Heidelberg, en été
Photo de Joshua Rondeau – Unsplash
À Heidelberg vingt ans après y avoir étudié, Emma est à la recherche de repères : dans quel immeuble logeait-elle ? Cette quête l'empêche d'assister au colloque qui l'a fait revenir. Accablée de chaleur estivale la narratrice éprouve à nouveau cette impression d'oppression qu'elle éprouvait à l'écoute de sa logeuse et de sa fille Magdalena, le récit répétitif de l'abandon de Koenigsberg devant les forces soviétiques dans les derniers mois de guerre.La violence et la haine qu'évoquait ma logeuse m'étaient donc insupportables. Je ne voulais rien entendre. Je n'étais pas venue pour ça. Je ne supportais pas ses récits. Je me rétractais, me roulais en boule pour me protéger. Sourde. Absente. Chacun de ses mots me rongeait le corps, me tordait le ventre. Je me défendais. Je ne voulais pas subir ces drames, ils me donnaient envie de crier. J'aurais préféré éteindre la radio ou fermer le livre. Mais je ne le faisais pas. Je restais assise sur mon lit ou dans un fauteuil, incapable de me lever et de prendre la fuite. Paralysée, pétrifiée, j'écoutais malgré moi.
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Les stigmates de la guerre s'effacent et la ville en paraît changée. Heidelberg est maintenant envahie de touristes, bien plus visibles encore pendant cette semaine estivale. Autrefois charmée par l'enseignement d'un médiéviste, Emma évite la participation au colloque. Les faits saillants qui ressurgissent du passé ne coïncident pas avec les souvenirs. Plus que la chaleur, c'est cette discordance qui lui pèse.
Alors qu'elle espère secrètement retrouver Magdalena, elle est abordée par Horst, un garçon qui lui a été moins indifférent qu'elle ne veut se l’avouer. Cette rencontre fortuite ouvre d'autres perspectives. Du souvenir altéré naît un nouveau regard sur le dialogue des deux femmes : par sa présence, Emma a libéré leur parole et leur a permis de communiquer.
La ville est certes transformée, mais les conséquences de la guerre sont encore bien présentes dans l'inconscient collectif des années 1980. En revenant quarante ans en arrière par ce roman, Madeleine Knecht Zimmermann nous rappelle une certaine idée de l’Allemagne embarrassée de son passé. Une attitude que certains refusent résolument aujourd'hui tant Heidelberg présente encore un autre visage; les déplacés d'autrefois ont aussi laissé la place à des migrants qui éveillent d'autres émotions chez les Emma de notre temps.Il me semblait maintenant que la vraie récompense était de trouver les mots, de les manier pour construire une nouvelle maison, dans laquelle on serait assez fort pour ne plus avoir peur de la vie.
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Association vaudoise des écrivains