels à la désobéissance civile n’ont pas le retentissement espéré, mais ils leur permettent de rester debout dans la tourmente.
Histoire de la violence
L’auteur raconte une rencontre fortuite, la nuit de Noël 2102, la curiosité, le désir qui naît, les ébats amoureux et le basculement qui conduit au viol.
Pour développer cette trame, il utilise deux voix, celle de sa sœur, qui relate à son mari le récit que lui en a fait le narrateur, et le narrateur lui-même qui ajoute, rectifie. Cette construction littéraire donne un effet de distanciation renforcé par les métacommentaires de l’auteur “je déplaçais l’enjeu de la vérité, c’était un autre type de vérité qui retenait mon attention, c’était la vérité de la forme qui m’intéressait et pas le contenu […]” (p. 63-64). La richesse de la langue, les niveaux syntaxiques séparant le narrateur et sa sœur, le rythme fluctuant de l’écriture rendent en soi ce texte prenant.
Ses amis lui enjoignent de déposer plainte; il le fait. Les médecins lui demandent de voir un psychiatre; il refuse… En refermant le livre, j’ai l’impression d’avoir été un relais “thérapeutique”.
La grande librairie
site de l’éditeur
Dans le genre d'Edouard Louis (juin 2018)
Vers la sobriété heureuse
L'auteur vit la sobriété qu’il prône et revendique le bonheur qui le rattache à ses premières expériences de la vie. Lire plus…
Atlas nègre
Le narrateur s'est représenté le voyage, lui a donné sens, l'a envisagé comme un temps d'ouverture et de découvertes, de partage de valeurs. Mais le voyage est facétieux : il déconstruit les illusions, il met à l'épreuve de la réalité les engagements rêvés. Bruno Pellegrino relève les pièges d'un monde connecté et globalisé. Le voyage à vocation humanitaire n'est pas celui qui était imaginé, l'expérience prend un autre tour et le monde reste indéchiffrable.
Sur Internet, il n'est pas étranger; il ne souffre pas de la chaleur qui engourdit, ne mange pas du riz à tous les repas; Internet, c'est un territoire balisé, dont il maîtrise la langue. S'il s'écoutait, il y passerait ses journées, et quand cela ne suffirait plus, il s'achèterait un billet d'avion et rentrerait.
Présentation sur le site de Zoé qui diffuse le livre sous le titre Comme Atlas
Site viceversalitterature.ch