La Fenêtre russe
Le courant d'air qui circule par cette fenêtre russe stimule l'imagination de Velikić. Une idée chassant l'autre, ses phrases, parfois improbables, sont construites par associations.Seul l'air frais continuait à passer à travers la petite ouverture rectangulaire dans le bas de la fenêtre qu'on appelle fortochka en Russie.
p. 87

Ses tentatives de s'inventer de nouvelles vies à Budapest, Munich ou Hamburg restent si maladroites que sa fascination pour les réseaux ferrés urbains paraît l’entraîner dans une profonde nostalgie entretenue par les appels réguliers à sa mère.Et Rudi ? En grandissant, il collectionnait les odeurs et les sons, il reconnaissait les goûts au toucher; il buvait directement au bocal le jus de sureau et de framboises, ça sentait l'herbe fraîchement coupée, les rideaux lavés, les plantes tinctoriales dans le cellier avec lesquelles la grand-mère se soignait, les roses qui bordaient l'allée de la cour; il entreprenait des expéditions dans le verger derrière la maison où les grands-parents vivaient jusqu'au déménagement. Quand le père a enfin obtenu un grand appartement à l'étage en dessous de son bureau, le monde de Rudi s'est rempli des sensations du bureau de son père et du salon de sa mère.
p. 132
Cette atmosphère de nonsense se développe dans un monde balkanique déchiré dont les protagonistes portent les désillusions. « Où qu'il arrive [Rudi] joue la même pièce. Marionnette, jouet des situations, incapable d'imposer son histoire. » Pourtant n’est-ce pas l’inattendu qui donne toute sa valeur à la vie, comme le lui déclare un contempteur d’une bureaucratie en recherche de prévisibilité.
La littérature contemporaine, soit se contente de décrire, ce qui ne m'a jamais intéressée, soit invente des personnages qui n'existent pas, c'est de la non-authenticité, en accentuant le côté bizarre, sans doute pour que ce soit plus intéressant.
p. 309
Mireille Descombes pour Le Temps
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