L'incolore Tsukuru Tazaki…

Murakami Haruki. L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage. 10/18 – Belfond, 2014.


Le roman est rythmé par Le Mal du Pays, une des pièces des Années de pèlerinage – La Suisse, de Liszt.

Tsukuru ne possédait personnellement rien dont il aurait pu s'enorgueillir. Aucun signe distinctif qui aurait dénoté un trait saillant de personnalité, Du moins le ressentait-il ainsi. Il était moyen en tout.En somme, Il manquait de couleur.

p. 19

La trame de ce roman correspond à un récit de formation. Non seulement, il remonte à l'adolescence du personnage principal, mais il relève la construction identitaire de Tsukuru. Le jeune Tazaki a le privilège de passer ses années de lycée avec un groupe d'amis très attentifs les uns aux autres et engagés dans la vie sociale. Lorsqu'il s'installe à Tokyo pour poursuivre ses études, il est subitement rejeté de ce cercle. Il échafaude un certain nombre d'hypothèses pour comprendre cette exclusion. Alors que le nom de tous ses camarades a un lien avec une teinte, le sien ne fait que référence à l'accomplissement. Il se convainc de son insignifiance.

– Depuis toujours je me suis ressenti comme un être vide, qui manquait de couleur et de personnalité. Voilà peut-être le rôle que je jouais dans le groupe. Celui qui était vide.
[…]
– il suffisait que tu sois là pour que, tous, nous soyons nous-mêmes, naturellement. Tu ne parlais pas beaucoup mais tu étais présent, les deux pieds bien plantés sur le sol, et tu apportais au groupe quelque chose comme un sentiment de stabilité et de calme.

p. 169

Dans cette période sombre, il s'investit dans ses études puis lorsque ses tourments s'apaisent, il se consacre pleinement à sa profession d'architecte spécialisé dans les gares. Ses relations restent insatisfaisantes, entravées par son expérience passée.
Ni l''introspection onirique, ni l'échange ne lui permettent de sortir de sa paralysie. Ce n'est que lorsque Sara, pour lequel il éprouve une profonde attirance, lui intime l'ordre de rechercher la vérité qu'il peut découvrir que, comme le jeu du pianiste, la vie est faite de nuances que les autres perçoivent avec leur sensibilité. Comme dans d'autres romans d'apprentissage, les questions existentielles apparaissent sous une trame narrative quelque peu candide.

André Clavel pour Le Temps
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