Ienisseï

Garcin Christian, Ienisseï ; suivi de Russie blanche. Verdier, 2014.
Christian Garcin Inde Autoportait

Le récit de voyage de Garcin relate sa descente du Ienisseï de Krasnoïarsk à Norilsk. Climat hostile à l'homme, dans ces terres dont le Goulag a facilité l'exploitation. Les réprouvés ont permis l'accès aux ressources forestières, hydrauliques et minières, mais les bénéficiaires ne montrent pas davantage de respect pour les travailleurs que pour l'environnement. Les conséquences de cette négligence pour un milieu si fragile se répercuteront inévitablement sur ces habitants de seconde zone.

Autoportrait de Christian Garcin, dans un train, en Inde, 2014


Le problème, évidemment, est que la Russie n'est pas l’Occident. Sans être un adepte fervent du relativisme, je sais bien qu'il est aussi vain que présomptueux de lire l'exercice du pouvoir, dans des pays récemment, et sauvagement, ouverts à l'économie de marché comme la Chine ou la Russie, en chaussant nos lunettes de démocraties libérales à l'occidentale. Il m'a toujours semblé que si la forme du pouvoir pouvait changer, sa nature, elle, ne changeait pas. Elle est la même dans la Chine des Ming, des Tsing, celle de Mao et celle des capitalo-mafieux actuels, la même dans la Russie des tsars, des bolchéviques ou de l'oligarchie poutinienne.

p. 28


« НОРИЛЬСК ».
La ville, je le savais, était une ville du Goulag. Le combinat métallurgique et minier avait été créé en 1935 par Staline, en même temps que les camps du Goulag, baptisés Norillag. L'usine de transformation du nickel et les centrales électriques avaient été construites par les prisonniers du Goulag, tout comme la ville elle-même, où logeaient les hommes du NKVD qui dirigeaient les usines et les mines, dont on dit qu'il s'agit des plus importantes du monde – ou parmi les plus importantes, ne chipotons pas : suffisamment en tout cas pour que les émanations de dioxyde de soufre fassent de Norilsk une des dix villes les plus polluées de la planète grâce au complexe Norilsk-Nickel […]
L'entrée dans Norilsk cependant ne laissait rien présager de la double nature de cette incroyable ville-usine. Nous roulions sur de vastes et belles avenues bordées d'immeubles staliniens dont la date (1951) se lisait sur le haut des façades intensément colorées – rouges, bleues, vertes, et surtout jaune pétard, couleurs vives dont je me disais que, lors de la nuit polaire, qui dure tout de même quelques mois, la réverbération sur la neige devait fournir quantité de motifs picturaux pas inintéressants. […]
Bien entendu tout cela ressemblait à un décor de théâtre, et je me rendrais compte par la suite que, derrière ces façades riches et pimpantes, les cours intérieures et autres barres d'immeubles étaient aussi sinistres, mais pas davantage, qu'ailleurs dans d'autres grandes villes russes. .

p. 62-63


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Eléonore Sulser pour Le Temps