La déchéance d'un homme
Le rôle de la pression sociale est parfois facteur d'intégration ; elle peut aussi causer d'intenses douleurs. Dans un roman à fortes connotations autobiographiques Dazai Osame exprime un profond désarroi de ne pas être en mesure de répondre aux attentes de sa famille et de sa classe.
Dans les conversations que j'avais avec mes proches, pas une seule fois je n'obtenais de réplique. Je voyais là un léger reproche qui me frappait comme la foudre et m'exaspérait. […] j'étais obsédé par l'idée que je n'étais peut-être pas fait pour vivre avec les autres !
p. 18
Maison de prostitution, photographie de Beato Felice, 1884 BNF-Gallica

Comme l'écrivain, le narrateur nait dans un milieu aisé. Il est élevé par les serviteurs car sa mère est malade et son père, politicien à la Diète, réside fréquemment à Tokyo. Cette situation, bien que privilégiée, ne lui épargne pas les difficultés d'intégration. Dans le roman, Yōzō le narrateur, évoque notamment la flagornerie qui entoure les politiciens pour dénoncer un sentiment d'hostilité et d'hypocrisie généralisée. Un prétexte peut-être pour excuser son manque de franchise et son incapacité à exprimer ses émotions et même, si l'on se fie au roman, les abus subis.
Yōzō devient le bouffon de l'école pour masquer son incompétence sociale, une altitude qu'il attribue à une part excessive de féminité. Une dérive qui l'amènera ensuite aux conduites addictives qu'il partage avec Dezai. Une errance qui amène Yōzō et son créateur aux marges de la folie.
[…] mon père et ma mère eux-mêmes s'étaient parfois montrés incompréhensibles pour moi. Et puis, comme je n'avais jamais dénoncé personne, c'est dans la solitude, et grâce à ma féminité, que je devinai beaucoup de choses et c'est pourquoi on abusa de moi de toutes manières dans les années qui suivirent. En raison de cette nature féminine je restai un homme ignorant des secrets de l'amour.
p.29
Un parcours fait d'illusions dans lequel le narrateur se projette en Dom Juan. Un désir de séduction qu'il n'atteint qu'avec des prostituées et des femmes vulnérables.
Cette déchéance, il la vit tantôt comme accomplissement, tantôt comme une honte dont il ne voit l'émancipation que par le suicide, maintes fois tenté, un geste flamboyant dans lequel il entraine ses partenaires.
Cette obsession n'est pas qu'un fantasme et, après de multiples échecs, il meurt par suicide à 39 ans en 1948, peu après la publication de La déchéance d'un homme, un des plus grands succès littéraire au Japon.
Dazai Osamu photographié par Hayashi Tadahiko, 1946 – Wikimedia Commons