L'ami arménien
Une belle langue soignée, un brin désuète, pour évoquer une amitié adolescente qui détourne le narrateur de sa propre marginalité.
Adolescent, je concevais ainsi la chronique des malheurs et des espoirs arméniens – les journaux ne disant rien sur cette révolte matée – mais son dénouement carcéral ne me paraissait pas surprenant : le pays claironnait l'unité indéfectible de toutes les ethnies qui le composaient et les velléités centrifuges déclenchaient toujours un vigoureux rappel à l'ordre. Et, très logiquement, un châtiment sévère : quelques Arméniens (maris, fils, frères), coupables de dissension, avaient donc été arrêtés et transférés à cinq mille kilomètres du Caucase, ce qui permettait de prévenir l'indulgence qu'aurait pu manifester la justice de leur terre d'origine.
p. 32-33
Cette retenue donne, aux yeux du narrateur, une aura à Vardan, l'ami arménien qui lui ouvre les sens. La vie au Royaume d'Arménie est initiation à la richesse culturelle de ce peuple du Caucase et révélateur, par le décentrement, de la complexité du monde.Ainsi, au bout de quelques jours, dans la fresque que son récit complétait touche par touche, commençai-je à distinguer un fragment laissé en blanc, une zone d'angoisse et de silence qu'il lui fallait contourner en revenant vers un passé de royaumes et de trônes.
p. 63
Le narrateur puise dans le force de cet adolescent qui se meurt une énergie pour transcender la nostalgie ; celle de l'auteur pour la Russie ?
Andreï Makine avec Pierre-Philippe Cadert pour RTS–Vertigo
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