Les terres promises

Guenassia Jean-Michel. Les terres promises. Livre de poche. Albin Michel, 2021.

Le club des incorrigibles optimistes, un groupe d'exilés russes que la passion des échecs a réuni à Paris restitue l'atmosphère des années 1960. L'idéalisme des personnages de Guenassia les rend si imprévisibles que leurs revirements en viennent à être attendus.

J'ai mesuré à quel point c'était difficile de rendre compte de la réalité, on croit l'approcher, on voudrait que les mots s'ajustent à ce qu'on a vécu, on veut améliorer le portrait, mais plus on insiste, plus on fabrique un conte cubiste, avec l'impression désagréable d'avoir trahi la vérité et d'être impuissant à restituer le passé.

p- 73

L'intention derrière la répétition des motifs – ruptures familiales puis retrouvailles miraculeuses, délivrances inattendues, engagements mystiques – demeure mystérieuse. L’auteur cherche-t-il à montrer l'impasse d'un modèle basé sur la collectivisation, que ce soit celle de l'expérience soviétique ou de la vie des kibboutzim israéliens, ou souligne-t-il l’aspiration de l'homme à une ascèse ?

Le choix des motifs évocateurs des années 1960 est aussi énigmatique. Si les références à l’indépendance algérienne sont probablement liées à sa naissance, en 1950 à Alger, le long développement sur le débordement de l'Arno en 1967 laisse vraiment songeur. D’autant qu’il escamote habilement les questions plus sensibles comme celles de l'avortement qui justifie un détour par Genève.

C'était un sentiment diffus, un rejet de cette modernité qui nous pendait au nez, on n'avait pas encore inventé le concept de société de consommation, mais cela n'allait pas tarder, on se dirigeait avec jouissance et délectation vers le grand bazar de l'accumulation, les supermarchés allaient devenir les nouveaux temples où se réuniraient les fidèles du credo consumériste. Mon père était d'une autre époque, il avait fait la guerre, il était animé d'une envie forcenée de vivre mieux, il était profondément convaincu qu'acheter une télé ou une machine à laver était un pas décisif vers le bonheur. J'étais convaincu du contraire : nous devions résister à cet univers de pacotille, et les Français allaient se lever en masse pour rejeter l'imposture de ce monde mercantile, mais nous n'étions qu'au début du grand déballage, le pire restait à venir.

p- 153

Puis, par une subite accélération du temps l'auteur emmène ses héros dans un monde post-soviétique qui leur permettra des retrouvailles bienheureuses. Par ses constantes références à la biographie que René Bazin a écrit de Charles de Foucauld, Jean-Claude Guenassia semble appeler à une révélation capable de se libérer de toutes les culpabilités.
Par les hasards algorithmiques, les incorrigibles optimistes sont associés par les moteurs de recherche au Club des cinq. Un rapprochement peu flatteur pour l’auteur qui en cherchant « Comment nouer des fils qui n'existent pas ? qui n'ont jamais existé ? Comment combler un vide de trente-huit années ? » (p. 668) indique une certaine conscience de l’artificialité de son roman !

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