Le poids des secrets

Shimazaki Aki. Le poids des secrets. Actes Sud, 2005.
Pentalogie constituée de Tsubaki, Hamaguri, Tsubame, Wasurenagusa et Hotaru


Les cinq brefs volumes de Aki Shimazaki racontent au fond la même histoire sous l'angle de différents narrateurs. Quels sont ces secrets si lourds qu'ils influencent durablement la vie de Yukio Takahashi et de Yukiko Horibe et de leurs descendants ? Portant le patronyme de familles tokyotes honorables, leurs parents se retrouvent dans une maison mitoyenne de la banlieue de Nagasaki à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le hasard ou alors le destin leur permettra d'échapper à la bombe larguée précisément sur la Vallée d'Uragami le 9 août 1945.
Shimazaki Poids secrets

L'empoisonnement, les bombes atomiques, l'Holocauste, le massacre de Nankin. Était-ce nécessaire ? C'était, selon elle, une question inutile après une pareille catastrophe. Ce qu'on peut faire, peut-être, c'est essayer de connaître les motivations des gestes.

Tsubaki, p. 111

Bien des années plus tard, à la veille de sa mort, Yukiko consent évoquer cet événement à son petit-fils et rédige une lettre qui confie à sa fille Namiko la mission de retrouver son amoureux de la petite enfance, Yukio.
«Tsubaki» expose le contexte historique qui a poussé les Américains à utiliser leur nouvelle arme sur Hiroshima et Nagasaki et le met en parallèle avec la rigidité des conventions familiales japonaises.

Il a dit : “Sans cela, j'aurai beau étudier fort et entrer dans une bonne université, je ne pourrai jamais trouver un bon emploi. J'aimerais devenir professeur de mathématiques. Il n'est même pas certain que l'école accepte que les zaïnichi se présentent à l'examen d'admission.” Mon mari lui a expliqué: “Tu dois comprendre que kika ne veut pas dire simplement obtenir la nationalité japonaise tout en gardant son identité raciale. Il faut abandonner la nationalité d'origine et être Japonais avec un nom japonais. Et si tu es devenu Japonais, les Coréens d'ici ne t'accepteront plus comme compatriote et les Japonais ne te considéreront jamais comme Japonais s'ils apprennent que tu es d'origine coréenne. Cela n'a aucun sens. Si tu tiens vraiment à devenir professeur, va à l'étranger. Même si tu réussis bien dans ta profession, je ne serai pas heureux de savoir que tu dois encore cacher ton identité.” »

Tsubame, p. 90

Les narrateurs des volumes suivants sont liés à la famille Takahashi et permettent à Shimazaki de détailler les observations de Yukiko d'un point de vue décalé. La diversité des narrations rend bien compte de la tension générée par les secrets et la libération que leur révélation, ne serait-ce qu'au seuil du trépas, permet.
L'écriture concise de Shimazaki est trompeuse. La multiplicité des angles de narration rappelle que lorsqu'il s'agit de raconter un vécu familial, les détails sont souvent omis et l'allusion privilégiée pour gommer les inconvenances. Dans le monde des Takahashi et des Horibe l'obsession de la réputation empêche toute incongruité, mais on ne se prive pas de souligner avec cruauté les imperfections d'autrui.

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