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Sa préférée

Jollien-Fardel Sarah. Sa préférée. Sabine Wespieser éditeur, 2022.

L'écriture sensible et pudique de Sarah Jollien-Fardel donne relief à l'indicible : la vulgarité et la brutalité à laquelle un homme blessé soumet sa femme et ses filles. Rusticité d'une vallée valaisanne qui attire par une authenticité prétendument préservée. Façade qui masque un repli sur soi de manière moins ostensible que les SDF urbains.

Lorsque Villeneuve apparaît, je le vois pour la première fois. Le lac. Hypnotique. Fascinant. Lorsque le train le longe, que je l'aperçois derrière la vitre, je ferme mon livre. N'importe quel livre. Même un Paul Auster, dont je viens d'avaler La Trilogie new-yorkaise et pour qui j'éprouve une dévotion béate depuis, ne tient pas le choc face aux bleus, aux gris qui s'unissent, certains jours, avec le ciel.

p. 38

Le premier roman de cette valaisanne dépasse le régionalisme même si les références précises aux lieux ancre le récit dans son terroir. Une violence qui rappelle celle qui brûle Edouard Louis. L'éloignement de Jeanne, la narratrice, est bien moindre, en distance et en mobilité sociale, que celui d'Eddy Bellegueule, ce qui rend cette rupture plus ambiguë. Jeanne ne peut vivre son identité dans sa vallée même si ce lieu en fait partie.

Si je reconnaissais des qualités au caractère tenace des habitants de la région, je pouvais probablement le ressentir chez moi, ce tempérament dur, forgé par mon père, mais aussi par les lieux, par la géographie et les éléments impitoyables, les montagnes qui nous refermaient sur nous-mêmes, les parois verticales noires ou grises. Je pouvais désormais comprendre et chérir ce versant attachant de mes origines.

p. 131

La violence du père, sous l'emprise de l'alcool, la coupe aussi du lien à sa sœur et à sa mère. Toutes relations qui pourraient apaiser ses interrogations quant à des rencontres amoureuses vécues comme antidote à la douleur subie. Tragédie de Jeanne, explosée de cette violence intériorisée qu'elle se culpabilise de reporter sur l'autre.

Si on n'a jamais été en contact avec cette violence-là et la vulgarité qui va avec, on ne peut pas comprendre à quel point il n'y a aucune réalité à laquelle se raccrocher. Ça vient si vite. Pour rien. Il n'y a pas un contexte qui amène un mot puis l'autre. C'est irréel.

p. 107

Le roman de Sarah Jollien-Fardel dit la complexité de la modernité qui, en ouvrant le champ des possibles, rompt avec l'enfermement entretenu par la culture du secret. Il interroge sur la possibilité d'une réparation qui permette le vivre ensemble plutôt qu'une irrémédiable fragmentation de la société.

Site de l'éditrice
Lisbeth Koutchoumoff Arman pour le Temps
Anne Laure Gannac pour RTS culture
Par les temps qui courent – France Culture
Des livres et des lois, l'inceste – Zoom info RTS