Soupçon de liberté

Sexton Margaret Wilkerson, Un soupçon de liberté, Arles, Actes Sud, 2020.

En se concentrant sur trois périodes déterminées de l'histoire récente de la Nouvelle-Orléans, Margaret Sexton nous propose une clé de compréhension des inégalités raciales dans le Sud étasunien. Trois générations en recherche d'une liberté si difficile à obtenir que les galères semblent inéluctables. Le contexte qui empêche de s'élever contraint-il au déclin ou des choix personnels pertinents permettraient-ils de vaincre cette fatalité ?
Aux inégalités préexistantes, viennent s'ajouter des circonstances aggravantes. En choisissant 1944, 1986 et 2010, Sexton indique les marqueurs que constituent la Seconde Guerre, la politique néolibérale de Reagan et l'ouragan Katrina en Louisiane.

Evelyn est née dans une famille créole dans un quartier plutôt aisé. Son père médecin a des ambitions pour ses filles et se montre critique quand son aînée s'amourache d'un jeune noir d'un quartier mal considéré. Ce dernier rêve d'être aussi médecin mais sa famille n'ayant pas les moyens d'investir dans ses études, Renard s'enrôle dans l'armée en espérant que la nation se montrera reconnaissante pour son engagement. Cette expérience, partagée par de nombreux afrodescendants, lui révélera au contraire un racisme ancré dans la société américaine. Les engagés noirs ne sont pas jugés dignes de se battre et sont réduits à des tâches subalternes. Pire, la population française se révèle également accueillante pour tous les libérateurs, indépendamment de leur couleur de peau, montrant que la ségrégation n'est pas une fatalité.

[…] quelque chose doit être mis en place de manière à ce que nous n'allions pas sacrifier nos vies pour découvrir après coup que nous ne sommes toujours pas tout à fait des Américains. Imaginons que nous soyons victorieux en Europe, que va-t-il se passer pour la prochaine génération de Noirs ici ? Avant de risquer ma vie pour cette grande nation, je voudrais être sûr qu'on nous garantisse, à nous en tant que peuple, les pleins droits de citoyen à notre retour.

p. 63

Le choix d'Evelyn de se marier au-dessous de sa condition et l'incapacité de Renard à étudier le médecine sont vécus comme des échecs qui se répercutent sur les générations. Terry, leur beau-fils, lutte contre son addiction au crack; suite à ses incessantes rechutes, il fuit le domicile familial. Quant au petit-fils T. C., ses tentatives de commercialiser du cannabis le mènent en prison.
Une malédiction semble accompagner les personnages principaux. Les mères vivent leur grossesse dans la solitude et la figure paternelle est dévalorisée, voire absente. Tante Sybil, une avocate convoitée, et le père d'Evelyn, médecin reconnu, occupent pourtant des positions enviées et prouvent que d'autres destins sont possibles. Ces promotions sont mises à mal par les aléas de la politique gouvernementale. Les conséquences de Katrina sont particulièrement ambiguës : l'État fédéral a repris certaines tâches pour soutenir la Louisiane meurtrie contraignant au chômage des employés nommés par d'autres instances et la reconstruction a marginalisé davantage des populations précaires.
Ces photographies, sur trois époques, donnent une vue très pessimiste de la situation de la société. En adaptant son écriture à ces temps déterminés, Margaret Sexton semble souligner un relâchement de la langue et des valeurs. La liberté recherchée par les protagonistes est toure relative, se limitant à quelques moments d'insouciance, parfois lourds de conséquences.

C'était le problème avec les gens de l'extérieur. Ils s'imaginaient qu'il était tout content de voir leurs têtes, alors que ça lui rappelait trop la liberté; tout le monde ici savait qu'il valait mieux s'adapter au genre de liberté disponible à l'intérieur. Par exemple, cette fois il n'avait pas de compagnon de cellule, ce sont des choses qui comptent.

p. 301-302



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