Les Passeurs de livres

Minoui Delphine, Les Passeurs de livres de Daraya : une bibliothèque secrète en Syrie. Paris, Seuil, 2017.

Le récit de la journaliste franco-iranienne est un hommage à des hommes qui refusent avec détermination l'asservissement à la pensée unique.
En résistant au régime des Assad, les habitantes et les habitants de Daraya ont tenté de réaliser le rêve des Printemps arabes : une société plus libérale, voire même démocratique.

Delphine Minori, par ce récit, éclaire une facette du travail de journaliste. Elle indique clairement que ces entretiens ont été conduits à distance depuis Istanbul faute de pouvoir accéder en Syrie et a fortiori dans cette zone en état de siège. Une mise à l'écart qui asphyxie la population de Daraya et donne un pouvoir démesuré à la propagande officielle.
En maintenant ouvert quelques rares canaux de communication, l'Internet permet cependant de conserver un lien avec l'extérieur. Ce flux fragile peine à s'imposer dans l'agitation qui secoue le monde. Qu'un événement tragique survienne et le sort de cette communauté en péril est occulté.
La constitution d'une bibliothèque à l'aide de volumes sauvés des gravats revêt une importance symbolique. Les livres réunis sont tangibles et leur diversité invite à la nuance même s'ils n'ont pas tous un intérêt probant ou une certaine popularité.
L'ouverture qu'ils permettent contraste avec les ouvrages partiaux en vigueur dans les écoles syriennes et avec l'intransigeance des mouvements islamistes. Ce monde en nuances auquel les interlocuteurs de Delphine Minoui aimeraient croire ne résiste pourtant pas à la géostratégie. Assad et ses alliés russes ou iraniens réussissent à imposer une lecture binaire de la situation : ou lui ou l'Etat islamique. Alors que les insurgés de Daraya considèrent ces deux voies pour ce qu'elles sont : la dictature.
À la naissance de leur opposition au Raïs, ils envisageaient le «modèle turc» comme un but. C'était sans compter sur l'évolution donnée par Erdogan, probablement encouragé par une forme de validation internationale des régimes autoritaires notamment syrien et égyptien.

À Daraya, le régime s'est évertué à effacer toute trace positive et intellectuelle de la révolution. Pour Assad, un homme cultivé et éduqué est un homme dangereux, parce qu'il représente un défi à l'ordre établi. Mais j'ai l'impression de ressortir grandi de cette tragédie. Jamais je ne me suis senti aussi libre, porteur d'une mémoire que personne ne pourra m'arracher.

Ahmad Moudjahed
p. 144

En poursuivant son récit malgré l'échec de ces actes de résistance, la journaliste témoigne de l'importance de la nuance. En reconnaissant le courage de ces jeunes hommes à lutter pour un avenir plus ouvert, elle milite également pour un journalisme éclairé qui dépasse l'instantané de l'actualité.
De la même veine, la série Désordres extraordinaires sur le travail de correspondante de guerre de Sophie Nivelle-Cardinale en Syrie permet de comprendre les choix éditoriaux qui dictent les fils de l'actualité.

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