Le titre de cet ouvrage est énigmatique, même si l'auteur semble revendiquer cette traduction du titre original "Unverfügbarkeit". Les relations entre disponibilité et indisponibilité sont, de l'aveu même de Rosa, tâtonnantes et abstraites (p. 75) mais ses nombreux exemples permettent de s'approprier ces notions et d'éclairer notre usage du monde. À cet égard, en écrivant “On croit qu'on va faire un voyage, mais c'est bientôt le voyage qui vous fait, ou vous défait. (L'usage du monde, p. 12), Bouvier évoque précisément ce caractère d'indisponibilité du monde et, en particulier, du voyage.
Hartmut Rosa met en opposition la sophistication du monde moderne et ses contingences. Ce haut degré de technicité, peut-être inhérent au capitalisme, tend à nous éloigner d'un monde que, paradoxalement, l'humanité n'a jamais mieux connu. Ce savoir n'est pas libérateur car il nous incite à adopter en toutes circonstances les comportements adéquats : bien se nourrir, bien dormir,... même si ces choix n'ont rien d'une évidence. La pandémie de SARS-CoV-2 est emblématique des difficultés à accorder les besoins individuels et les mesures collectives dans un contexte d'incertitude.

La modernité […] est culturellement portée et structurellement poussée, de par sa constitution institutionnelle, à rendre le monde à tout point de vue calculable, maîtrisable, prévisible, disponible : par la connaissance scientifique, la maîtrise technique, le pilotage politique, l'efficacité économique, etc. Mais la résonance, elle, ne se laisse pas rendre disponible : là réside la grande source d'agacement constitutif de cette formation sociale, sa contradiction fondamentale, ce qui produit, dans des variantes toujours nouvelles, des citoyens en colère.

p. 50-51

Cilaos, La Réunion

En décortiquant les mécanismes à l'œuvre dans l'économie touristique et en mettant en évidence l'écart entre une découverte ressourçante d'un inconnu et le besoin de sécurité, l'auteur illustre la difficulté à trouver de la résonance dans un monde prévisible. La possibilité d'accéder à certaines expériences ne garantit pas la survenue de l'étincelle qui nous fera vibrer.
En pointant une contradiction fondamentale de la modernité, Hartmut Rosa paraît très pessimiste : ce constat est une “étape [qui] peut-être susceptible d'éclairer les problèmes aussi bien politiques que personnels de notre quotidien, de même que les combats intérieurs et extérieurs que nous menons chaque jour” (p. 141). Il illustre les tiraillements de la société et la nature des choix qui sont proposés. La nature du rapport scientifique et économique au monde interfère aux relations de résonance. Comme le relève Frederico Lyra de Carvalho dans une critique, Rosa “se situe du point de vue des sociétés européennes développées” ce qui en oriente la portée. Cet essai semble un addendum au texte plus abouti consacré à la résonance, un «work in progress». Cependant les situations concrètes relatives aux étapes-clés de la vie, sont très éclairantes sur la condition de la femme et de l'homme de la modernité (occidentale) tardive; leur ancrage dans le contexte social et économique dans lequel je vis leur confère la capacité de me parler.

L'élément d’indisponibilité qui caractérise les relations de résonance exige […] que l’on s’engage dans des processus dont la survenue est incertaine et qui sont en outre ouverts sur le plan des résultats. En d’autres termes : on ne sait pas si la résonance se produira, et encore moins ce qu'il en ressortira. Cela, aucune entreprise, aucune administration ne peut se le permettre […]

p. 108

Le site de l'éditeur
Entretien avec Guillaume Erner sur France-Culture
Mark Hunyadi pour Le Temps
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Tags Essai, Livre, Société, Politique