Le dernier homme blanc
14 06 23 Livre
Hamid Mohsin. Le dernier homme blanc. Roman. Bernard Grasset, 2023.
La vie d'Anders est profondément bouleversée lorsqu'il observe sa peau irrémédiablement s'assombrir et ses phénotypes en faire un étranger à lui-même. Il éprouve alors l'importance de l'apparence dans la constitution de son identité. Toute la population blanche de sa ville subissant cette métamorphose, la vie sociale en est bouleversée.
La vie d'Anders est profondément bouleversée lorsqu'il observe sa peau irrémédiablement s'assombrir et ses phénotypes en faire un étranger à lui-même. Il éprouve alors l'importance de l'apparence dans la constitution de son identité. Toute la population blanche de sa ville subissant cette métamorphose, la vie sociale en est bouleversée.
Le regard de Moshin Hamid, né au Pakistan puis ayant vécu ensuite à Londres, à New York et en Californie avant de s'établir à Lahore, est sensibilisé à l'altérité. Sans l'éveil de sentiments envers autrui, un regard reste vide; ces émotions se répondent jusqu'à ce que s'ajuste la posture. Son écriture est révélatrice de la capacité de l'auteur à manifester de l'empathie, à moins qu'il ne s'agisse d'un art de la nuance. Procédant par petits ajustements, il élabore de longues phrases en précisant ses observations comme autant de retouches.Oona sentait sur son visage la fraîcheur qui réveillait sa peau, et ils marchaient, et alors Anders dit qu'il n'était pas sûr d'être la même personne, il avait d'abord eu l'impression que c'était toujours lui sous la surface, qui d'autre cela pouvait-il être, mais ce n'était pas si simple, et la façon dont les gens se comportent autour de toi, cela change ce que tu es, qui tu es.
p. 64
Anders n'a pas l'étoffe d'un héros. Sa scolarité a été laborieuse, mais sa sensibilité en fait un coach apprécié dans la salle de sports qui l'emploie. Il a récemment renoué avec Oona, une camarade de lycée, qui donne des cours de yoga autant pour se donner une assise personnelle que pour faire progresser ses élèves.
La mutation d'Anders l'entraîne à se considérer différemment; il s'applique à se comporter en fonction du regard qu'il croit qu'on lui porte. Dans la rue, il ressent une sourde hostilité qui l'oblige à être dans la retenue. Jusque là, le seul homme de couleur de la salle de sports était le chargé de son entretien, qu'il considérait avec une indifférence polie. Comment va évoluer leur relation ? Et surtout, ses tentatives auprès d’Oona alors qu’il peine à s’accepter lui-même ?
La violence croît dangereusement en ville; les habitants craignent autant les inconnus qui surgissent que la mutation qui se répand inexorablement. La tension est accrue par les médias qui, ayant déserté depuis longtemps l’endroit, commentent à distance et les réseaux sociaux qui activent les peurs.
Le changement d’apparence contraint les individus à reconsidérer leurs relations à eux-mêmes et aux autres. Il s’agit non seulement de distinguer des individus derrière des masques à peau sombre, mais de reconstituer des liens. Un obstacle si l’on considère la dislocation du tissu social renforcée par l’angoisse générée par cette « épidémie ».
Passées les réticences à se rapprocher physiquement, le lien entre Anders et Oona se raffermit. Les deux jeunes gens ont en commun une expérience du deuil qui surpasse la barrière de la race : la mort d'un parent et la vulnérabilité du parent survivant les a touchés durablement. Une souffrance plus intime que la perte d'une représentation de soi, qui interroge le passage de la vie à la mort en lien avec ses proches. Un autre débat sociétal d'actualité avec notamment toute la question de l'euthanasie et la revendication d'une mort dans la dignité. Un débat existentiel qui oppose souvent les mêmes fronts que les questions raciales. Les personnages de Hamid sont bien typés, aussi constants que dans la vie réelle, mais l'auteur sait faire primer leur richesse intérieure sur leur superficialité.[…] le père d'Anders s'efforçait de faire de son dernier voyage un don, un acte de paternité; ce ne serait pas facile, ce n’était pas facile, c'était presque impossible, mais c'est ce qu'il se mit en tête, tant qu'il avait encore toute sa tête, de tenter d'accomplir.
p. 124
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Lisbeth Koutchoumoff pour Le Temps