Mèmed le Mince

Kemal Yachar, La saga de Mèmed le mince. Quarto, Gallimard, 2011.

La saga de Mèmed le Mince évoque une Turquie immémoriale. Ce personnage d'apparence insignifiant capable de déjouer les tentatives d'usurpation de l'agha devient, malgré lui, le protecteur des petites gens des plaines de Cilicie.

Certains jours, il se déchaînait, comme s'il était ivre. Enfourchant son jeune cheval roux, qu'il avait élevé et soigné lui-même, il partait au galop, à travers les montagnes embaumées d'odeurs de pin, de thym et de menthe. On aurait dit un vent qui soufflait depuis le passé des Turkmènes.
Il aimait évoquer l'émigration, l'exil, le grand combat avec l'Ottoman. Il décrivait la beauté des fusils de l'époque, parlait des tambourins décorés, qu'on battait sous les tentes aux couleurs vives. Il racontait comment la plaine se remplissait d'une symphonie rouge et verte. Un tintamarre de couleurs descendait sur la plaine de la Çukurova.

p. 285


L'auteur revendique un style proche de la tradition orale dans une langue ottomane riche de diversité. Le monde imaginaire qu'il crée est pourtant bien ancré dans la réalité qu'il a connue. D'origine kurde, sa famille quitte la région du Lac de Van pour cette Çukurova où le pouvoir ottoman a installé des populations turkmènes et yörüks. Kemal prend conscience de cette richesse quand il s'installe à Istanbul où la langue vise à l'efficacité d'une République établie l'année de sa naissance.

La tradition littéraire orale […],nous la vivions encore aujourd'hui, avec toute sa fraîcheur et son intensité. Des centaines de bardes et de poètes circulaient à travers l'Anatolie, de village en village. La langue était conservatrice, fermée au changement. Langue vivante dans l'art du barde, le turc en tant qu'institution était néanmoins une langue morte.

Yachar Kemal
Entretiens avec Alain Bosquet, p. 52


Nourri de ces traditions diverses et d'une certaine nostalgie des origines Kemal s'affirme comme écrivain turc. La langue qu'il chérit, il s'en sert comme un porte-voix pour lutter contre la pauvreté. Un engagement politique marqué à gauche qui lui vaudra censure et prison.
Dans le premier roman de sa tétralogie, Kemal montre des aghas qui abusent de leur pouvoir pour dessaisir les paysans de leur terre. Malgré cette perpétuation de pratiques féodales, ils étaient suffisamment madrés pour s'appuyer sur le Gouvernement pour écarter ceux qui osaient s'opposer à eux. Dès lors les ruses de Mêmed attirent une large sympathie malgré ses transgressions, de quoi nourrir l'épopée.

Aussi étroit que soit le champ de sa vision, l'imagination de l'homme est vaste. Même pour celui qui n'a pas quitté le village de Değirmenoluk pour voir d'autres pays, ce monde d'imagination est vaste. Il peut s’étendre jusqu’au-delà des étoiles.

p. 149



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