La révolution du plaisir

Shereen El Feki, La révolution du plaisir : enquête sur la sexualité dans le monde arabe, traduit de l'anglais par Samuel Sfez, Autrement 2014

Quelles sont les conséquences des soulèvements populaires dans le monde arabe sur l’émancipation des femmes et l’évolution des mœurs ? Scientifique au Canada, l'auteure a rencontré des hommes et des femmes pour aborder cette question.
Shireen El Beki, docteur en immunologie, a une ascendance égyptienne et galloise et été éduquée au Canada. Vice-présidente de la Commission mondiale sur le VIH et les droits à l’ONU de 2010 à 2012, elle est particulièrement concernée par la problématique de la santé sexuelle et reproductive.
Pour son ouvrage, elle a parcouru le monde arabe du Maroc au Liban. Elle témoigne des expériences de femmes et d’hommes et les complète par les constats de spécialistes et de quelques statistiques disponibles.
C’est lorsqu’elle traite du vécu de ceux qui osent être différents qu’on mesure la distance entre notre perception “occidentale” et les aspirations de femmes, voire d’hommes pour lesquels le contexte social, et pas seulement religieux, est différent.

[…] pour tout sujet de honte touchant à la famille, qu'il s'agisse de violence conjugale, de viol, d'inceste ou de n'importe quelle autre tragédie individuelle : l'immense majorité des femmes souffre en silence, comme me l'a confié le directeur d'un centre pour femmes battues situé au Caire, et il en sera ainsi jusqu'à ce que le prix de prendre la parole cesse d'être plus élevé que celui du silence.

p. 201


« Nos liens familiaux sont bien plus forts [qu'en Occident]. Ce n'est pas parce que nous aimons plus notre famille qu'un Américain, mais parce que c'est notre famille qui nous soutient, pas l'État. L'État ne me donnera pas d'argent si je n'ai pas de travail; l'État ne me protégera pas si quelqu'un me frappe dans la rue. La police, tu les appelles et ils arrivent deux heures plus tard, dit-elle. Nous n'avons pas la sécurité que quelqu'un ressentirait en Grande-Bretagne, par exemple, à savoir que quelqu'un nous protège. Ou en France, si tu ne travailles pas pendant quelques mois, l'État est là pour toi - tu existes en tant qu'individu dans l'État.Nous n'avons pas ça ici parce que nous existons en tant que fils, fille, épouse ou mari de quelqu'un. C'est ainsi que nous existons. Pour le gouvernement libanais, je n'existe pas en tant qu'individu Nadine. Je suis enregistrée avec mon père. Quand je me marie, ils m'enregistrent avec mon mari. Qu'est-ce que ça veut dire pour moi, exister dans ce pays et dépendre de l'État pour aller contre ma famille ? » La remarque de Nadine est très juste : difficile d'affirmer une identité sexuelle quelle qu'elle soit quand on n'a déjà pas d'identité individuelle. En pratique, cela signifie que les décisions sont essentiellement prises par la famille, ce qui rend encore plus difficile d'aller à l'encontre de la norme.

p. 261-262


Comme beaucoup de ses semblables, Moumneh est fermement opposée à la « politique de l'identité », qui consisterait, dans ce cas, à se rallier au drapeau arc-en-ciel ou à revendiquer des droits spécifiques pour les LGBT. Comme elle le fait remarquer, la situation que connaissent les groupes dont la sexualité sort de la norme ne représente qu'une partie du spectre de l'exclusion, bien qu'elle se situe à la marge. « Je ne suis pas très à l'aise avec ce discours sur la double vie gay. Ça va bien plus loin que ça. Même si vous êtes hétérosexuel, dans la plupart des cas, vous devez mener une sorte de double vie. Séparer les gays en disant qu'ils doivent se cacher, c'est ignorer le tableau d'ensemble, le tissu social et ce que tout le monde doit affronter pour naviguer entre ses désirs personnels, la tradition et les engagements familiaux, je suis sûre que vous l'avez constaté parmi les jeunes [célibataires] en Égypte. Tout le monde est confronté à ça. »

p. 268


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