Le dernier mot | Traces | Pommes & co

Le dernier mot

Hanif Kureishi, Le Dernier Mot (The Last Word), traduit de l’anglais par Florence Cabaret, 10/18, 360 p

Engagé pour relancer la carrière littéraire de Mamoon Azam, Harry Johnson doit écrire sa biographie. Comment doser correctement l'hagiographie et le scandale pour plaire à son commanditaire et à l'écrivain ?

Il était temps [...] que ce travail soit minutieusement relu par l’éditeur afin d’éviter que Harry ne s'égare ou ne mette la littérature en danger parce qu'il irait trop loin dans telle « étrange direction » ou parce qu'il prendrait trop de liberté avec son texte. Mamoon tenait à offrir une image qui lui. ressemble.

p. 271

Tous les membres de la cour qui entoure la célébrité n'ont pas les mêmes intérêts à ce que certains faits soient révélés. Dans son entreprise, Harry se découvre fragile. L'objectif qui lui est donné le rend aussi vulnérable que Mamoon Azam.

Mamoon avait fait en sorte d'être perçu comme trop non conformiste pour être complètement intégré au système. Mais il savait comment intéresser les gens aux idées qu'il avait.« Et puis, malheureusement, il y a eu cet incident avec cette conférencière, une féministe noire à qui il avait dit lors d'un cocktail : ”Rassurez-moi, être noir, ça ne suffit pas à faire carrière de nos jours, n'est-ce pas ?“

p. 212

Quelles sont les clés du roman ? Kureishi est-il dans l'auto-dérision quand il fait le portrait d'un auteur d'origine indienne ou se moque-t-il d'une célébrité ? Selon Nathalie Crom dans Télérama, malgré les dénégations de l’auteur, le portrait de Naipaul se cacherait derrière le personnage de Mamoon. Rechercher des indices m’aurait fait plus apprécier les pointes de ce roman. Il reste cependant l'ironie savoureuse avec laquelle Kureishi traite la société contemporaine.

Avec la hausse de la précarité - la baisse du nombre d'emplois, la diminution du montant des retraites, la réduction de la sécurité sociale -, les gens voyaient leur qualité de vie se dégrader. Le système de protection mis en place après guerre, celui avec lequel Harry et sa famille avaient vécu, appartenait au passé. Mais, quand il regardait ce paysage, Harry avait l'impression que le gouvernement avait délibérément choisi d'inoculer au corps politique le virus de l'angoisse à haute dose puisqu'il ne voyait là qu'une Angleterre verdoyante et plaisante s'étendre à perte de vue : de robustes troupeaux, des champs impeccables, des arbres parfaitement taillés, des ruisseaux abondants, le ciel étincelant du début du printemps. On pouvait même croire qu'il n'y avait pas un seul restaurant indien à des kilomètres à la ronde.

p. 8



Christine Marcandier dans Diacritik