Au cœur du Yamato
Mitsuba, Zakuro, Tonbo, Tsukushi et Yamabuki
Je repense à cette légende de l'empereur Jinmu. Yamato est le cœur de l'histoire du Japon. Sa cour impériale se tenait dans la cuvette de Nara. Je me répète: «Nara, Yamato, Akizu-shima, Akitsu, Tonbo, Japon...» Ma fille a choisi le mot tonbo [libellule] pour mon juku [cours privé]. Elle n'avait que trois ans. Elle ne savait évidemment pas que ce mot avait des ramifications aussi profondes, plongeant jusqu'à cette époque mythique.
Tonbo – p. 65
Aki Shimazaki affectionne les pentalogies. Par de brefs romans, elle aborde un aspect sociétal par différents angles. Alors que Le poids des secrets était élaboré sur les ruines de Hiroshima et de Nagasaki, le lien avec les Etats-Unis parcourt Au cœur du Yamato. En se référant au nom de la première dynastie, établie dans la région de Nara, l'autrice ancre son récit dans la tradition et accentue les effets ambigus de l'influence américaine sur l'Archipel.

Engagés dans la lutte contre le communisme par le vainqueur de la Seconde guerre mondiale, le Japon s'est montré si bon élève qu'il a menacé la suprématie étasunienne en devenant deuxième puissance économique mondiale. Shimazaki mentionne dans ces romans les accords avec les Etats-Unis sur la rétrocession d'Okinawa au Japon (1971) qui ont contraint le gouvernement nippon à rééquilibrer ses exportations de textiles en faveur des États-Unis. Les protagonistes de cette pentalogie étant tous plus ou moins liés à Goshima, une entreprise d'import-export, cette mesure n'est pas sans conséquence. Elle préfigure le recul de l'économie japonaise – la décennie 1990 perdue –.
Tsuyoshi Toda, chef du département des affaires étrangères chez Goshima, est un des innombrables acteurs de la reconstruction du Japon après la défaite. En consacrant sa vie à l'entreprise, il participe à perpétuer la grandeur du Japon et de ses valeurs. La bienveillance qu'il manifeste à ses subordonnés fait partie de cette étiquette. La culture des traditions également : il utilise sans scrupules l'éducation de son épouse aux arts domestiques dans l'exercice de son travail.— Oui. Ayant connu toutes les amertumes de la guerre, nous avions à cœur l'avenir du Japon. À l'étranger, on vendait avec une réelle frénésie des produits japonais. Je me sentais comme si j'avais été à nouveau envoyé au front. Mais cette fois, c'était une guerre commerciale.
Mitsuba – p. 114

Asuka, Yamato – Tachibana-dera
Pour le successeur de Toda, les considérations économiques priment et les employés de Goshima n'ont plus le même considération pour leur entreprise, bien que l'attachement au Yamato perdure. Shimazaki nous rend spectateurs de cette évolution qui impacte fortement la société. La cohésion, voire la soumission au pouvoir, a conduit aux excès de la guerre, mais ont ensuite permis la résurgence du Japon. Cette ambivalence s'observe également envers les Etats-Unis, pays ennemi ou allié selon le contexte.L'abandon d'une fidélité absolue – telle que vécue par le couple Toda – fait place à des valeurs plus individuelles. Pourtant, semble nous dire Shimazaki, cette évolution ne mène pas à l'effondrement de la civilisation japonaise malgré les turbulences qui l'accompagnent. Toutefois il lui apparaît important de faire connaître les diverses facettes de l'histoire, sans en occulter les pages les plus sombres comme l'ont fait par exemple Ishida Ira dans son Enfant phoenix, Mizuki Shigeru dans son autobiographie ou la mangaka Kyō Machiko avec Cocon.À la une du journal, on relate la rencontre entre le premier ministre Satō et le président Nixon. Il s'agit de la réduction de nos exportations de produits textiles : laine et fibres synthétiques. Les deux pays se sont enfin entendus pour rouvrir les négociations sur cette question, qui étaient restées en suspens depuis plus d'un an. Nixon force à reprendre les négociations parce que c'est sa promesse électorale la plus importante.
Je travaille dans une grande compagnie d'import-export. Le volume d'exportation de ces produits n'est pas négligeable et je m'inquiète des conséquences politiques et économiques qui pourraient survenir si le Japon cédait à la demande des États-Unis.Zakuro – p. 8
— Vous n'avez pas appris à l'école l'histoire des soldats japonais qui ont été envoyés aux camps de travaux forcés ?
Elle répond sèchement :
— Non, pas du tout.
— C'est incroyable! Voilà pourquoi les gens de la nouvelle génération sont si ignorants.
Elle est fâchée.
— Ce n'est pas de notre faute, monsieur ! C'est à cause des gens de votre génération qui ont rédigé les manuels scolaires. Maintenant, l'histoire ne sert à rien, car tout ce qu'on apprend n'est que mensonge.Zakuro – p. 78
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