Cyberpunk

Illustration de l'article Cyberpunk

Mhalla Asma. Cyberpunk : le nouveau système totalitaire. Editions du Seuil, 2025

Désignant un courant de la science-fiction, l'univers cyberpunk est volontiers dystopique et pessimiste (No Future !), il décrit pourtant un futur proche hypertechnologique qui ressemble étrangement à notre présent.
Que le présent ait rattrapé cet univers anxiogène est le plus déstabilisant. Comment ne pas se laisser submerger par le flôt qui fragilise le socle des démocraties ? Comment ne pas le subir en état de sidération ?

Si la référence à l'univers cyberpunk m'est venue pour éclairer notre époque, c'est parce que ce nouveau totalitarisme que je pressens ne se laisse pas approcher par le passé. Il faut saisir ce qu'il y a de nouveau dans ce qui est train de naître, aucune comparaison historique stricte ne tenant vraiment la route.
Pour notre époque, l'équation à résoudre est de nature technopolitique. Elle s'articule autour de l'alliance BigTech-BigState.

p. 19


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U._S._Government_Printing_Office



U. S. Government Printing Office, 1943

Le parallèle avec la montée du nazisme n'est que partiellement opérant tant les outils de la propagande différent de ceux du siècle dernier. Les propagateurs de l'idéologie totalitaire et leurs supporters souhaitaient davantage conserver leurs privilèges qu'échapper à la réalité d'un monde fini. Alors que perpétuer le monde ancien passait par le recul des frontières et la conquête d'un Lebensraum, il s'agit aujourd'hui d'un dépassement disruptif passant par la colonisation de l'espace ou l'établissement d'une transhumanité.
En abordant la situation géopolitique sous l'angle de la culture cyberpunk, Asmaa Mhalla montre l'ambiguïté d'un discours performatif, que ce soit la réalisation d'un Reich de 1000 ans ou du Make America Great Again. La répétition ad nauseam de ce mantra pervertit la facilité de penser, relativement, librement qui était le privilège des citoyens des démocraties.

Nous nous trouvons suspendus entre passé et futur, entre nationalisme des années 1930, valeurs conservatrices des années 1950 et projection prospective d'une civilisation nouvelle, augmentée, sous contrôle cognitif.
Curieux rétrofuturisme, que marque le puissant slogan « Make America Great Again », et qui promet le retour d'un mythique âge d'or du passé tout en travaillant de façon compulsive à l'accélération du chaos, rendu possible par les hypertechnologies, pour imposer un ordre nouveau. Schizophrénie du système qui disjoncte sans antichoc à portée de main.

p. 26

C'est le paradoxe des États-Unis d'Amérique, étendard des républiques libérales, pays de toutes les libertés, à la fois moralisateurs et sans tabous, de prétendre à une liberté d'expression sans retenue et dénonçant toute critique de sa politique. L'insulte et le mensonge sur un réseau social ont désormais plus de valeur qu'une étude scientifique ou une enquête journalistique fouillée. Cette dissonance rend fou. En annihilant la pensée, elle permet aux quelques bénéficiaires de la prédation de s'enrichir et oblige les anonymes à se soumettre.

Le fascisme-simulacre ne détruit pas les institutions, il les dévitalise. Il ne réprime pas directement, il abaisse les seuils de résistance, et d'abord les seuils moraux. Ce ne sont pas tant que les États-Unis ne seraient plus une démocratie, c'est plutôt l'idée - plus intéressante - qu'être ou ne pas être en démocratie n'a plus aucune importance. Au moment de sa prise de pouvoir, le fascisme postmoderne est un autoritarisme sans dictature.

p. 92

L'essayiste franco-tunisienne, dans son désir d'être au plus près de l'actualité semble avoir revu son texte jusqu'à l'ultime délai éditorial. Chaque jour un décret trumpien ajoute à l'invraisemblable, créant ainsi les conditions favorables à une précarité désorganisatrice de l'ordre politique et rendant possible l'instauration d'un espace dérégulé en faveur de celles et ceux qui vivent dans l'abstraction d'une richesse sans mesure. La confiscation de l'espace médiatique par le PLUS GRAND PRÉSIDENT DE TOUS LES TEMPS fait toutefois oublier la montée en puissance de régimes autoritaires, trop heureux d'avancer dans l'ombre de ce mégalomane.


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Eric Guevara-Frey pour RTS Tout un monde