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Entre le monde et moi

Coates Ta-Nehisi. Entre le monde et moi : lettre à mon fils. Nouvelle traduction, Autrement, 2024

Tout ce que je souhaite, c'est que tu sois un citoyen conscient dans ce monde terrible et beau.

p. 142

L'ombre de la peur parcourt le manifeste que Ta-Nehisi Coates adresse à son fils adolescent. Un texte dominé par la crainte de son impuissance à protéger la vie noire qu'il a engendrée, par l'appréhension que l'éducation dispensée ne le rende vulnérable.

À La Mecque, j'ai constaté que nous étions cosmopolites à l'intérieur de notre nation d'exclus.

p. 65

Écrit woke qui exprime la révolte de ceux qui avaient cru pouvoir se fondre dans la société américaine et qui restent englués, comme le relevait Banks, dans le grand récit de la race auquel tout se rapporte.

Ta-Nehisi_Coates
Né en 1975 et élevé dans West Baltimore, quartier réputé dangereux de la cité portuaire, l'auteur a été discipliné rudement pour éviter qu'il subisse la loi des jeunes du ghetto. Chaque manquement lui vaut coups de ceinture ou de fils électriques par un père qu'il décrit pourtant comme attentif. Ces gestes qui se veulent protecteurs favorisent son incompréhension de l'environnement : le monde de la rue où il s'agit de performer le corps et la finalité d'une école qui discipline en exigeant copies soignées et exercices de restitution.
Cette enfance se déroule donc dans un milieu où l'extérieur est menaçant, à l'inverse de l'imaginaire étasunien véhiculé par la télévision. Il est si éloigné de cette Amérique-là que Coates qu'il la nomme Rêve et rêveurs les blancs qui l'incarnent.

Je ne savais pas encore, et je ne sais pas tout aujourd'hui. Mais je sais au moins que vivre parmi les Rêveurs représente un poids supplémentaire pour nous, et que le fardeau est plus lourd quand ton pays te répète que le Rêve est juste, noble et vrai, que tu es fou de parler de corruption, que tu vois le mal partout. Pour préserver leur innocence, ils déclarent nulles ta colère et ta peur, si bien qu'à force tu penses tout et son contraire.

p. 139


Il accède à l'Université Howard de Washington, le plus réputé des établissements formant les Africains-américains sous la Ségrégation. Ce collège est un tel phare de l'émancipation noire qu'il est affectueusement surnommé la Mecque. Il y découvre la diversité du monde noir; une disparité qui contraste avec la réduction d'une population à sa seule couleur de peau.
Cette lettre y trouve son origine : le décès inexpliqué de Prince Jones, un camarade d'études, sous les tirs d'un policier et sa quête de le comprendre. Bien qu'éduqué dans un milieu aisé, Jones est marqué par sa couleur de peau. La même discrimination auxquelles sont sujettes les femmes iraniennes, notamment. Une différenciation qui légitime une violence difficile à enrayer.

Si la mort de Prince a été un tel choc, c'est à cause du discours selon lequel la respectabilité, la responsabilité individuelle et une conduite irréprochable constituent le meilleur rempart contre le racisme.

p. 13


Se mettant dans les pas de Baldwin, Coates croit percevoir un meilleur accueil des Noirs à Paris. Cet effet probable, comme pour son aîné, de la nationalité étasunienne qui le blanchit rappelle que la perception de l'observateur extérieur est souvent réductrice. Le ton fougueux de cette missive, plus véhément que celui de Baldwin, peut s'expliquer par la persistance des discriminations raciales, mais cette grammaire irrite particulièrement les Rêveurs qui refusent toute perspective d'éveil.

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André Clavel pour Le Temps