Au temps de ma colère

En analysant, après plus de vingt ans, ce texte écrit avec la fougue de la jeunesse, l'auteur met en balance aspirations personnelles et attentes sociétales.
... car je vois, autour de moi, une réalité de la consommation devenue sans issue, il écrit; il y avait la forêt, mais la forêt n'est plus; il y avait la montagne, mais les gamins, ici, s'en moquent; pour eux, il n'y a pas d'extérieur, pas de dehors à ce monde des signes dans lequel ils grandissent ; ils vivent dans les images des films que leurs parents leur ont montrés ; dans la bulle de mille références; ils sont pris dans cet enclos de la ville; et quand ils se révoltent, ce sont des jeux de scène […] parce qu'ici, il écrit, dans cet hypercentre, là où mes parents ont décidé de me déménager, la vie est engloutie par ses représentations; autour de moi, on ne conteste plus le réel, mais son image; en somme, il écrit, la critique du capitalisme est devenue une critique de cinéma;
p. 53
Un texte vibrant dans sa forme déjà. Camille de Toledo développe son essai par touches rapides, ponctuées de points-virgules qui paraissent plus des précisions que des assertions. Il prend aussi de la distance avec le tranchant du texte de naguère : il en désigne l'auteur par l'enfant, à la troisième personne auquel répond le je du présent. Visuellement, l'écrivain oppose également le texte ancien, compact, aux réflexions actuelles, en italiques, dispersées sur la page comme des notes en cours d'élaboration.
La colère adolescente pointait les contradictions du modèle parental qui, croyant s'être libéré du carcan de la société en 1968, reproduisait une société élitaire. Une illusion semblable a suivi la chute de l'Union soviétique; l'antagonisme des blocs s'est reconstitué sous une autre forme tout en affaiblissant, voire annihilant, les forces de résistance au capitalisme.
LA DISSONANCE COGNITIVE
qui peine, qui épuise
avec encore
le rêve, d'un côté,
celui de tout transformer,
et la réalité...p. 126
La reprise d'un livre de jeunesse nécessite de distinguer la trame, pérenne, des actualités dont beaucoup perdent rapidement de leur pertinence. Débarrassé de ses scories le texte révèle son ossature. En tirant ce fil, à la manière de Thésée, Camille de Toledo en vient à distinguer l'essentiel, une forme de réconciliation avec soi, qui permet d'être davantage résilient dans un monde parfois désespérant.
Bien que les années modulent le cours de nos vies, la trame de nos existences reste profondément marquée de nos expériences et de celles de notre ascendance, notamment lorsque la fidélité à la classe est rompue.
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À propos d’Au temps de ma colère par Camille de Toledo
Marco Dogliotti pour Le Temps