histoire

La filière

Sands Philippe. La filière. Le Livre de poche, 2022


L'élimination des Juifs du territoire polonais a été particulièrement meurtrier. Hans Frank, gouverneur général, a été condamné à mort pour sa participation à ces meurtres. Philippe Sands, dans Retour à Lemberg, analyse sous l'angle du droit international la qualification de ce crime et le procès de Nuremberg. Son enquête l'a amené à faire la connaissance de Niklas Frank, le fils du «bourreau» qui l'a mis en relation avec Horst Wächter dont le père Otto a été épargné lors de ce procès. «La filière» retrace l'enquête à rebondissement de Sands pour percer le destin de la famille von Wächter.
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Herzl : une histoire européenne

de Toledo Camille et Alexander Pavlenko. Herzl : une histoire européenne. Denoël Graphic, 2018.

Qu'est-ce qui est le plus noble ? Renier ses origines, se fondre dans les nations, se convertir, oublier notre passé, ou au contraire œuvrer à éduquer ceux que des siècles de ghettos ont avilis ? Wilhelm Jensen a raison. Les portes du ghetto se sont ouvertes, mais il en reste une, invisible, qui se referme sur nous.

p. 226

En 1930, Albert Londres publie une enquête sur l'établissement des Juifs en Palestine. Il situe le cœur de la problématique dans l'espace entre les zones germaniques et russes. Si le journaliste anticipe la furie qui décimera les populations israélites c'est que, depuis 50 ans déjà, elles sont mises à rude épreuve subissant pogroms et autres infamies. L'auteur distingue clairement la position sociale des Juifs en France ou au Royaume-Uni et ceux des territoires de l'ancienne zone de résidence dans laquelle Catherine II de Russie les autorisa à s'établir.
Le roman graphique de Camille de Toledo et d'Alexander Pavlenko introduit habilement ce contexte historique pour justifier le rayonnement de celui dont Londres dit que “trois mille deux cent quarante-sept années après Moïse, il a succédé à Moïse”, Theodor Herzl.

Toledo Herzl

Le jeu de la misère et de de l'exil – p. 32

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Nickel Boys

Whitehead Colson. Nickel Boys. Le livre de poche. Albin Michel, 2020.

Le roman de Colson Whitehead est inspiré de faits qui se sont déroulés dans l'une des plus importantes maisons de correction des États-Unis, la Florida Industrial School for Boys, connue aussi sous son dernier nom de Arthur G. Dozier School for Boys. Les violences et les sévices qui ont pu s'y dérouler, pendant des décennies, disent davantage une époque où la contrainte, le redressement, était considéré comme un mode éducatif opérant. Le fonctionnement de cet établissement était également révélateur d'un racisme systémique.
Comme dans Underground Railroad, son précédent roman, Colson Whitehead utilise la diversité de ses personnages pour décrire une réalité multiple et sa perception différente selon le lieu d’où on l’observe. Cette agilité rend son récit captivant malgré la brutalité des faits.

En 1949, année de publication de la brochure, l'école fut rebaptisée en l'honneur de Trevor Nickel, un réformateur qui en avait assuré la direction quelques années plus tôt. Les garçons disaient que ce nom de «Nickel» était en fait une référence à à la pièce de monnaie, parce que leurs vies ne valaient même pas cinq cents, mais ce n'était qu'une légende. Parfois, quand vous passiez devant le portrait de Trevor Nickel dans le couloir, il fronçait les sourcils avec l'air de lire dans vos pensées. Ou plutôt, avec l'air de savoir que vous lisiez dans les siennes.

p. 98-99

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Autoportrait en noir et blanc

Williams Chatterton Thomas, Autoportrait en noir et blanc : désapprendre l’idée de race. Paris, Bernard Grasset, 2021.
autoportrait noir blanc grasset

Nous avons la responsabilité de ne pas oublier, certes, mais nous avons aussi le droit, et je crois même le devoir, de toujours nous réinventer.

p. 217

Deux expériences de vie pour exprimer la complexité de la « question raciale » ou plus généralement les défis d’une société plurielle. Le récit de Pitts à la découverte des identités Afropéennes est un texte de formation. Celui de Williams l’emmène vers la réflexion philosophique. L’auteur qui s'appuie sur son expérience familiale juge que la notion de race n'est pas plus pertinente comme construction sociale que comme donné biologique.

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Lilas rouge

Kaiser-Mühlecker Reinhard, Lilas rouge. Lagrasse, Verdier, 2021.
Traduction de Le Lay Olivier


Alors il avait jeté un regard par-dessus son épaule, et il avait aperçu le lilas d'un mauve pâle qui se dressait au bord d'un coin de verdure. Il fut saisi d'étonnement. En cette saison encore ? Peut-être les lilas étaient-ils encore en fleurs là-bas aussi, au pays ? Toutes choses y étaient en règle générale moins précoces. Mais là-bas, dans les parages de la ferme, ils étaient d'un rouge profond et soutenu, et leur blanc lui-même avait un éclat incomparable. À partir de cet instant, il s'était mis à songer à l'été. 

p. 351

La nature ordonne le récit de Kaiser-Mühlecker. La floraison des odorants lilas rythme un roman dans lequel la temporalité tient un rôle majeur. L'observation fine de l'environnement sert davantage de marqueur du temps qui passe que de particularité stylistique. L'intensité des sentiments et des ressentiments se mesure à l'avancement des récoltes. Lire la suite...

Le monde d'hier

Zweig Stefan, Le Monde d’hier, Souvenirs d'un Européen. Le livre de poche, Belfond 1993
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En livrant son autobiographie à la veille de son suicide Zweig révèle l'étendue de son désarroi devant la fureur nazie. Cette incertitude tranche avec une lucidité et une ouverture qui contribuèrent à ses succès éditoriaux.

Plus un homme d'Europe avait vécu en Européen, et plus durement il était châtié par le poing qui faisait voler l'Europe en éclats.

p. 327

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Deutsches Haus

Hess Annette. La maison allemande. Actes Sud 2019.

Dans son bureau, le procureur blond et ses collègues peaufinaient leurs réquisitoires. Les tasses à café sales s'accumulaient sur les piles de dossiers, les soucoupes débordaient de mégots de cigarettes. Derrière les fenêtres se dressait le gigantesque squelette de l'immeuble en construction. Des bâches claquaient au vent. Le chantier avait l'air abandonné, comme si les maîtres d'ouvrage avaient subitement manqué d'argent pour poursuivre les travaux.

p. 361-362

Francfort-sur-le-Main, décembre 1963. Dans le poumon financier en expansion de la République fédérale allemande, le procès dit d’Auschwitz est sur le point de débuter. Le moins que l’on puisse dire est que la tenue de ces audiences divise l'opinion publique. La majorité ne souhaite pas rouvrir cette page d'une histoire aussi récente que douloureuse, alors que les victimes attendent la reconnaissance des violences subies.
En évoquant un chantier suspendu, Annette Hess présente une Allemagne en attente d'un achèvement que seul la clarification du passé permettra. Cette maison allemande c'est aussi le Restaurant “Deutsches Haus” tenu par les parents d'Eva, le personnage central du roman. Lire la suite...

La race des orphelins

Lalo Oscar, La race des orphelins. Belfond, pointillés, 2020.

Le problème, c'est que le totalitarisme crée un homme de masse. La masse des Allemands et la masse des autres. Je suis une femme de masse. D'essentielle à ma naissance, je suis devenue superflue moins de deux ans plus tard. Mon scribe me dit que c'est ça la définition du totalitarisme: quand l'être humain devient superflu.

p. 73


Oscar_Lalo_auteur

S'enquérir d'éléments biographiques sur l'auteur Oscar Lalo réserve quelques surprises. Son site personnel nous invite à ne pas chercher qui il est, lui qui ne le sait pas lui-même, mais à lire ses livres car il y figure tout entier. Alors qu'aucune notice ne lui est consacrée, Wikipédia en propose un portrait devant une bibliothèque vide qui contraste avec les nombreuses références bibliographiques qu'il nous indique en lien avec ce deuxième roman.

Mon scribe s'est installé chez moi. Il a deux valises de livres. Il croit à la lecture pour ranimer ma mémoire. J'ai de quoi lire jusqu'à la fin de ma vie. Ça me rend heureuse. Même si le sujet de ses livres est plutôt sombre. Il dit que les livres sombres sont souvent lumineux. Il dit que la bibliothérapie et la luminothérapie c'est la même chose : une lampe frontale pour fouiller sa vie. Mais à la vitesse à laquelle je lis, il me faudra plusieurs vies. Ça tombe bien. J'ai envie d'en vivre plein d'autres.

p. 29

L'auteur aime à brouiller les pistes, lui qui assiste une femme de septante-sept ans dans sa naissance. Ce livre, mise en abyme d'une vie niée, est d'abord un dialogue. Lire la suite...

Thésée, sa vie nouvelle

de Toledo Camille, Thésée, sa vie nouvelle. Verdier 2020.

Le fil que déroule Camille de Toledo devait servir au tissage de la modernité. Fragilisé par les ruptures du XXe siècle, c'est d'une corde que Thésée s'est saisi. La corde avec laquelle son frère s'est pendu.

ce désir puissant d'assimilation des ancêtres
ou devrais-je dire d'effacement
pour
« donner sa vie à la France »
et
oublier les prières
et vois-tu, mon frère, cette ombre qui s'élance du fond des âges quand, pour survivre ou s’intégrer, il faut renoncer aux rituels qui nous liaient au monde ?
vois-tu le vide et l'errance qui naissent de ces liens effacés ?

p. 205-206

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Homo Deus

Harari Yuval Noah, Homo Deus, Albin Michel, 2017.

L'étude de l’histoire a pour but de desserrer l'emprise du passé. Elle nous permet de tourner la tête à notre guise, et de commencer à repérer des possibilités que nos ancêtres n'auraient su imaginer ou n'ont pas voulu que nous imaginions. En observant la chaîne accidentelle de événements qui nous ont conduits ici, nous comprenons comment nos pensées mêmes et nos rêves ont pris forme, et pouvons commencer à penser et à rêver différemment. Étudier l’histoire ne nous dira pas que choisir, mais cela nous offre au moins davantage d’options.

p. 73

Dans son best-seller Sapiens, Hariri brosse l'évolution de l'humanité dans une perspective macro historique. Il utilise ses talents de communicateur pour mettre en opposition les capacités de l'homme à s'organiser en sociétés toujours plus étendues et sa mémoire de comportements ancestraux. Parmi les multiples traces de stades antérieurs de l'évolution biologique et/ou de l'organisation sociale, il relève la tendance irrationnelle à se nourrir avec excès qui met même l'espèce en danger. Dans une écosphère, désormais étendue à la totalité du globe, ces atavismes participent aussi de la complexité du monde au même titre que les valeurs concurrentes que s'attribuent les hommes.
Dans ce deuxième volet Harari se veut prospectif. Il change de perspective pour se concentrer sur les axes de recherche et ce qu'ils disent des projets de l'homme pour son avenir. Son essai n'est pas un livre d'anticipation, mais adopte, dans une vision large, une approche davantage philosophique. L'auteur reprend maints éléments historiques de Sapiens qu'il réorganise de manière à dénouer les confusions qui mènent trop souvent à de vains débats.

Photo de Jan Antonin Kolar sur Unsplash

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Et mon cachot trembla…

Baldwin James, La prochaine fois, le feu. Préface de Christiane Taubira, Gallimard, 2018.

Tu es né là où tu es né et as été confronté avec l'ennemi avec lequel tu as été confronté parce que tu étais noir et pour cette seule raison. Ainsi avait-on fixé, et à jamais pensait-on, des bornes à ton ambition. Tu étais né dans une société qui affirmait avec une précision brutale et de toutes les façons possibles que tu étais une quantité humaine absolument négligeable. On n'attendait pas de toi que tu aspires à l'excellence. On attendait de toi que tu pactises avec la médiocrité.

p. 29

Les deux textes publiés en 1962 dans The Progressive et The New Yorker et édités sous le titre The Fire Next Time sont complémentaires. Au pied de la Croix convainc que l'éloquence de Et mon cachot trembla… n'est pas que feinte émotion.
Comme Chimamanda Ngozi Adichie, Baldwin choisit la forme de la correspondance pour traiter du racisme à l'occasion du centenaire de l’
Émancipation. Dans sa lettre à Ijeawele, l'autrice nigériane dénonce la même assignation des femmes à une condition déterminée, socialement inférieure. Écrits à plus de cinquante ans d'écart ces deux textes mettent en évidence les mécanismes d'exclusion et la difficulté de les renverser. 

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Souvenir de Pessoa

Frédéric Pajak,
Manifeste incertain 8 – Cartographie du souvenir. Noir sur blanc, 2019
Manifeste incertain 9 – Avec Pessoa,…. Noir sur blanc, 2020


Lorsque Frédéric Pajak présente le dernier volume de son Manifeste incertain, il semble éprouver une certaine nostalgie à refermer cette aventure éditoriale, rêvée sans fin. L'auteur et dessinateur évoque cependant d’autres formats pour poursuivre son besoin d'aller à la rencontre du public.

Contrairement peut-être aux apparences, mes mots écrits sont parcimonieux.
Je les arrache un à un avec difficulté. Rien ne coule de source. Je n’écris des mots que pour les imprimer: je garde peu, ne jette rien, ou presque. Je réécris. Publier, c’est donner — mais c’est aussi recevoir.
Publier, c'est un acte de bravoure aussi égoïste que généreux. Chaque mot publié met en danger tous les autres, comme dans le jeu du Mikado

p. 106 (vol. 8)


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Les années

Ernaux Annie, Les années, Gallimard Folio 2017.

Annie Hsiao-Ching Wang – The Mother as a Creator – Images Vevey

Le projet artistique de la taïwanaise Annie Wang, plongée conceptuelle dans l'aventure de la maternité, et l'autobiographie d'Annie Ernaux découverts la même semaine font partie de ces hasards qui illuminent.
Le récit d'Annie Ernaux nous entraine simultanément dans l'histoire d'une génération et le parcours intime de l'écrivaine.blogEntryTopper Lire la suite...

Beloved

Beloved, Toni Morrison. 10/18, 2008

Un fouet de peur vous cinglait l’intérieur dès que l’on voyait un visage de Noir dans un journal, que cette tête-là n’y figurait pas parce que la personne en question avait mis au monde un bel enfant, ou couru plus vite qu’une bande de poursuivants. Ou parce que cette personne avait été tuée, ou mutilée, ou attrapée, ou brûlée, ou emprisonnée, ou fouettée, ou expulsée, ou piétinée, ou violée, ou escroquée, car ça n’était guère assez intéressant pour être qualifié de nouvelle digne de paraître dans le journal. Il fallait que ce soit quelque chose d’extraordinaire — quelque chose que les Blancs trouveraient intéressant, réellement différent, méritant que l’on se suçote les dents quelques minutes, voire même que l’on ait un petit sursaut de surprise. Et il devait être difficile de trouver des histoires de Noirs capables de couper le souffle d’un citoyen blanc de Cincinnati.

p. 218-219

Que le portrait de Sethe paraisse dans un journal dit le tragique du fait divers qui a inspiré Toni Morrison. L'autrice étasunienne construit un roman intense, publié en 1987, dans lequel le question féminine, le lien maternel transcendent la problématique raciale.
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Le grand royaume des ombres

Geiger Arno. Le grand royaume des ombres : Gallimard. 2019. Traduction d'Olivier Le Lay.

Veit Kolbe, 24 ans, est évacué d'un méandre au Dniepr suite à des blessures au combat. Après un séjour en hôpital militaire, il peut retourner dans sa famille à Vienne. Son état émotionnel ne lui permet pas d'y supporter le climat pesant, les continuelles escarmouches avec son père, nazi convaincu. Grâce à un oncle, il se retire au Mondsee, dominé par le Drachenwand. «La paroi du dragon» bombe le torse au-dessus des localités […] sises au bord du lac. (p. 34)
Sans doute parce que cet escarpement n’est pas assez connu du public francophone, la traduction d’Olivier Le Lay nous entraîne dans «Le grand royaume des ombres» plutôt qu’«Unter der Drachenwand». Ces deux localisations sont évocatrices de lassitude et d'insécurité qui dominent dans ces années de fin de guerre.

Dans les gouffres les plus profonds du sommeil, là où règnent le froid et l’humidité, la guerre m’attendait une fois de plus, avec ses mille cinq cents journées d’épouvante, son odeur de sang, ses blés qui ondulent paisiblement dans le vent tandis que les partisans s’alignent devant la fosse et que la sueur leur ruisselle du front, ses villes où ne subsistaient plus que les cheminées des immeubles à l'instant où nous les investissions enfin. […]
L’œil hagard et le geste prudent, je me suis extirpé de mon lit comme on rampe hors d’une tranchée. Le front une fois encore venait de me submerger.

p. 67-68



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La guerre de Böll

Böll Heinrich. Lettres de guerre : 1939-1945. L'Iconoclaste 2018.

Heinrich Böll est une figure de la littérature allemande du XXe s. Sa critique de la politique de la République fédérale lui donne la stature de conscience de l'Allemagne de l’après-guerre, au même titre que Günter Grass, lui aussi récipiendaire d’un Prix Nobel de littérature.
Cette correspondance échangée surtout avec Annemarie, qui deviendra son épouse en 1942, illustre l’emprise du nazisme sur la pensée et offre une perspective sur la vie d’un soldat, peu zélé, du Troisième Reich.
Le travail éditorial de L’iconoclaste, par sa mise en évidence de quelques extraits et son usage de notes sobres et éclairantes, renforce l’intérêt de ce livre. Lire la suite...

Sapiens

Harari Yuval Noah. Sapiens : Une brève histoire de l'humanité. Albin Michel, 2015.

Moins de 500 pages pour écrire l'histoire de l'humanité, c'est vraiment bref. Dans son bestseller Sapiens, l'auteur montre son talent de vulgarisateur en utilisant une langue efficace, non dénuée d'humour.
Yuval Noah Harari insiste sur les ruptures intervenues au cours de l'histoire de l'humanité et s'intéresse à leurs conséquences sur la vie quotidienne et le bonheur des populations. Lire la suite...

La fin

blogEntryTopperKershaw Ian. La Fin : Allemagne 1944-1945. Ed. du Seuil, 2012.

Les raisons de l’effondrement de l’Allemagne sont évidentes, et bien connues. Mais celles permettant de comprendre pourquoi et comment le Reich de Hitler continua de fonctionner jusqu’à sa ruine finale sont moins claires. C’est ce que ce livre cherche à élucider.

p. 29

Spécialiste de Hitler, Ian Kershaw s'est naturellement intéressé au rôle du dictateur dans la Seconde guerre mondiale. Dans Choix fatidiques, il a analysé dix moments clés du conflit, entre 1940 et 1941, et montré en quoi la marge de manœuvre était étroite en tenant compte de l'ensemble des facteurs stratégiques et des éléments de politique intérieure.
"La fin" s'appuie davantage sur le vécu concret des Allemands pendant les derniers mois de la guerre pour éclairer la singularité d'un régime prêt à l'autodestruction. Kershaw évoque parfois les déplacements de troupes, mais la stratégie n'est pas sa principale préoccupation. Son intérêt se concentre bien davantage sur la dynamique qui a entraîné l'Allemagne dans son effondrement. Lire la suite...

Choix fatidiques

Kershaw Ian. Choix fatidiques : dix décisions qui ont changé le Monde, 1940-1941. Ed. du Seuil, 2014.

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Kershaw, connu pour ses recherches sur Hitler, s'intéresse aux circonstances qui ont entouré dix décisions de la Seconde guerre mondiale, événements qui sont retenus comme des moments-clés de ce conflit.
Malgré des redondances, parfois agaçantes, le livre de Kershaw aide à prendre conscience des multiples facteurs qui influencent un conflit aussi marquant. L'interaction entre les protagonistes, les intérêts intérieurs, les différents types de gouvernance sont autant d'éléments qui sont à prendre en considération.

Dans les démocraties […], le rôle de l'individu dans l'élaboration des choix fatidiques était plus grand qu'au Japon, quoique vraisemblablement moins crucial que dans les dictatures. Comme les dictateurs, les dirigeants des démocraties agissaient sur la base de systèmes idéologiques de croyances largement acceptés. En fait, l’attachement idéologique — en l'occurrence, aux libertés démocratiques ainsi qu’aux structures sociales et politiques qui les étayaient — était très certainement plus profondément et largement enraciné que les valeurs fascistes et militaristes de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon ou que la vision du monde communiste de l’Union soviétique.

p. 678

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Chroniques d'un enfant du pays

James Baldwin, Chroniques d'un enfant du pays, Gallimard 2019

Native Son Baldwin
Cette réédition des Notes of a Native Son (1955), traduites par Marie Darrieussecq, donne un regard sur l'Américain noir et sa recherche d'une identité. Toni Morrisson relève que l'immigrant européen se découvre blanc en arrivant aux Etats-Unis et abandonne certains des particularismes qui primaient en Europe. En choisissant de revisiter le titre français de l'ouvrage (Chroniques d'un pays natal), la traductrice souligne le besoin de Baldwin de trouver des racines qui subliment sa race.

In the white community, the path to a more perfect union means acknowledging that what ails the African-American community does not just exist in the minds of black people; that the legacy of discrimination - and current incidents of discrimination, while less overt than in the past - are real and must be addressed. Not just with words, but with deeds - by investing in our schools and our communities; by enforcing our civil rights laws and ensuring fairness in our criminal justice system; by providing this generation with ladders of opportunity that were unavailable for previous generations. It requires all Americans to realize that your dreams do not have to come at the expense of my dreams; that investing in the health, welfare, and education of black and brown and white children will ultimately help all of America prosper.

Pour la communauté blanche, la voie vers une union plus parfaite signifie de reconnaître que les maux qui tourmentent la communauté afro-américaine n’existent pas uniquement dans l’esprit des Noirs ; que l’héritage de la discrimination – et les cas actuels de discrimination, bien que moins flagrants que par le passé – sont réels et méritent une réaction. Non seulement verbale, mais concrète : investir dans nos écoles et nos communautés ; appliquer nos lois sur les droits civiques et garantir l’équité de notre système pénal ; proposer à la nouvelle génération l’ascenseur social qui a été indisponible pour les générations précédentes. Cette voie implique que tous les Américains comprennent que les rêves des uns ne se réalisent pas nécessairement au détriment de ceux des autres ; qu’en investissant dans la santé, le « welfare » et l’éducation des enfants de toutes les couleurs, nous allons, en bout de course, aider l’Amérique toute entière à prospérer.

"We the people, in order to form a more perfect union."
Barack Obama, Philadelphia, 18 mars 2008


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Désarmer les citoyens

Les citoyennes et les citoyens suisses ont le privilège de pouvoir s'exprimer sur de nombreux sujets politiques. Le 19 mai 2019, ils voteront sur la mise en œuvre d'une modification de la directive de l'UE sur les armes. Ce sujet est très émotionnel, vu le rapport étroit du citoyen-soldat avec son arme de service, même si de plus en plus de Suisses préfèrent ne pas garder leur fusil à domicile.

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Comme des chevaux qui dorment debout

Rumiz Paolo. Comme des chevaux qui dorment debout. Arthaud, 2018.

La terre, toutefois, capte des signaux. Elle vibre comme le crayon d'un sismographe. Elle sent le front, elle flaire, dans la nuit noire, les lieux où l'on maniait l'arme blanche. Tranchée des Branches, San Michele, Selz, mont Sei Busi. Si la plaine m'est inconnue, ces hauteurs, en revanche, je les connais par cœur. Je sais que chaque mètre est imprégné d'agonies, marqué par des vies démembrées, crucifiées surles barbelés, mutilées par des pièges. Mais je sais aussi que rien, sur ce terrain ne rappelle l'immensité de la douleur. Je devrais piétiner des douilles, des immondices, du sang, des haillons, des membres humains, des gamelles, des restes de nourriture, des sabots, des fers à cheval, des excréments, des semelles de chaussures, mais l'homme et la nature ont tout effacé. La nuit sent bon l'herbe et des villages entiers festoient et font l'amour sur les restes d'un gigantesque sacrifice humain.
Je prends la petite route qui monte au-delà de l’église de Santo Stefano un modeste monument à deux soldats de la Grande Guerre.

p. 14

Journaliste, correspondant de guerre, écrivain, Triestin, Rumiz m'offre une belle découverte. Son récit est un hommage à son grand-père et à tous ses contemporains morts pour la patrie. Avant tout, c'est un plaidoyer pour que ces vies perdues ne soient pas vaines.
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L'immense poésie

Frédéric Pajak, Manifeste incertain 7 – Emily Dickinson, Marina Tsvetaieva, l'immense poésie. Noir sur blanc, 2018

Racontant l'histoire de Marina, j'ai malgré moi négligé maints épisodes. […] Néanmoins, serrant son destin au plus près, j'ai cherché à le mesurer à l'aune de la démesure de son temps, celui-ci éclairant celle-là, et vice versa. Et si ce destin est bel et bien indissociable de l'Histoire, il jette sur elle une lumière insoupçonnée, de douleur et de courage, comme un joyau de la mémoire.

p. 19

En poursuivant la mise en mots et en images d'expériences de vie et d'enrichissements intellectuels, Pajak nous mène dans l'univers de deux poétesses qui malgré leur talent restèrent isolées. Emily Dickinson, américaine du XIXe s. dont seul une dizaine de ses 1789 poèmes furent publiés de son vivant; elle préféra la réclusion. Le destin de la Russe Marina Tsvetaieva fut lui soumis aux convulsions de l'histoire du début du XXe s.

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Mourir au printemps

Mourir au printemps, Ralf Rothman, traduit de l’allemand par Laurence Courtois, Editions Denoël, 2016, 240p.

Dans le roman Mourir au printemps, Ralf Rothmann poursuit une quête du père. Il recherche ce qui l'a assombri pour le reste de sa vie pendant les quelques mois du printemps 1945 passés sur le front.

«Et un jour, quand j'ai parlé de mes rêves, [mon père, médecin] m'a dit qu'il existait une mémoire des cellules de notre corps, et donc aussi des cellules de reproduction, spermatozoïdes et ovules, et qu'elle se transmet. Une blessure psychique ou physique fait quelque chose aux descendants. Les humiliations, les coups ou les balles qui te touchent, blessent en quelque sorte aussi les enfants que tu n'as pas encore. Et plus tard ils peuvent grandir avec autant d'amour qu'on veut, ils auront toujours une peur panique d’être rabaissés, battus ou atteints par une balle. En tout cas dans le subconscient, dans les rêves. C'est logique en fait, non ?»

P. 165

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Collection Gurlitt : état des lieux

«L'art dégénéré» – confisqué et vendu

Le KunstmuseumblogEntryTopper de Bern annonce Aujourd'hui, 7 mai 2014 , le Musée des Beaux-Arts de Berne a été informé par un message téléphonique et écrit de maître Christoph Edel, l'avocat de Monsieur Cornelius Gurlitt, décédé le 6 mai 2014, que Monsieur Cornelius Gurlitt a institué pour légataire universelle la fondation de droit privé du Musée des Beaux-Arts de Berne. Malgré les spéculations des médias affirmant que la collection avait été léguée par testament à un établissement artistique situé hors d'Allemagne, cette nouvelle tout à fait inattendue a provoqué l'étonnement général. En effet, Monsieur Gurlitt et le Musée des Beaux-Arts de Berne n'ont jamais, à aucun moment, entretenu la moindre relation. Si le Conseil de fondation et la direction de cet établissement éprouvent évidemment un sentiment de reconnaissance et d'heureuse surprise, ils ne peuvent cependant cacher que ce remarquable legs leur impose une responsabilité considérable et leur pose toute une série de questions épineuses, notamment de nature juridique et éthique. Ils ne sont pas en mesure de prendre une position concrète et factuelle avant d'avoir consulté les documents essentiels et d'avoir pris un premier contact avec les autorités compétentes. (swissart.ch)

Ce legs est encombrant… Comment accueillir une collection d'art considéré comme disparu suite à la politique nazie de trie entre l'art et le non-art… Lire la suite...

Amérique notre histoire

Russell Banks, Amérique notre histoire, Entretien avec Jean-Michel Meurice, Actes Sud Arte 2006, Traduit de l'américain par Pierre Furlan
On présente parfois Russell Banks comme le meilleur portraitiste des marginaux américains. La société qu'il décrit n’est pas celle des élites (
> Lointain souvenir de la peau) et son point de vue sur la situation politique aux États-Unis est souvent sollicité par les médias français; son avis sur l’Histoire américaine est engagé. Lire la suite...

Le génie de la dépendance

Joëlle Kuntz, La Suisse ou le génie de la dépendance, éditions Zoé, 2013

Chroniqueuse au Temps, Joëlle Kuntz aime replacer les événements politiques présents dans leur contexte historique et rappeler les faits historiques qui modèlent notre présent. En Europe, les chantres de l’indépendance nationale, à l’image des tenants du Brexit, saisissent toutes les occasions de décrier l’Union. Lire la suite...

zinc

Une histoire de Belgique, mais malheureusement pas une histoire belge…


David Van Reybrouck, zinc. Traduit par Philippe Noble. Actes Sud, 2016

Dans un bref essai David Van Reybrouck traite de la frontière. Au terme des guerres napoléoniennes, les Pays-Bas et la Prusse n’arrivent pas à s’entendre sur le sort de la Commune de Moresnet, en particulier sur une portion de son territoire, 3,44 km². blogEntryTopper Lire la suite...

Les somnambules

Clark Christopher (2013). Les somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre. Flammarion. Au fil de l’histoire.

En affirmant que l'Allemagne et ses alliés étaient moralement responsables du déclenchement de la guerre, l'article 231 du Traité de Versailles a eu pour conséquence de mettre la question de la culpabilité au cœur du débat sur les origines de la guerre. Rechercher le coupable ce jeu là n'a jamais perdu de son attrait. (p. 549)

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Kurt von Hammerstein-Equord

Hans Magnus Enzensberger. Hammerstein ou l’intransigeance. Une histoire allemande. Collection Du monde entier, Gallimard 2010

Par la superposition de divers styles littéraires Enzenberger approche l’existence de Kurt von Hammerstein, un général allemand qui s’est opposé à Hitler. L’auteur dit « qu’il procède plus à la manière de la photographie que celle de la peinture ». Même sans être un travail scientifique, les citations de témoins, les rapports de divers services de renseignement ou les actes de résistance des membres de sa famille permettent d’éclairer le sujet de ce livre. Lire la suite...

Un héros resté larve

LITTELL Jonhatan. Les Bienveillantes. 2006. Paris : Gallimard, collection Folio.

Lassé de n’être que chenille, dans l’attente de devenir papillon, le narrateur met les choses au point sur son passé, essentiellement sur ses années de guerre, sur le front de l’Est. Ce parcours de combattant qui l’a mené dans le Caucase, puis à Stalingrad, avant son repli sur Berlin ne l’a pas laissé indemne, tant physiquement que psychologiquement. Lire la suite...