Changer : méthode

Louis Edouard, Changer : méthode, Paris, Seuil, 2021.

Il serait tentant de considérer ce texte d'Edouard Louis comme une nième version de son autobiographie. Chacun de ses récits revient sur sa volonté «de fuir [son] enfance plus que tout» pourtant, comme l'oignon que l'on pèle, chaque ouvrage a une tonalité plus puissante. Loin de la rugosité d'En finir avec Eddy Bellegueule, Changer : méthode est riche de nuances et d'introspection.

Il a fallu que je m'éloigne du passé pour le comprendre, et si je voulais rédiger une autobiographie chronologique alors il faudrait commencer d'abord par Amiens et ne raconter le village qu'ensuite, parce qu'il m'a fallu arriver au lycée pour vraiment voir mon enfance.

p. 49


Et si cette obsession de transgresser la barrière des classes n'était qu'impudence et son exposition littéraire que forfanterie ?
La chronologie impossible de ces transformations en révèle non seulement les ressorts mais aussi le prix et les déconvenues. En s’émerveillant de somptueux univers auxquels il accède, l'auteur dévoile une certaine candeur.
Il se met littéralement à nu pour parvenir à côtoyer le luxe : pour échapper aux blessures d'une enfance abimée par un système qui perpétue, par indolence, l'écrasement des plus faibles, Edouard Louis accepte la honte de livrer son corps. Le prix de cette métamorphose se trouve dans l'écart entre violence subie et abandon de l'intimité. Parce que ce parcours de transfuge rappelle celui de son mentor Didier Eribon, près de quarante ans auparavant, retracé dans Retour à Reims, la dénonciation de victimisation et les soupçons d'imposture sont fréquents. Cette polémique nourrit peut-être le succès éditorial, elle détourne surtout de la problématique d'une société fracturée, figée dans ses représentations.

J’avais échoué à être le fils que tu avais voulu avoir, j'avais échoué à correspondre aux attentes du village, j'avais échoué avec Romain, j'échouais partout et il fallait trouver un type d'existence dans lequel un corps et une histoire comme les miens auraient été possibles, c'est tout.

p. 56-57

Le harcèlement vécu par un Eddy Bellegueule qui ne correspond pas aux critères de la masculinité virile est le moteur de son ascension. Davantage que dans ses textes précédents, notamment ceux de l'hommage au père et de la reconnaissance de la mère, l'auteur souligne l'importance de l'écoute et de l'encouragement dans ses transformations. Sans la bienveillance de ces femmes et la complicité de ces hommes, cette ascension n'aurait pas été possible. Louis les considère comme des occasions offertes pour atteindre ses objectifs et confesse que, dans son obsession de fuir son milieu, il s'est montré méprisant pour celles et ceux qui ont cru en sa capacité de progresser. Une arrogance peut-être nécessaire pour se convaincre de sa légitimité. Il utilise divers artifices pour se repentir de sa morgue, notamment le dialogue fictif.

En fait, pour la première fois j'intériorisais le rythme de ce silence dans mon corps, tous les jours, sa nécessité. Il devenait une partie de moi et de mon rythme biologique, c'est ce rythme que je n'avais jamais expérimenté parce que ce silence n'avait jamais existé à la maison.

p. 97

Dans cette version ajustée de son autobiographie, il montre le revers de cette ascension : l'éloignement de ceux qui lui ont offert les clés d'un monde convoité. À cet égard, Elena figure au centre de ce récit; c'est grâce à elle et à sa mère que l'auteur découvre les implicites de classe. Cette révélation l'incite à s'engager comme le fait l'acteur dans un rôle; il le fait si résolument qu'il va jusqu'à transformer son corps pour le conformer aux normes sociales. La forme la plus manifeste de cet excès est l'exploitation de sa sexualité pour assouvir son ambition.

Est-ce que je suis arrogant en posant cette question ? Non je ne le suis pas, parce que je ne crois pas à la supériorité de ceux qui changent sur ceux qui ne changent pas, à ce moment-là oui, mais plus aujourd'hui, j'essaie de comprendre.

p. 235

Ses détracteurs lui reprochent de faire de son itinéraire personnel une expérience sociologique et d'utiliser abusivement ses réseaux pour attirer la lumière médiatique. L'exposition de sa réussite pourrait être considérée comme pure vanité s'il taisait une certaine futilité de sa démarche. Sa renommée lui permet une sécurité matérielle, pas négligeable quand on a vécu dans la crainte des fins de mois, mais ne lui a-t-elle pas coûté les amitiés les plus précieuses ? Cette réflexion, de nature identitaire, qui parcourt tout le livre en est son indiscutable force.

Le site de l'éditeur
Julien Burri pour Le Temps
Critiques pour Le masque et la plume de France-Inter
Raphaëlle Leyris pour Le Monde
Cécile Dutheil de la Rochère pour en attendant Nadeau

Quelques articles de presse consacré à Edouard Louis :
Le Courrier picard après la publication d'En finir avec Eddy Bellegueule
M le magazine du Monde – Edouard Louis : la vie avec ses frères d’armes et d’esprit
Opinion de Geoffroy de Lagasnerie dans Mediapart – Tout est-il permis contre Edouard Louis ?
Opinion de Gabriel Vargas dans Chronik – Contre Édouard Louis, ils crient au déni de Bellegueule