L'enfant phœnix

Ishida Ira, L’enfant phœnix ou Le bombardement de Tokyo vécu par Andy Takeshi. Le Lézard noir, 2021.

Comment se perpétue la mémoire ? Alors que. l'usage dévastateur du feu nucléaire sur le Japon en août 1945 a fait entrer les noms de Hiroshima et de Nagasaki dans l'histoire universelle, les bombardements intensifs sur Tokyo restent souvent ignorés. Pourtant, par le nombre de victimes immédiates, ils ont été bien plus meurtriers.

C'était la première scène de guerre qu'il voyait de ses propres yeux. Jusqu'alors, la guerre, ce n'était rien que les entraînements militaires au collège, le travail volontaire à l'usine, les slogans d'une bravoure déprimante, la police militaire et la garde civile d'une sévérité terrifiante, les biens et victuailles qui disparaissaient comme de l'eau jetée dans le sable, la pauvreté et la faim.
Mais la vraie guerre, ce n'était rien de tout cela. Les aiguilles noires qui tombaient dans un bruit d'averse, la myriade de piliers ardents s'élevant au cœur de son propre quartier : la voilà, la guerre. La guerre s'immisçait dans votre ville, dans votre maison, et jusque dans vos draps.

p. 277

Pour Ishida, le grand bombardement du 10 mars 1945, est aussi marqué du poids des secrets, pour reprendre le nom du recueil d'Aki Shimazaki. Sa mère a vécu cette nuit-là lorsqu'elle était lycéenne; elle ne le lui a mentionné qu'une fois alors que lui-même était adolescent. C'est le témoin qu'il désire transmettre pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise.

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minetaroo mochizuki

Illustration de Minetarō Mochizuki

La relation de ces années-là passe, chez Mizuki, Shimazaki ou Ishida, par la mise en contexte de la Guerre de la Grande Asie orientale. Un Japon simultanément isolationniste et expansionniste, dans le déni des influences régionales ou transpacifiques. Ira Ishida choisit de personnifier ces interdépendances en Takeshi Tokita, un métis adolescent, américain de père, qui revient au Japon, le pays maternel, suite aux mesures explicitement anti-asiatiques des États-Unis.

Là où le Japon s'entêtait à faire des États-Unis l'ennemi mortel à abattre, les Américains, eux, lui demeuraient indifférents.

p. 222

De retour à Tokyo, il est regardé avec suspicion, sommé de renier sa nationalité américaine et de cesser toute correspondance avec son père. Dans un Japon acculé, tout est organisé au profit de l'effort de guerre; les écoles sont fermées et les élèves réquisitionnés dans l'industrie.
Roman de formation, L'enfant phoenix idéalise le rôle de Takeshi. En le dotant de superpouvoirs, Ishida peut décrire de manière détaillée les bombardements par les B-29 et les conséquences délétères des engins incendiaires largués. Son rapport sinistre des dégâts attribue aux Américains un bénéfice du doute : connaissaient-ils vraiment les effets d'amplification de leurs frappes sur un bâti essentiellement de bois ?
Les illustrations de Minetarō Mochizuki, à l'inverse de ses détails macabres, évoquent une atmosphère et suggèrent l'ambivalence de Takeshi, comme avec ses dernières chaussures américaines posées avec soin sur un journal local.

Tezuka bombardement

Tezuka Osamu, L'histoire des 3 Adolf

Anéanti, le Japon s'est relevé essentiellement grâce à un appui étasunien, intensifié par la Guerre de Corée. Aussi la critique des destructions américaines est-elle contrebalancée par la mise en évidence d'un fanatisme aveugle du commandement japonais, incapable de protéger son peuple. Takeshi, l'enfant phoenix, même au plus profond de cette nuit d'horreur, accomplit sa mission sans renier son ascendance américaine.

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