J'irai dans les sentiers
Le dernier tome du Manifeste incertain à peine refermé, Frédéric Pajak nous livre un nouveau volume de textes et dessins consacrés à trois poètes français majeurs des années 1870.
J'ai le goût du lendemain, même si, ou surtout si, ce lendemain me reconduit à des sensations anciennes et qui perdurent, preuve que le temps s'est fortifié en moi, et qu'il me fait vivant, et gai, et désespéré – jamais amer.
p. 290

Il brosse le décor en se remémorant ses jeunes années et le voyage en Italie avec son premier amour de 17 ans. Un embrasement qui reste bien contenu comparé à celui de ses devanciers, même si sa jeune histoire a plusieurs traits communs avec ces poètes.
L'exaltation des poètes enchante l'adolescent. Leurs vers éblouissent et promettent tous les possibles. Ces échappées ne sont pas que littéraires comme Pajak le découvrira et nous le partage dans ces notes biographiques.[…] moi, j'ai dix ans. C'est un âge définitif et non négociable. C'est l'âge que j'avais lorsque mon père est mort. Mon système nerveux n'a pas changé depuis.
p. 13
Destins particuliers, tragiques vus d'aujourd'hui, probablement communs pour les indigents de leur temps. Des existences qui relativisent les vicissitudes vécues par l'auteur.Nous étions de cette même génération frivole et désenchantée. Les prochaines années nous dévoreraient; elles nous livreraient à un monde sur lequel nous n'aurions aucune prise, ou si peu, et que notre docilité, notre pleutrerie, voire notre cynisme laisseraient inchangé, quoique dans un état de dévastation inquiétant. Nos minuscules révoltes n'y feraient strictement rien: rien ne s'améliorerait. Nos dix-sept ans, nous les avions vécus dans le renoncement, embués que nous étions dans un air anesthésiant, ivres d'un mousseux sans bulles.
p. 260
Cinquante ans plus tard, Pajak considère avec un certain dépit que son élan ne laissera au fond que peu de traces pour l'humanité. Il conserve néanmoins le goût du lendemain et d'éclairer notre présent par les expériences du passé.
De la poésie, c'est bien ainsi [que Lautréamont] qualifie ses Chants : « Ma poésie ne consistera qu'à attaquer, par tous les moyens, l'homme, cette bête fauve, et le Créateur, qui n'aurait pas dû engendrer pareille vermine. »
Il en dira davantage, parlant de « poésie de révolte ». D'ailleurs, comment considérer autrement un tel écrit ?p. 72
Alexandre Demidoff pour Le Temps
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