Les routes de la soif
L'Amou-Daria au Karakalpakstan
Gras Cédric. Les routes de la soif , voyage aux sources de la mer d’Aral. Stock, 2025Ecrivain voyageur, Cédric Gras, parcourt les républiques enclavées de l'Asie centrale, ces pays qui se déclinent en –stan, autrefois soviétiques. À la recherche du principal contributeur de la Mer d'Aral, un lac en voie de disparition, écrits d'Ella Maillart sous le bras, il parcourt Ouzbékistan, Turkménistan et Tadjikistan, près de 30 ans après Tiziano Terzani. Ses vignettes révèlent la persistance de l'héritage soviétique…
Nos parents empruntaient la voie des Indes pour rejoindre l'Orient et il nous échoit de défricher ces républiques longtemps interdites, atteints de quelque chose comme le syndrome de Marco Polo. Aller vers le Levant n'est autre que le voyage originel, celui qui repoussa les limites du monde connu bien avant la découverte de l'Amérique. Les visiteurs ouzbeks, eux, semblent surtout chercher dans les échafaudages et les coups de truelle leurs racines turques et leurs fondements perses. On reconstruit selon un récit national débarrassé de l'hégémonie russe et du joug socialiste. On digère une géographie arbitraire et une histoire tyrannique.
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Les bassins versants de l'Amou Daria et du Syr Daria – août 2017
Un héritage lourd de conséquences pour une population habituée à se taire pour éviter les conséquences d'une parole critique. Un legs irréparable pour l'environnement et la Mer d'Aral en particulier. Un constat qui incite à la modestie : n'est pas démiurge qui veut. Les grands projets d'irrigation de ces vastes espaces a certes permis une intensification de la riziculture et de la production de coton, mais surtout à dilapider l'eau des fleuves et à concentrer la pollution.Les abysses de l'Aral sont mornes. Le moindre moutonnement nuageux confère au ciel plus de relief qu'à la terre. Un monde éclaboussé de lumière, aride à l'infini. Difficile d'imaginer qu'il a été un jour le domaine des poissons et des coquillages. Si l'homme a toujours vécu dans un paysage éternel à l'échelle de sa courte vie, l'environnement s'altère désormais de père en fille. La planète vit ses métamorphoses au galop. La mer d'Aral a initié son reflux dans les années 1960, autant dire hier. Aujourd'hui les Ouzbeks disent Aralkum : « le désert d'Aral ».
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Bien que se défendant s'avoir mener une politique coloniale, la Russie a créé les conditions d'une dépendance économique de ces républiques. La crainte d'une déferlante islamiste sur ces territoires s'est avérée infondée, même si l'islam a gagné en importance. Les régimes autoritaires cupides qui ont pris le relais, selon les observations de Cédric Gras, ne représentent pas une alternative plus engageante.
[…] sous l'URSS l'Asie centrale formait un tout où les déficits respectifs étaient compensés par l'abondance collective des républiques. La première engendrait un fleuve, la deuxième était gorgée de pastèques et une troisième forait du gaz. C'était le communisme, on troquait à l'échelle continentale. Depuis les indépendances, l'équation a changé. Chacun s'efforce maintenant de monnayer aux autres ses avantages. Personne ne payant pour le débit hydrique, le Tadjikistan a décidé de le convertir en énergie. Ce faisant, il modifie le régime du fleuve et ses cycles […]
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Céline Develay Mazurelle pour RFI