Mon parcours débute à Landry en Tarentaise, gare SNCF sur la ligne de Chambéry à Bourg-Saint-Maurice, une étape en hôtel pour mes acolytes, bienvenue après plusieurs nuits en refuges. On entre tout de suite dans le vif du sujet puisque l'église Saint-Michel est située sur un promontoire qui domine le village le long de ce qui ressemble à une ancienne voie de passage pavée de pierres irrégulières.
Le bâti d'alpage du vallon du Ponturin fait l'objet d'un inventaire qui en souligne les caractéristiques. Chaque “pays” traversé a ses singularités, particulièrement visibles sur les toitures : tôles, parfois recouvertes de planches de bois jointoyées ou pierre plates – les lauzes –, galeries placées sous l'avant-toit propices au séchage plus qu'à l'agrément, salles voûtées généralement de plain-pied, derrière des murs épais qui, dans plusieurs gites, servent de salle commune.
palais mine nancroix

La Planay de la Mine, Nancroix

Aux Lanches, la mine de galène, plomb argentifère, exploitée de la fin du XVIIe s. à 1866 témoigne de l'histoire et des soubresauts de la Révolution. D'abord interrompue, l'exploitation reprend et le site est choisi pour la mise en pratique des enseignements de l'École des mines. Un Palais est édifié pour loger le directeur et les élèves stagiaires mais l’enseignement était donné à Moûtiers dans la vallée de l'Isère, plus accessible.
Nous ignorons le gite du Rosuel, en marge d'une base de loisirs, qui sert aussi de point d'information sur le Parc national de la Vanoise, le premier du pays créé en 1963 qui étend le Gran Pardiso italien. Le toit végétalisé de l’établissement suit la pente de la vallée et s'intègre particulièrement bien au paysage.
Les structures d'accueil dans ce vaste espace protégé sont nombreuses et plutôt bien fréquentées. Gites et refuges s'adaptent aux conditions actuelles. Ainsi celui du col du Palet où, après l'installation de panneaux solaires et d'une batterie, on observe que cette dernière n'offre finalement qu'une faible autonomie en regard de l'irrégularité de la production et de la consommation. Il est donc décidé de les associer à une pile à hydrogène pour utiliser l’énergie au mieux. Las, après le faible enneigement hivernal et la situation caniculaire de cet été, les ressources en eau manquent et le refuge a dû fermer le 18 juillet déjà. Nous logerons au Refuge d’Entre-le-Lac dont le nom énigmatique est une erreur de traduction de l’Intra du Laï qui signifie “entrée du lac” (de la Plagne).
Au cours des journées passées dans le Parc ou dans ses abords immédiats, nous constatons qu'il est délimité de façon à permettre l'exploitation industrielle du tourisme, du ski en particulier. C'est ainsi que le col du Palet (à quelque 500 m. du refuge) nous fait entrer dans le domaine skiable de Tignes – Val Claret avec ses pistes équipées de canons même au-dessus de 2500 m.
Le contraste avec la Vallée du Ponturin dominée par le Massif du Mont-Pourri et de la Sache est saisissant. L'expansion de cette ville à la montagne se poursuit et à Val Claret de nouveaux immeubles sont en construction... Ce développement, alors que fin août rares sont les visiteurs interroge. A Peisey, deux anciens rappelaient que leurs prédécesseurs avertissaient qu'il ne fallait pas toucher aux glaciers... Si le ski estival, qu'ils incriminent, a un effet probablement marginal sur leur fonte, le système qui le rend possible est certainement en cause. Le contraste entre les cours d'eau asséchés et les torrents d'origine glaciaire est révélateur de la crise climatique.
Le cheminement vers le col de la Leisse est emblématique de l’ambivalence pour concilier les différents usages de la montagne. En suivant le tracé du télésiège de Fresse nous observons les bornes tricolores qui délimitent le Parc national de la Vanoise : nature à exploiter ou nature à protéger ? Quand nous pénétrons franchement dans cet espace préservé, c'est sous les installations de la Grande Motte.
Le berger qui cherche à rassembler ses moutons à l'aide de deux chiens nous invite à prendre un raccourci par le fond du Torrent qui traverse le Plan des Nettes pour ne pas avoir à recommencer son travail. Cependant les chiens, même tenus en laisse ou portés, ne sont pas admis dans le Parc.

Pont de la Glière

Pont de Glière, Parc de la Vanoise

Le refuge de la Leisse situé sur un promontoire à pris de 2500 m. est très exposé au vent. Dès que le soleil se cache, il fait rapidement froid. L'ambiance y est chaleureuse à notre table masculine, même si des bribes de conversation nous parviennent critiquant le militantisme des maitresses du lieu : slogans féministes et menu végétarien ne font pas l'unanimité.
Pour assurer l'approvisionnement, après les livraisons héliportées d'avant-saison, elles utilisent leurs deux ânes ou leur sac à dos. Précisément l’équipement de base des artistes qui proposent leur spectacle dans les refuges. Par chance à l'heure de leur représentation, une éclaircie bienvenue assure l'éclairage – et le chauffage de l'aire de bivouac – de ce spectacle poétique qui allie arts du cirque et musique. À l'origine, composée de trois frères et sœur de la région, l'équipe « spectacle à dos » se module selon leur disponibilité ; un comparse intérimaire étrange(r) participe aux spectacles et lui ajoute un côté improvisé.
Outre les Ponts de Croë-Vie et des Vaches, le chemin du Col de la Vanoise passe près d'une casemate qui témoigne de l'importance naguère stratégique de cette région. Il semblerait que des restrictions budgétaires aient contrecarré, en 1933, le développement de cette fortification de la ligne Maginot. Cette étape nous mène ensuite à Pralognan-la-Vanoise qui accueillit les épreuves de curling pendant les Jeux olympiques d'Albertville en 1992. La vue depuis le camping, quasi désert en cette semaine de rentrée scolaire, est magnifique mais pas le temps de s'attarder : la pluie arrive et nous parviendrons mouillés aux Prioux, agréable hameau où nous dormons au gite-restaurant.

Col de Chavière

Col de Chavière

Le brouillard se lève alors que nous progressons vers le Col de Chaviére, 2796 m. point culminant de mon parcours, par un chemin carrossable jusqu'à la hauteur du Refuge de Péclet-Polset. Peu après nous pénétrons l'étrange arrangement de cairns qui interroge sur la toponymie du lieu : est-ce le nom de Plan des Cairns qui a suscité l'érection de tous ces amoncellements ou leur présence qui a fini par désigner ainsi ce lieu-dit. Toujours est-il que trouver son chemin nécessite la consultation de la carte, surtout que d'anciens tracés sont encore visibles sur le relief.
Le versant nord du col est pentu dans un terrain d'aspect sablonneux finalement plus stable qu'il n'y paraît. Si le temps s'est levé sur la Maurienne, des nappes de brouillard subsistent du côté de la Tarentaise et les marcheurs qui viennent à notre rencontre sont bien équipés malgré la pente ascendante.
Un rocher nous protège du vent frais pour découvrir les surprises du panier-repas du jour : chaque aliment – pain, jambon, fromage, œuf, tomate, pêche,... – est emballé dans une feuille d'alu. Si l'essentiel des pique-nique reçus en cours de route est constitué d'une salade à base de céréales remise dans notre boîte ad hoc, le slogan “sans déchets” est un vœu pieux : barre de céréales, friandises,... nous obligent à emporter des ordures et à ne pas manquer les poubelles où nous pouvons nous en débarrasser.
Nous abordons la longue descente vers Modane. Ici la limite du Parc, entre pinède et mélézin, est liée à une prise d'eau qui est une autre forme d'exploitation du territoire alpin. Face à nous d’impressionnantes cascades qui prennent leur source sur le Glacier de Chavière. Le plus surprenant est la couleur franchement noire de l'une d'entre elles qui souligne l’intensité de la fonte.
Le Grand Planay

Les cascades du Grand Planay

Avant de quitter le Parc de la Vanoise nous nous arrêtons à L'Estiva, vieux chalet de 1641, dans le hameau de Polset où nous rejoignons le tracé du GR 5 avant de nous diriger vers Modane, 800 m. en contrebas. La tenancière tient un livre d'or des randonneurs qui effectuent un long parcours notamment de ceux qui viennent de Rotterdam (E2–GR 5) ou qui enchainent les grandes traversées (Hexatrek). Dans cet espace protégé nous aurons vu plus de randonneurs que de gibier : un chamois, un couple de bouquetins, des marmottes – que nous approcherons tout au long du parcours – et quelques oiseaux, mais nulle trace de l’emblématique gypaète.
Modane est une de ces villes établies comme axe de transit. Fourneaux et Modane-Gare, en enfilade le long de la ligne ferroviaire, sont dominées par le flux alterné de camions sur l'autoroute en réfection du Fréjus. Le trafic est au cœur de l'économie locale et, comme souvent dans les villes-frontières, on s’y sent comme dans un cul-de-sac. Cette impression est particulièrement sensible lorsque nous attendons que la machine à laver de Revolution Laundry se libère puis traite notre linge. Le concept conçu pour les clients automobilistes d'un supermarché adjacent montre, s'il est encore besoin, l’importance de disposer d’un véhicule pour participer à la société française contemporaine alors que les utilisateurs potentiels d’une laverie automatique ne peuvent pas toujours en posséder une.
Cette étape au bord de l’Arc est vite oubliée puisque le chemin qui grimpe vers le col de la Vallée Étroite ne nous ménage pas jusqu'à Valfréjus. Il suit la ligne électrique dont mon coéquipier sait qu'elle cherche à aller au plus droit sans s'occuper des pentes. Depuis la station, le chemin vers le col est heureusement moins raide. Maîtronome se rafraîchit dans la baignoire limoneuse formée par le Ruisseau de Charmaix au bien nommé Lavoir. Ce lieu-dit est dominé par une fromagerie installée dans une ancienne caserne liée aux fortifications de la ligne Maginot : association incongrue dans ce paysage alpestre que cette construction partiellement ruinée, ses casemates et les couleurs rose violacées des derniers épilobes.

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