Oreiller d'herbes

Natsume Sōseki, trad. du japonais par René de Ceccatty et Ryōji Nakamura, Oreiller d’herbes. Rivages poche, 1987.
natsume sooseki

Sōseki en 1906, l'année de publication de ce roman wikimedia commons


Mon crayon, qui était sans vie, s'est mis à bouger graduellement et, profitant de ce mouvement, j'ai réussi, au bout de vingt ou trente minutes, à composer […] six vers.

p. 108

Poète et peintre, le narrateur échappe à la ville pour tenter de trouver le sens de la beauté. Cette échappée au cœur du Japon rural du XXe siècle naissant mêle les sources de l'inspiration littéraire nippone et occidentale.

Né à la veille de la restauration Meiji, Sōseki est pleinement lié à cette ère de brusque transition du Japon. Ce texte, parfois sous-titré Le voyage poétique, est à la frontière de deux cultures. Spécialisé en littérature anglaise, l'auteur, après un séjour de trois ans en Angleterre, enseigne à l'Université de Tōkyō avant de pouvoir vivre de l'écriture.

[…] si on doit peindre un paysage japonais, il nous faut rendre la couleur et l'air propres au Japon. On aura beau admirer la peinture française, on ne pourra pas en copier la couleur en disant : « Voilà un paysage japonais ». Il faut tout de même avoir un contact direct avec la nature et observer, du matin au soir, les nuances de la nature et du climat, et quand on se dit que l'on tient enfin la couleur, il faut alors se précipiter vers son tabouret. Une couleur ne dure qu'un moment. Si on laisse l'occasion s'échapper, on ne retrouvera pas facilement cette même couleur. La crête de la chaîne que je viens d'observer est riche de couleurs splendides que je ne pourrai plus jamais contempler. Il serait dommage d'être venu jusqu'ici pour la manquer.

p. 188

Lorsque le narrateur s'engage sur le sentier de montagne, il croit s'extraire du monde moderne qui déshumanise et pénétrer celui d'une pure beauté qu'il pourra mettre en haïkus ou en images. La nature le transporte certes, mais la légende autour de l'étrange Nami déclenche un élan romantique qu'il traduit en vers d'inspiration occidentale. Les nombreux cheminements, qui l'emmènent à un surplomb, dont on ne sait “lequel est le principal : ce sont tous des chemins et en même temps aucun n'est un chemin” permettent la créativité personnelle. À l'inverse du train, dont Sōseki écrit qu'il est représentatif de la civilisation du XXe s., dans lequel “les passagers qui s'y sont entassés vont tous à la même vitesse vers la même destination, ils s'y arrêtent, après avoir eu le privilège d'être enveloppés de fumée.”
Ce chevauchement de deux mondes antagonistes – et la recherche de sens qu'il implique – évoque le roman graphique de Catherine Meurisse La jeune femme et la mer dans lequel la dessinatrice rencontre précisément des personnages librement inspirés de Sōseki.

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