Silence

Endō Shūsaku, Silence. Folio, Denoël, 1992

Les thématiques de la religion et de l'identité culturelle sont récurrentes dans l'œuvre de Shūsaku Endō. En tant que chrétien japonais, il sait combien l'histoire du christianisme dans l'Archipel est tragique. Sa conversion, à l'instigation de sa tante, alors qu'il n'était qu'un enfant et ses années d'étude à Lyon le rendent particulièrement sensible à l'interculturalité.

— Si l'on impose à des êtres ce dont ils ne veulent pas, ils ont tendance à dire merci sans raison. Ici, il en va ainsi de la doctrine chrétienne. Nous avons notre propre religion, nous en refusons une qui est étrangère et nouvelle. À moi-même, elle a été enseignée au séminaire et je la juge déplacée au Japon.

p. 136


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Dans Silence, l'auteur interroge la personnalité de Christophe Ferreira, jésuite portugais qui après avoir apostasié, sous la torture, a été rattaché à un temple bouddhiste. Un narrateur fictif, Sebastião Rodrigues, est à son tour envoyé au Japon pour soutenir les chrétiens persécutés et enquêter sur l'apostat.
Endō interroge non seulement la confrontation des valeurs dans l'expansion missionnaire, mais aussi le sens du martyr qu'il oppose à la miséricorde chrétienne. Se sacrifier pour le nom de Jésus, n'est-ce pas usurper le don du Christ ?

Aujourd'hui, tandis que, pour la gloire de Dieu, Mokichi et Ichizo ont gémi, souffert et rendu l'âme, je ne puis supporter le bruit monotone de la mer obscure rongeant le rivage. Derrière le silence oppressant de la mer, le silence de Dieu... le sentiment qu'alors que les hommes crient d'angoisse, Dieu, les bras croisés, se tait.

p. 96-97

Comme L'extraordinaire voyage du samouraï Hasekura, ce roman de Endō nous relate les débuts du shogunat Tokugawa, lorsque le Japon a violemment réprimé les chrétiens, japonais et étrangers, puis s'est isolé. Ce retranchement permettait au gouvernement militaire d'éviter que le conflit entre nations protestantes et catholiques européennes ne déborde sur le territoire nippon.
Sans la présence de missionnaires, suggère Endō, la foi chrétienne se serait adaptée au milieu culturel. La diffusion du bouddhisme ne s'était-elle pas accompagnée d'une altération de la doctrine tout en réformant le shintoïsme ?
Tout comme Hasekura et Velasco sont les reflets du conflit de valeur de Endō, Ferreira et Rodrigues exacerbent son questionnement sur son attachement au Christ : la mission se veut acte de miséricorde mais, par les sacrifices qu'elle impose, elle est négation de la grâce dispensée par Jésus tout en ignorant la complexité bouddhiste.

Les chrétiens disent que leur Deus est la source de l'amour et de la miséricorde, celle de la bonté et de la vertu, alors que les bouddhas ne sont que des hommes incapables de posséder ces mêmes qualités. […] Seul un père ignorant de l'enseignement bouddhique peut dire une chose pareille. En fait, rien ne vous autorise à affirmer que les bouddhas ne sont que des hommes.

p. 137

Ce déchirement moral parait pourtant bien innocent en regard des tortures sophistiquées exercées par le pouvoir contre les chrétiens. Une violence qui rappelle celle de l'Inquisition des guerres de religion qui ravageaient simultanément l'Europe. Un déchaînement que ne permet, aujourd'hui encore, que la déshumanisation de l'autre.

Notice de l'Université catholique de Lyon
Site de l'éditeur
Le Japon en perspective – Histoire sociale des chrétiens cachés au Japon – Martin Nogueira Ramos