La mendiante de Shigatse

Ma Jian. La mendiante de Shigatze. Actes Sud ; L'Aire, 1988.

Peintre jugé subversif pendant la campagne contre “la pollution anti- spirituelle”, Ma Jian deviendra écrivain à sa sortie de détention. Ébranlé par ses tracas, il entreprend un long voyage qui le conduira au Tibet. Étant bouddhiste, il espère y trouver un sens à sa vie.

Partant à l'assaut de ces montagnes qui se dérobaient comme les murs d'une citadelle, écoutant monter en moi les battements furieux de la vie. Cette vie qui travaillait à me vider, à me laver de toute substance, à me réduire à mon enveloppe chamelle malpropre, à cette chose abattue pestant et se grattant.

p. 69

A son retour, il publie ce recueil de récits. Ses impressions de voyage ne sont pas mieux accueillies que ses œuvres graphiques.

Le livre est interdit ; Ma Jian s'installe à Hong Kong. En 1997, il quittera la Chine pour l'Europe d'où il poursuit son engagement par l'écriture.
Commentant cette découverte du Tibet (
Lisbeth Koutchoumoff pour Le Temps), Ma Jian se rappelle y avoir découvert l'anéantissement de la culture bouddhiste : temples démolis contrôle des autorités auquel “pas un seul grain de poussière” n'échappe.

Mythes et légendes fleurissent sur la terre pétrie de religion du haut plateau. L'homme moderne, l'homme civilisé incapable de se délivrer de l'illusion des sens pour atteindre la sagesse ne peut se soustraire à certaines souffrances.
Si je couche cette histoire sur le papier c'est que j'espère bien l'oublier...

p. 69


En relisant
La mendiante de Shigatse, c'est le contraste entre un décor saisissant par son étendue et sa beauté et la sauvagerie de la population indigène qui me surprend. La recherche de la pure beauté conduit Ma Jian à la découverte d'une réalité crue, animale.
Le responsable du poste de télécommunication, militaire chinois, semble bien inoffensif dans son isolement. Il permet cependant à l'écrivain d'assister à des “funérailles célestes” qu'il décrit avec une macabre précision.
Cette opposition entre la sérénité des lieux et les forces les plus obscures de l'homme (inceste, abandon d'enfants,…) ressemble à un dénigrement de la culture tibétaine. Le réalisme, brut, des descriptions a pourtant contribué à l'interdiction de l'ouvrage.
Ce rejet est peut-être une des clés de lecture de
China Dream. En effet, Ma Jian y joue avec l'opposition entre ce qui peut se dire et ce qui doit être tu. De cette frontière, naît la restriction de la liberté d'expression, voire le contrôle des grains de poussière.

On était en août, le mois le plus beau sur le haut plateau. L'air y est si transparent qu'on a l'impression de flotter dans le vide. Je posai mon sac de voyage au bord de l'eau et je sortis ma serviette.
Je me sentis mieux après une toilette sommaire.
J'étais à Langkatze, un village d'environ cent familles se résumant à une rangée de maisons en pisé au pied des monts. […] Rien ne troublait la beauté du lac en cet endroit. Les rayons du soleil jouaient sur les galets au fond de l'eau. Les drapeaux des toits composaient au gré du vent une symphonie de rouges, de jaunes, de blancs et de bleus préfigurant l'harmonie du royaume de Bouddha. Au bord du lac, un peu à l'écart des autres, une maison en ciment sous un toit de tuiles rouges.≤br>... Le siège administratif du canton ?

p. 12-13


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